Brussels Airport : les sept défis d’Arnaud Feist

Face à la crise et aux résultats en berne l’année dernière, l’actionnaire australien Macquarie est bien décidé à faire le ménage à l’aéroport de Zaventem. Le nouveau CEO, Arnaud Feist, devra modifier la stratégie pour relancer la dynamique.

Le conseil d’administration de Brussels Airport vient de nommer un nouveau CEO : Arnaud Feist. Ce francophone issu de l’école Solvay occupait ad interim le poste d’administrateur délégué de l’aéroport depuis le départ précipité de Wilfried Van Assche en septembre dernier.

Aujourd’hui, les dossiers chauds ne manquent pas sur la table du CEO. D’autant qu’après avoir injecté près de 1 milliard d’euros dans l’ancienne Biac, l’actionnaire australien majoritaire Macquarie attend d’Arnaud Feist qu’il fasse coïncider la relance d’une nouvelle dynamique sur le tarmac de Zaventem avec l’amélioration des indicateurs financiers de l’aéroport.

Les dirigeants de Brussels Airport ont déjàélaboré un Remedial Action Plan. Objectifs : relancer le trafic et redonner de la crédibilitéà l’entreprise d’ici 2012.

La relance du trafic semble vraiment nécessaire : en 2009, la fréquentation de l’aéroport a baissé de 8 % – deux fois plus que la moyenne mondiale – le trafic fret a chuté de plus d’un tiers, et l’Ebitda, de 14 % à 191,2 millions d’euros. Dépassés par l’aéroport de Liège sur le fret et face à la croissance insolente de Charleroi Bruxelles-Sud (+ 30 %), les dirigeants bruxellois doivent donc réagir. Plus que jamais, toutes les dépenses seront examinées à la loupe. Quant aux nouveaux projets, ils sont gelés et seuls les investissements hautement indispensables sont encore autorisés.

En ce qui concerne le deuxième objectif – redonner de la crédibilité – il faut savoir que le rating de Brussels Airport a régressé. En juillet 2007, Standard & Poor’s a en effet dégradé la notation des dettes à long terme de l’aéroport à BB+. Cette notation a été confirmée voici 12 mois, avec en plus une perspective négative…

1 Refinancer la dette

Dans ce cadre, Arnaud Feist sera-t-il l’homme providentiel pour Brussels Airport ? En juin 2007 en tout cas, il avait fait un coup de génie : alors CFO, il avait réussi à refinancer la société gestionnaire quelques semaines avant la dégradation par l’agence de notation Standard & Poor’s et avant la crise des subprimes. Un refinancement pour un montant global de 1,6 milliard d’euros. Cela avait permis aux actionnaires d’encaisser 300 millions d’euros et de préparer une enveloppe de 370 millions destinés à des investissements pour le développement de l’aéroport.

D’ici 2012, les dirigeants de l’aéroport devront refinancer la dette. D’où la nécessité d’améliorer la santé financière d’ici là afin d’obtenir une meilleure notation de Standard & Poor’s, sans quoi le refinancement sera lourd à porter. Il sera donc important d’avoir une vue la plus précise possible des risques opérationnels et financiers afin de rephaser les projets d’investissements. Un investissement annuel de quelque 50 millions d’euros, comme c’était le cas lors des derniers exercices, c’est donc bel et bien du passé.

2 Réduire les dépenses et changer de culture

“La stratégie de Macquarie est claire : dégager davantage de bénéfices, assure un consultant externe. Et pour augmenter ces revenus, l’actionnaire majoritaire encourage les synergies entre les différents aéroports qu’il possède dans le portefeuille, au niveau de l’offre envers les compagnies aériennes et dans les achats.” Cette chasse aux coûts constitue-t-elle pour autant l’annonce de nouvelles coupes budgétaires ?

