Business des armes: quand les victimes de tueries tombent, les actions grimpent

© Reuters

Portées par les craintes d’un tour de vis des autorités, les ventes d’armes aux Etats-Unis ont paradoxalement prospéré pendant les années Obama et après chaque fusillade de masse, même si l’industrie peine à séduire de nouveaux clients.

Au lendemain de la tuerie d’Orlando, les investisseurs ont de nouveau parié sur un pic d’activité du secteur, faisant grimper les actions de deux importants fabricants d’armes américains — Smith & Wesson et Sturm, Ruger & Company — respectivement de 6,87% et 8,50% lundi à Wall Street.

Le même scénario s’est répété au cours des dernières années.

Le FBI a ainsi enregistré des demandes record de vérification d’antécédents judiciaires, préalables à certains achats d’armes, dans les semaines qui ont suivi la tuerie de l’école primaire de Newtown en décembre 2012 (26 morts) et la récente fusillade de San Bernardino (14 morts), en décembre dernier, selon les données officielles.

“L’industrie et les lobbys sont passés maîtres dans l’art d’exploiter les peurs d’une partie de la population qui craint qu’on les prive de leurs armes”, assure à l’AFP Josh Sugarmann, du Violence Policy Center qui milite pour un contrôle accru des armes à feu.

Ces craintes ont, de fait, joué à plein durant les huit années de mandat de Barack Obama, dont les velléités de régulation ont provoqué des ruées vers les armureries et une flambée de la production.

Selon les données officielles, plus de 9 millions de fusils et autres armes de poing ont été fabriqués aux Etats-Unis en 2014 contre seulement 5,5 millions en 2009, première année du mandat de M. Obama.

L’année de sa réélection, 2012, s’est même traduite par une poussée record du secteur avec un chiffre d’affaires en hausse de 18,8%, selon l’étude du cabinet IBISWorld. “Beaucoup de consommateurs se sont demandés (…) s’il ne serait pas plus difficile d’acheter une arme à l’avenir”, écrivent ses auteurs.

Ce dynamisme ne s’est guère démenti depuis. En incluant les munitions et les ventes militaires, le chiffre d’affaires du secteur a bondi en moyenne de 6,5% par an depuis 2011 et devrait atteindre 15,8 milliards de dollars cette année pour un bénéfice de 1,2 milliard, selon IBISWorld.

Un des principaux lobbys des armes à feu, le National Shooting Sports Federation, chiffre, lui, “l’impact économique” direct et indirect de l’industrie à 49,3 milliards de dollars par an.

Déclin démographique

Malgré sa progression et sa visibilité médiatique, l’industrie ne représente toutefois qu’une goutte d’eau dans les quelque 5.200 milliards de dollars de ventes au détail annuelles aux Etats-Unis.

Elle fait surtout face à un défi bien plus périlleux qu’une très hypothétique régulation: la démographie.

“Il y une peur existentielle chez les fabricants et dans la communauté pro-armes à feu parce que leur coeur de cible –la population mâle, d’âge moyen, et blanche– est sur le déclin aux Etats-Unis”, observe pour l’AFP Robert Spitzer, auteur de cinq ouvrages sur le sujet dont “Guns Across America”.

En 2010, les Américains blancs ne représentaient plus que 72,4% de la population aux Etats-Unis contre 89,5% en 1950.

Du fait de ces changements de fond, “la détention d’armes suscite tout simplement moins d’intérêt” affirme M. Spitzer.

Résultat: un peu moins d’un tiers des foyers américains déclarait posséder au moins une arme à feu en 2014 alors que cette proportion atteignait près de 50% en 1980, selon un rapport de l’Université de Chicago.

“Comparé à l’industrie des armes à feu, le politburo (soviétique) est un modèle de transparence”

Le nombre d’armes en circulation aux Etats-Unis reste certes imposant –entre 270 et 310 millions, soit quasiment autant que la population du pays– mais il est bien davantage le fait d’individus en amassant plusieurs que le signe d’un engouement nouveau.

Cela n’a pas échappé aux fabricants. “Reconnaissant que le marché +traditionnel des blancs aisés et chasseurs+ était limité, l’industrie développe très activement un marketing à destination des Hispaniques, des femmes et des jeunes”, relève pour l’AFP Jurgen Brauer, professeur d’économie et auteur d’une étude fouillée sur le secteur.

Difficile de savoir si ces efforts ont porté leurs fruits. Seule une poignée de fabricants sont cotés en Bourse, et donc soumis à une certaine transparence, et les chiffres de ventes ne font qu’une distinction sommaire entre grandes catégories d’armes.

“Comparé à l’industrie des armes à feu, le politburo (organe de décision de feu l’Union soviétique) est un modèle de transparence”, ironise M. Sugarmann.

Contacté par l’AFP, le lobby pro-armes de la NRA (National Rifle Association) n’a pas donné suite tandis que la National Shooting Sports Federation a indiqué ne pas répondre aux “médias étrangers”.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content