Casa, Blokker: la fin d’un modèle

Chez Casa, on se lance dans l'e-commerce à petits pas. © BELGAIMAGE

Fermetures de magasins, suppressions d’emplois… Casa et Blokker vivent des temps difficiles. Dépassés par l’e-commerce et fortement concurrencés par des ” low-end retailers ” comme Action ou Flying Tiger, ces spécialistes maison & déco sont forcés de se transformer pour durer. Voici leurs défis.

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Tout a changé… sauf elles ! ” Cet observateur avisé du monde du retail avoue ne pas trouver meilleure explication aux difficultés que traversent pour le moment des chaînes comme Casa ou Blokker. Pour Pierre-Alexandre Billiet, directeur du magazine professionnel Gondola, ces enseignes maison & déco ne se sont tout simplement pas adaptées assez rapidement aux évolutions du marché.

Face à une baisse constante de leur chiffre d’affaires, elles se sont donc lancées in extremis dans de vastes plans de transformation. Casa annonçait ainsi en début d’année son intention de licencier 50 travailleurs sur un total de 123 au sein de son centre de distribution d’Itegem. Ce dernier fermera ses portes et toute la logistique de l’enseigne sera dorénavant gérée dans un nouvel entrepôt davantage automatisé situé à Olen. Le groupe a par ailleurs élaboré une nouvelle stratégie commerciale destinée à rebooster ses ventes et surtout à se repositionner sur le marché. Du côté de Blokker aussi, l’heure est au changement. L’enseigne néerlandaise annonçait en octobre dernier la mise en oeuvre d’un masterplan visant à réorganiser son fonctionnement et à réaménager ses magasins. Des magasins dont certains ont dû fermer leurs portes tout récemment, faute de rentabilité.

D’autres fermetures sont-elles à prévoir, tant du côté de Blokker que de Casa ? Les syndicats ne se montrent pour l’instant pas trop inquiets, mais restent dans l’attente. ” La direction nous explique que le but n’est pas de fermer des magasins, mais bien de les améliorer, voire de les déplacer, explique Anne-Marie Dierckx, secrétaire permanente à la CNE. Il n’y aurait donc pas de plan Renault, ni de fermetures massives. Mais tant chez Blokker que chez Casa, nous en saurons plus dans les trois mois qui viennent. ” De fait, il est prévu que les deux enseignes communiquent leurs projets de manière plus précise. Chez Blokker, une analyse globale du business est en cours, dont les résultats, nous dit-on, seront présentés ” pour la fin du premier trimestre au plus tard “.

Si Casa et Blokker sont aujourd’hui dos au mur, c’est, on l’a dit, parce que ces spécialistes maison & déco se sont laissés dépasser par l’évolution du marché. Quels sont aujourd’hui les défis de ces deux enseignes ? Et puis surtout que font-elles pour se remettre à la page ?

1. Investir dans une stratégie “omnicanal”

En matière d’e-commerce, les deux chaînes ont réagi nettement trop tard, voire pas encore en ce qui concerne Casa. Cette dernière faisait partie jusqu’il y a peu du groupe familial néerlandais Blokker Holding (Blokker, Leen Bakker, Maxi Toys, Big Bazar, etc.), mais elle a été vendue l’année dernière. D’un point de vue opérationnel, il n’y a aujourd’hui plus aucun lien entre les deux chaînes, même si Casa reste dans le giron familial puisque c’est une autre branche de la famille qui a racheté l’enseigne. ” L’impact du numérique a longtemps été sous-estimé chez Blokker Holding, confirme Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. Pour rattraper le temps perdu, le groupe est en train d’investir massivement dans sa société numérique Nextail, qui s’occupe du marketing digital. Avec son nouveau concept commercial, Blokker tente d’augmenter les achats impulsifs. Les produits émotionnels sont vendus en magasin alors que tout ce qui est fonctionnel peut s’acheter en ligne. Je pense notamment à l’électroménager. ”