En effet, depuis début 2009, tous les budgets sont rabotés et toute dépense est passée au crible. “Un euro est retourné sept fois avant d’être dépensé”, jure un membre de la CGSP. Un consultant proche de l’aéroport voit les choses autrement : “On ne serre pas forcément davantage les boulons mais on introduit des méthodes plus structurées.” C’est bien simple, jusqu’en 2011, les investissements dans des projets immobiliers subiront un sérieux tour de vis. Les budgets opérationnels aussi – essentiellement ceux destinés à la maintenance – sont soumis à un examen très critique. Tandis que pour les installations techniques, les seules dépenses autorisées sont celles qui touchent au c£ur de métier.

Dès l’arrivée de Macquarie dans le capital, Brussels Airport a décidé de miser sur la culture de la performance. L’automatisation de toutes les procédures en interne, qui se font désormais électroniquement, a par la suite renforcé cette évolution. Aujourd’hui, le remplacement d’un homme de marketing (Wilfried Van Assche a fait son écolage chez Procter & Gamble) par un homme de la finance illustre une évidence : la volonté d’axer la culture d’entreprise sur le chiffre. Mais passer d’une culture d’entreprise publique – encore fortement inscrite dans les gènes de l’aéroport – à une culture plus business demandera encore du temps.

3 Activer des relais de croissance

Autre piste suivie par le groupe australien : l’augmentation des revenus non aéronautiques, grâce à l’Airport Village. Cet immense projet immobilier devrait comprendre un ensemble de bureaux et de salles de conférences, et devrait s’étaler sur 20 ans. Situé entre les deux bretelles qui mènent au terminal, ce complexe de 240.000 à 400.000 m2 – sa surface finale dépendra des permis de construire obtenus – pourrait coûter 400 millions d’euros. A terme, une passerelle reliera ces espaces de bureaux à la zone commerciale du terminal.

La première phase du chantier doit transformer un des parkings réservés au personnel en immeuble de bureaux. Dans cette stratégie immobilière, les gestionnaires veulent sortir de terre 60.000 m2 de locaux. Le coût de ce premier développement est estiméà 100 millions d’euros. L’approbation de ce projet à long terme devrait toutefois dépendre de la santé financière à court terme…

En attendant, on mise sur l’offre de bureaux et de magasins déjà existante. L’année dernière, les revenus retail ont progressé de près de 10 % grâce à l’ouverture de 20 nouvelles boutiques. Par contre, les revenus issus du parking ou de la location de bureaux se sont nettement repliés.

“En dépit du ralentissement observé sur l’activité cargo, l’aéroport de Bruxelles possède des infrastructures remarquables, qu’elle doit promouvoir pour le fret traditionnel”, pointe un expert aéronautique. Rappelons que l’aéroport a lancé en 2007 un vaste projet de construction de quelque 120.000 m2 de nouveaux entrepôts à l’ouest du complexe Brucargo. Cet investissement s’élève à 80 millions d’euros. Un premier bâtiment, de 30.000 m2, livré en avril dernier, est déjà pleinement opérationnel.

Quant à la jetée LCCT (Low Cost Carrier Terminal), qui fut l’épine dans le pied de Wilfried Van Assche et dont l’ouverture a été une nouvelle fois postposée (on parle d’avril 2011), son érection demandera une solution créative pour convaincre autant les coalitions au pouvoir dans les trois Régions que les compagnies aériennes et les riverains.

4 Pactiser avec les compagnies aériennes

C’était du jamais vu. En mai 2009, en se mettant à dos 52 compagnies aériennes qui s’opposaient aux tarifs discriminatoires du terminal low-cost, Wilfried Van Assche ne s’était guère fait d’amis dans les cockpits et certainement pas chez Brussels Airlines, premier client de l’aéroport. Bien qu’il ait suivi de près le projet de terminal controversé, Arnaud Feist devra cette fois rassurer les compagnies exclues du terminal à moindres coûts.

Pour séduire son premier client, le nouveau CEO aurait déjà un plan de terminal spécifique pour le réseau Star Alliance, que Brussels Airlines vient de rejoindre. Un terminal opportuniste car avec un réseau intercontinental réduit, Brussels Airport mise beaucoup sur Star Alliance pour le développer.

