Caterpillar: que va devenir ce terrain remarquablement bien situé ?

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De la droite à la gauche radicale, le monde politique réclame une reprise du terrain de Caterpillar par les pouvoirs publics. Il souhaite que le site reste dédié à l’industrie plutôt qu’aux services.

Parfois, l’unanimité gagne le monde politique. Par exemple pour décréter que le destin du site de Caterpillar à Gosselies doit être piloté par les autorités publiques. Des nuances apparaissent certes quant aux modalités pratiques (expropriation, réquisition, rachat, rachat après assainissement, etc.) mais l’objectif est bel et bien partagé.

Jusqu’à présent, les exercices de musculation ministériels n’ont toutefois guère ému les dirigeants de la société américaine. Cela dit, on les voit mal se braquer pour le sort d’un terrain de 98 hectares qui ne représente strictement rien dans le total de leurs actifs. Si lâcher un peu de lest ici peut contribuer à négocier un plan social avec des ministres tout fiers de pouvoir clamer ” vous avez vu, on ne s’est pas laissé faire “, pourquoi s’en priver ?

Faisons donc comme si ce bel espace devait un jour revenir aux pouvoirs publics. Qu’en feraient-ils ? Officiellement, la question n’est pas à l’ordre du jour. Nous sommes dans la phase 1 de la procédure Renault, phase au cours de laquelle on vérifie, chiffres à l’appui, les motivations de ” l’intention ” de fermer l’usine. Chacun doit dès lors se comporter comme s’il croyait réellement à la possibilité de préserver au moins une partie de l’activité de Caterpillar-Gosselies. Et dans le même temps, si vous voulez judicieusement relancer le site dans deux ou trois ans, c’est maintenant, sans tarder, qu’il faut y réfléchir.

Ce vaste terrain conservera un destin économique, cela paraît évident. Il s’agit d’un espace plus étendu que de nombreuses zones d’activité économique wallonnes, parfaitement situé à un noeud autoroutier, à deux pas de l’aéroport et à proximité d’entreprises réputées (Sonaca, Bone Therapeutics, OncoDNA…). ” Nous avons là clairement un terrain bien localisé, avec une valeur stratégique forte, résume Renaud Moens, directeur général de l’intercommunale de développement économique Igretec. Si l’entreprise confirme son départ et que nous devons le reconvertir, la question sera de savoir à quoi le dédier ? ” L’intercommunale n’est a priori pas directement demandeuse car elle dispose d’une réserve de quelque 250 ha, dont 150 sur l’écopôle de Farciennes, zoning dédié au développement durable. Esquissons les trois situations envisagées.

1. L’accueil d’un gros investisseur

C’est l’option la plus simple : une entreprise qui aurait besoin de l’ensemble du site ou presque pour développer un grand projet industriel. Mais c’est aussi la moins probable, en raison de l’évolution du tissu économique européen. Caterpillar n’utilisait d’ailleurs plus le site à plein comme à l’époque où 5.000 à 6.000 personnes y travaillaient. Des démarches avaient été entreprises en vue d’une réaffectation de deux gros hangars vides depuis plusieurs années mais la firme américaine s’y est toujours opposée.

Si vous voulez judicieusement relancer le site dans deux ou trois ans, c’est sans tarder qu’il faut y réfléchir.

” Si l’objectif est de maintenir une activité manufacturière importante pour favoriser l’emploi des cols bleus, il faut alors se poser la question de l’attractivité et des avantages compétitifs du pays ou de la région, martèle Bernard Delvaux, patron de la Sonaca voisine et infatigable militant de la réindustrialisation de la Wallonie. L’investissement, ça ne se décrète pas, ça s’attire. Je crains que le débat ne se focalise sur le terrain alors que la vraie question est : qu’est-ce qui pourrait inciter un investisseur à s’implanter ici plutôt qu’à l’étranger ? ” Et là, en dépit des avancées liées au tax shift, il ne voit pas ” le choc de compétitivité ” qui permettrait de soutenir un peu mieux la comparaison avec l’Europe de l’Est, sans parler de l’Asie.

Cela vaut pour le coût du travail, mais aussi pour l’énergie et pour les rigidités dans l’organisation du travail. Ces rigidités risquent de rebuter des grands logisticiens ou des entreprises de l’e-commerce, potentiellement intéressés par la localisation à Gosselies mais qui ont besoin de flexibilité, de travail à horaires décalés etc. Les projets du ministre fédéral de l’Emploi Kris Peeters (CD&V), très décriés du côté syndical, visent à adoucir ces rigidités. ” Les aides à la recherche et à l’emploi des chercheurs ont permis à de nombreuses entreprises de se développer, notamment sur le biopark de Gosselies, poursuit Bernard Delvaux. Elles sont très riches en innovation, c’est encourageant pour l’avenir. Mais ces entreprises emploient peu de cols bleus. Si nous voulons fournir de l’emploi à ces personnes, il faut repenser certaines aides, les concentrer sur les profils visés. ”

2. L’expansion des activités existantes

“Nous devons capitaliser sur nos forces dans l’aéronautique, le biomédical et le monde de l’image”, Dominique Demonté (président du conseil de développement stratégique de Charleroi).© Belgaimage

