Ce qu’il faut retenir de la victoire de Google sur Oracle

© Reuters

Tous les composants logiciels ne sont pas protégeables par le copyright. C’est un des enseignements du procès qui opposait Google et Oracle. Explications avec Thomas Beaugrand, avocat spécialisé dans le droit informatique.

Google a gagné une nouvelle manche dans le cadre de son procès contre Oracle, qui l’accusait de violation de brevets et de copyright. Google a utilisé la technologie Java, détenue par Oracle, pour développer son système d’exploitation Android. Les enjeux étaient énormes. Déjà en termes de dommages et intérêts, puisque Oracle réclamait un milliard de dollars. Mais surtout parce que Google aurait dû, soit mettre à jour tous les matériels sous Android, sans parler des applications des éditeurs tiers, soit verser une licence à Oracle. Thomas Beaugrand, avocat du cabinet Staub & Associés, spécialiste du droit de l’informatique, décrypte la portée de ce jugement.

Que retenir et comprendre de ce procès, qui a duré plusieurs mois? Ce procès est lié à la technologie Java, qui est constituée d’un ensemble de programmes et d’API (application programming interface), sachant que Google a développé son système d’exploitation Android à partir des API Java. Oracle se fondait sur un certain nombre de brevets liés à cette technologie pour attaquer Google. Mais cinq sur sept ont été invalidés. Oracle a alors voulu agir sur le plan du copyright, en revendiquant sa propriété intellectuelle sur les API. Sun ayant placé sous licence libre la plupart de ces API en 2006, il n’en restait que 37 (sur 166) sous licence propriétaire. De là, une deuxième question s’est posée aux jurés : l’utilisation de ces 37 API relevait-elle du fair use ? Ils n’ont pas réussi à se déterminer sur cette question. Le juge a finalement décidé que ces API n’étaient pas suffisamment originales pour recevoir une protection par le droit d’auteur. Il a considéré qu’elles s’apparentaient plus à des méthodes et des structures de commande, une sorte de langage des signes qui permet à deux logiciels qui ne parlent pas la même langue de dialoguer. Les composants logiciels sont couverts par le copyright, mais les API Java ne sont pas considérés comme des composants logiciels protégeables. Donc Google était libre de les utiliser et de les modifier, ce qu’il a fait.

Quels sont les grands enseignements de cette décision?

Cela casse un peu la dynamique actuelle de renforcement de la propriété intellectuelle. Cela met un coup d’arrêt à la propension des industriels à protéger tout pour ensuite engager des procès. En cela, la jurisprudence américaine se rapproche de la position européenne, qui dit qu’une fonctionnalité, en soi, n’est pas protégeable. C’est la façon de la concrétiser qui est protégeable. Le juge américain nous dit que les petits composants de base de l’informatique, les plus petits dénominateurs communs, ne sont pas protégeables. Par rapport aux API, cela ferme un peu la porte au licensing.

Cela constitue-t-il une jurisprudence, qui pose que les API ne sont pas protégeables?

Non, l’arrêt n’a pas une dimension de principe et ne fera pas jurisprudence, ne serait-ce simplement parce qu’Oracle va faire appel. Il ne veut pas dire que toutes les API ne sont pas copyrightables. Ce n’est pas comme si une loi venait d’être votée. Le jugement se limite au cas de Google et Oracle.

Par rapport à l’utilisation de Java, quelles peuvent être les conséquences?

Cela ne devrait ni booster Java, ni l’handicaper. Le succès est déjà là. En revanche, qu’Oracle soit renvoyé dans les cordes va rassurer tout le monde, car tous les utilisateurs professionnels de Java étaient plus ou moins menacés de devoir payer une licence.

Que nous apprend ce procès sur la notion compliquée de fair use?

Pas grand-chose. Le fair use est une notion assez mouvante. En France, ce sont des exceptions de droit d’auteur, comme la courte citation ou la parodie… Aux Etats-Unis, cela recouvre un usage loyal, raisonnable, acceptable… Cela revient à la dialectique entre le bien commun et ce qui doit être réservé. Nous sommes actuellement dans une période d’ajustement et de rééquilibrage entre ces deux variables. En tout cas, de ce procès ne ressortira pas un renforcement du fair use, puisque le juge a finalement déterminé qu’il n’y avait pas de droit à protéger.

Propos recueillis par Raphaële Karayan, L’Expansion

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content