Chez Casa, on se lance dans l’e-commerce à petits pas. L’enseigne de décoration vient d’annoncer l’ouverture d’un webshop dans le courant du mois d’avril. ” Notre nouveau dépôt d’Olen va nous permettre d’organiser l’e-commerce, explique Giane Van Landuyt, CEO du groupe. Nous allons commencer par un click & collect, c’est-à-dire que le client pourra commander en ligne et retirer ses achats en magasin. Tous nos articles seront disponibles sur notre webshop. C’est une première étape, la suivante étant de livrer à domicile et de nous lancer dans une véritable stratégie omnicanal. Mais nous ne voulons pas brusquer les choses, nous voulons d’abord tester pour voir ce qui fonctionne. Nous sommes très connus pour les articles de décoration, mais pas suffisamment pour les meubles ou les accessoires pour la salle de bains. Je pense que ce sont des produits que nous pourrons vendre en ligne, tout comme des services de table par exemple. ”

Les nouveaux Blokker, déjà installés aux Pays-Bas, font leur apparition chez nous. Ils sont plus modernes et plus aérés. Des écrans interactifs sont mis à la disposition des clients.
Les nouveaux Blokker, déjà installés aux Pays-Bas, font leur apparition chez nous. Ils sont plus modernes et plus aérés. Des écrans interactifs sont mis à la disposition des clients.© BELGAIMAGE

Pour Gino Van Ossel, Casa doit absolument se poser quelques questions de base avant de lancer son webshop. ” Est-ce que j’ai le bon assortiment pour vendre online et devenir un acteur omnicanal ? Est-ce que je vais proposer tout mon assortiment en ligne ou uniquement les produits plus fonctionnels ? ” Pierre-Alexandre Billiet assume pour sa part une position plus tranchée. ” Un webshop où ils ne vendent que des produits, c’est mort avant de commencer, pense-t-il. Car ils devraient devenir très gros, très vite, ce qu’ils ne pourront pas faire. Pour réussir, ils vont devoir vendre de la valeur ajoutée en ligne. Une forme d’expérience client qui peut passer par un concept original comme des soirées design, des ateliers de création, etc. ”

2. Clarifier leur offre et se repositionner face aux concurrents

Face à une baisse constante de leur chiffre d’affaires, les enseignes Blokker et Casa se sont lancées in extremis dans de vastes plans de transformation.

Casa, c’est quoi ? Blokker, c’est quoi ? Des questions a priori toutes simples, mais qu’il faut absolument se reposer lorsque leur réponse ne semble plus claire dans l’esprit du client. Il s’agit donc pour ces deux enseignes de clarifier leur identité dans un contexte concurrentiel difficile. ” Elles ont été attaquées par une segmentation vers le haut et vers le bas, explique Pierre-Alexandre Billiet. D’un côté par des acteurs plus haut de gamme, et de l’autre par des discounters comme Action ou Flying Tiger. ” On peut également citer la concurrence de Lidl et Aldi qui se développent dans le non-alimentaire, du rayon home des hypermarchés ou encore des enseignes telles que Zara ou H&M qui dédient des boutiques à la décoration. Bref, des attaques venant de toutes parts, qui forcent Casa et Blokker à redéfinir leurs concepts respectifs.

Pour faire face à Action, Blokker Holding a dans un premier temps créé sa propre concurrence en ouvrant Big Bazar. ” La copie n’est évidemment jamais aussi bonne que l’original mais ce fut une sage décision “, analyse Gino Van Ossel. Blokker a revu entièrement son concept. Déjà appliqué aux Pays-Bas, il est progressivement mis en place chez nous. Les nouveaux Blokker sont plus modernes, plus aérés. Les allées sont plus larges, les produits mieux rangés selon différents univers (manger et mettre la table, stocker et organiser, nettoyer et entretenir la maison, etc.). Dans les magasins nouvelle génération, des écrans interactifs permettent, en y approchant un produit, d’obtenir à son sujet des informations complémentaires. Et puis dans une logique d’omnicanal, un espace permet aux clients d’accéder au webshop de la chaîne pour passer commande et opter soit pour une livraison à domicile, soit pour un retrait en magasin. L’assortiment lui aussi est adapté. On trouve ainsi davantage de produits de marques dans les rayons du ” nouveau Blokker ” et l’enseigne a décidé d’introduire des produits de marque propre. ” Blokker pourrait devenir davantage un magasin de décoration, avec en plus tout ce qui relève de la cuisine, explique Gino Van Ossel. Sur le marché, certains acteurs fonctionnent très bien. Je pense notamment à Alice Délice ou à Ikea. Cela ne veut pas dire que Blokker va devenir un magasin cher. L’enseigne restera discount, mais avec de l’émotionnel en plus. Un peu sur le modèle de Flying Tiger. ”