Embûche potentielle à la fraternisation : la négociation des tarifs 2011-2015 avec les compagnies. Une gageure face à l’inflation des coûts de la sécurité. A titre de comparaison, signalons que les taxes aéroportuaires s’élèvent à 26 euros par passager à Zaventem contre 2,25 euros à Charleroi.

5 Recréer une structure managériale

Avec le départ de plusieurs cadres de l’entreprise, Arnaud Feist va devoir recréer une équipe de lieutenants loyale. “Le personnel n’y croit plus, la confiance a disparu, confie un syndicaliste. Il y a un besoin urgent de continuité et de stabilité.” Un autre expert aéronautique pointe également cette nécessité : “Arnaud Feist doit créer autour de lui un cercle capable de communiquer, de motiver les gens et d’insuffler la confiance.” Rapidement, il lui faudra également transférer ses casquettes de directeur financier et de directeur IT, pour pouvoir se concentrer sur sa mission de CEO.

6 Eteindre le feu social

Du côté des relations sociales, Arnaud Feist sait qu’il devra renouer le contact avec les différentes organisations syndicales. Il lui faudra notamment faire table rase des années Van Assche. “Au contraire de son prédécesseur, qui n’avait aucune affinité avec nous, Arnaud Feist s’est déjà engagé, lors d’un récent conseil d’entreprise, à améliorer les relations sociales et entamer le dialogue”, pointe Jan François, responsable général de secteur CSC-Transcom. Pourtant, Arnaud Feist n’est pas un tendre. Lorsqu’il était à la tête du département IT, il avait fait passer les effectifs de 100 à 60 personnes dans le cadre d’une réorganisation. En outre, le contexte social est très tendu. En raison de la crise, le conseil d’administration avait, en septembre dernier, pris la décision de supprimer ou de réorganiser une série de fonctions. Il avait ainsi été décidé de mettre fin à des contrats de consultance externe ; une trentaine d’emplois sur 780 ont été supprimés. Et ces dernières semaines, une dizaine de personnes ont quitté l’entreprise. Signe d’un malaise ? “Ce sont surtout les fonctions de certains chefs de projet qui ont été revues, ce qui n’est pas anormal puisque les projets ont été réduits à leur minimum…”, estime un membre du personnel.

Mais ce n’est pas tout. Fin 2008, Brussels Airport avait confié au consultant Roland Berger le soin de mener une étude stratégique au sein des départements Security et Maintenance. Ses conclusions pèsent encore aujourd’hui sur les relations entre direction et syndicats car l’hémorragie sociale pourrait reprendre de plus belle. “J’ai quelques craintes sur l’application des conclusions du rapport… Le directeur du département des opérations, Ruben Sicking, rêve d’appliquer ce plan, ce qui coûterait entre 140 et 160 emplois…, confie Jan François. Pourtant, les horaires de bon nombre de services opérationnels laissent apparaître un problème de sous-effectif… Il faudrait plutôt engager entre 50 et 100 personnes.”

Autre sujet sensible : l’ouverture, en mai prochain, de négociations pour l’élaboration d’une convention collective de travail (CCT) 2011- 2012. Problème : la marge budgétaire pour la conclusion d’une CCT est très étroite.

7 Parler plus fort que Luc Van den Bossche

Depuis le 1er novembre 2005, Luc Van den Bossche n’occupe plus le siège de CEO de l’aéroport mais il est président du conseil d’administration, et pèse lourdement sur les décisions opérationnelles… Omniprésent selon certains, le père du plan Copernic – réforme de la fonction publique – a déjà obtenu la démission de Wilfried Van Assche. “Les divergences de vues étaient fondamentales et les prises de becs violentes”, raconte-t-on en interne. Dans ce contexte, Arnaud Feist aura peut-être du mal à se faire entendre…

Valéry Halloy

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