C’est la voie la plus facile : les voisins du site de Caterpillar prennent chacun quelques hectares pour étendre leurs propres activités et le tour est joué. Malheureusement, personne ne s’inscrit dans ce scénario. L’aéroport envisage bien un allongement de piste mais pas dans cette direction-là en raison de ” la configuration géographique “, précise Laurent Levêque, président de BSCA. La Sonaca a besoin de bâtiments pour la construction des Sonaca Aircrafts (avions de tourisme) mais avec un accès direct aux pistes, ce qui n’est pas le cas du site de Caterpillar. Le biopark affiche complet avec 35 entreprises et deux incubateurs (deux autres suivront à brève échéance) mais de là à rêver d’une extension sur une centaine d’hectares…

Quelques entreprises du biopark pourraient toutefois rechercher des espaces plus vastes, au moment de passer à une phase de production plus industrielle des fruits des recherches actuelles. ” Nous souhaitons bien évidemment que nos entreprises grandissent, commente Dominique Demonté, président du biopark mais aussi du Conseil de développement stratégique qui regroupe les forces vives de Charleroi. Mais ne croyez pas que nous n’hébergeons que des petites boîtes avec deux ou trois chercheurs dans un labo. Plusieurs sociétés emploient déjà plus d’une centaine de personnes. Le défi, c’est de les porter à 500 emplois d’ici 5 à 10 ans. ” Il ajoute que le parc recense une unité de production industrielle,à savoir MasTHer Cells, qui vient de doubler la surface de ses installations. Il y a également la plateforme wallonne de thérapie cellulaire, une véritable usine qui devait servir à Bone Therapeutics et Promethera. Cette dernière a toutefois abandonné le projet, préférant passer par la sous-traitance au moment – le plus proche, on l’espère – de passer à la commercialisation et à la production à grande échelle. L’outil est-il en péril ? ” S’il était au milieu de nulle part, on pourrait le passer, mais pas dans l’environnement de l’aéropôle, je ne m’inquiète pas, répond Dominique Demonté. Mutualiser les outils pour les entreprises en croissance, ce n’est pas toujours évident. ”

3. Le morcellement du site

“Si l’objectif est de maintenir une activité manufacturière importante, alors il faut se poser la question de l’attractivité et des avantages compétitifs du pays.” Bernard Delvaux (patron de la Sonaca). © Belgaimage

C’est finalement le sort le plus probable des 98 ha de Caterpillar. Si aucun mastodonte ne vient investir la place, il faudra, selon l’expression du président du MR et élu carolo Olivier Chastel, ” passer à une logique plus morcellante “. Le tout sera alors de bien surveiller ce morcellement pour servir une stratégie de redéploiement cohérente. Tous nos interlocuteurs insistent pour privilégier des activités industrielles, en raison de la taille des hangars et bâtiments du site, du profil de la main-d’oeuvre locale disponible et de l’importance de préserver un tissu industriel. ” Une ville qui essaie de se relever, comme Charleroi, doit se construire sur une activité industrielle renouvelée, explique Rudy Pirquet, secrétaire régional du SETCa et membre du conseil de développement. Cela implique de fédérer les volontés économiques et politiques afin de concentrer les actions. ”

” La dynamique sera essentielle, ajoute le député Jean-Marc Nollet (Ecolo), élu de la région de Charleroi. Il faut associer les acteurs locaux pour impliquer tout le monde dans une stratégie industrielle qui nous projette dans les 30 ou 50 ans à venir. ” Il suggère évidemment de s’intéresser aux technologies vertes, que ce soit pour des activités d’assemblage de pales d’éoliennes (celles qu’on implante chez nous sont fabriquées à l’étranger), de construction de voitures électriques ou de matériel agricole, de production d’éléments énergétiquement performants pour les bâtiments, de stockage de batteries industrielles… Des activités en phase avec les pôles de compétitivité wallons et qui pourraient dès lors s’insérer dans un écosystème plus large, avec des entreprises complémentaires, de la recherche et de la formation. Une telle intégration réduit évidemment les risques de délocalisation.

Dominique Demonté invite, lui, à ne pas oublier les trois secteurs qui portent le redéploiement de Charleroi, à savoir l’aéronautique, le biomédical et l’image (avec Dreamwall notamment, en bord de Sambre et non à Gosselies). ” Nous devons capitaliser sur nos forces, explique-t-il. Il y a là des entreprises de taille conséquente et qui sont déjà des acteurs de dimension internationale. ” Il semble dès lors pertinent de songer à renforcer encore ces secteurs, ce qui, précise aussitôt le président du conseil de développement, n’empêche pas de rester ouvert aux projets extérieurs et innovants.

Quels que soient les secteurs privilégiés, quelle que soit la taille des entreprises, les remarques énoncées par Bernard Delvaux sur l’attractivité industrielle de la Belgique demeurent toutefois d’actualité. ” J’invite à approfondir la réflexion sur notre compétitivité et notre attractivité, deux notions qui ne sont pas exactement synonymes mais toutes deux absolument indispensables à notre développement, déclare le président des Chambres de commerce et d’industrie wallonnes, Philippe Suinen. Les coûts de production, mais aussi la capacité d’innovation sont des éléments importants de la compétitivité, alors que des images de blocages d’autoroutes peuvent avoir un effet cruel sur l’attractivité. ” En d’autres termes, la teneur de l’actualité sociale de ces prochains mois pourrait aussi avoir un impact décisif sur la reconversion, ou non, du site de Caterpillar…

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