Chez Casa aussi, les magasins vont être remodelés. Une nécessité, d’après Giane Van Landuyt, qui reconnaît que ” le positionnement de Casa s’est affaibli et est devenu moins clair pour le consommateur “. ” Nous avons évolué trop tard et nous ne nous sommes pas suffisamment défendus face à la concurrence, assure-t-elle. Nous n’avons pas assez misé sur l’innovation et nos propres styles n’étaient pas suffisamment cohérents par rapport à notre public cible, à savoir la femme contemporaine qui a une affinité avec l’intérieur. ” Pour clarifier son offre, le groupe vient d’engager un concept manager dont le boulot est de définir et de faire évoluer les styles (naturel, contemporain & chic, rétro, etc.) dans chaque ” monde ” : table, cuisine, salle de bains-rangement, décoration, intérieur et enfin les assortiments de saison. ” Nous allons réduire le nombre de références car nos styles ne sont aujourd’hui pas assez clairs “, précise la nouvelle CEO. ” Le problème de Casa, c’est que la chaîne est très axée déco, explique Gino Van Ossel. Pour se différencier de la concurrence, c’est très difficile. Les produits saisonniers, on les retrouve partout ! Casa devrait peut-être se spécialiser davantage, définir son propre style et ajouter de l’inspiration dans ses magasins. ” Occupant la position très inconfortable du milieu de gamme, l’enseigne, pour sauver sa peau, va opérer une montée en gamme. ” Nous allons nous positionner un peu plus haut “, annonce Giane Van Landuyt. Une stratégie que Pierre-Alexandre Billiet juge tout à fait judicieuse, pour autant qu’il y ait en parallèle création de valeur. ” Jusqu’à présent, ces chaînes ont plutôt fait de l’extraction de valeur, dit-il. Elles ont toujours acheté très bon marché ailleurs pour revendre un peu moins bon marché chez nous. Il va falloir qu’elles travaillent sur le local, pourquoi pas sur le marché de la seconde main, et qu’elles surfent sur le succès du do it yourself. ”

3. Dénicher de bons emplacements

Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick Business School:
Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick Business School: “L’impact du numérique a longtemps été sous-estimé chez Blokker Holding.”© PG

Enfin, une dernière raison pour laquelle des enseignes comme Casa et Blokker sont à la peine aujourd’hui, c’est, d’après Gino Van Ossel, la perte d’attractivité de nombreux centres-villes où elles sont présentes. ” Depuis 2008, ce marché géographique est sous pression, assure notre expert. D’une part en raison de l’e-commerce, et d’autre part en raison de la crise du retail dans son ensemble du fait que les consommateurs dépensent moins. ” Surtout pour les articles maison & déco, qui sont loin d’être des biens de première nécessité.

” Nous ne sommes pas un magasin de destination, rappelle Giane Van Landuyt, CEO du groupe Casa. Les achats effectués chez nous sont des achats impulsifs, c’est pourquoi nous voulons être présents dans les centres commerciaux, les zones commerciales, etc. ” Quel sort sera-t-il réservé aux petits magasins situés dans les centres-villes ? ” Ils collaboreront avec d’autres magasins plus grands “, explique notre interlocutrice. Celle-ci assure qu’il s’agira plutôt de déplacer les points de vente non rentables et qu’il n’est ” pas question de restructuration massive dans les magasins Casa “. A l’heure de boucler cet article, une réunion devait avoir lieu entre les représentants syndicaux et la direction. Au programme, d’après Anne-Marie Dierckx (CNE) : la négociation d’une convention fermeture. Curieux quand on annonce qu’aucun magasin ne fermera ses portes… Une source bien informée nous l’affirme : vu le contexte extrêmement difficile, un rétrécissement du parc de magasins, tant chez Casa que chez Blokker, semble inéluctable…

Par Jérémie Lempereur.

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