“Avec la Model 3, la voiture électrique a enfin une chance d’entrer dans la classe moyenne”

La Tesla Model 3. © AFP

Jusqu’ici les voitures électriques souffraient d’un prix élevé et d’une faible autonomie. La Tesla Model 3 pourrait changer la donne. Elle pourrait même venir concurrencer les autres modèles à carburant courus par les cadres. A condition que le constructeur parvienne à décupler rapidement sa production.

Le 1er avril, Elon Musk présentait sa Tesla Model 3, la première voiture électrique à prix abordable. Une semaine plus tard, 325.000 personnes l’avaient réservée, versant un acompte de 1.000 dollars. Soit une commande potentielle à 14 milliards de dollars. Du jamais vu dans le secteur.

Au-delà de l’exploit commercial – à transformer encore en exploit industriel, la Tesla Model 3 n’est pas une voiture électrique comme les autres. C’est en effet la première à venir faire un appel du pneu aux modèles à carburant équivalents au même tarif. Démarrant à 35.000 dollars, soit 30.000 euros, elle se situe précisément dans la catégorie des Audi A4, BMW Série 3 et autre Mercedes Classe C. Soit les voitures les plus commercialisées par les sociétés de leasing en Belgique. Avec des performances comparables, si pas supérieures : Elon Musk a annoncé une accélération de 0 à 100 km/h en moins de six secondes et des fonctions de conduite semi-autonomes.

Jusque-là, le choix de l’électrique se payait cher, même si la facture était adoucie parfois par une fiscalité favorable aux voitures propres, variable d’un pays (et d’une année) à l’autre. C’est ainsi que la toute petite MitsubishiMiev coûte 29.240 euros, c’est-à-dire plus du double des modèles concurrents similaires à essence. Et que l’excellente BMW i3, plus petite que la Model 3, est vendue à partir de 36.000 euros. L’autonomie des voitures électriques restait, elle aussi, souvent dissuasive : 240 km pour la Renault Zoe (22.000 euros), contre 340 km pour la Tesla Model 3.

Le sourire des sociétés de leasing

L’annonce a été bien reçue dans le monde belge du leasing. ” Il y a un grand potentiel pour la Tesla Model 3 “, confirme Miel Horsten, manager chez ALD, le partenaire financier de Tesla en Belgique pour les locations aux entreprises notamment. Même écho chez LeasePlan, un autre acteur important du secteur. ” Nous y croyons vraiment, c’est une belle voiture à un bon prix, affirme Gerry Van Aken, marketing manager de l’entreprise. Le hic pourrait toutefois se situer au niveau de sa finition américaine, qui peut donner une impression de moins bonne qualité face à la concurrence allemande. ” Quoi qu’il en soit, le plus grand défi de Tesla sera de gérer une gigantesque hausse de la production, puisqu’elle devra passer de 50.000 à 500.000 voitures en cinq ans.

L’accueil n’est pas différent chez les experts du secteur automobile comme Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center for Automotive Research de l’Université de Duisburg-Essen (Allemagne). ” Avec la Model 3, la voiture électrique a enfin une chance d’entrer dans la classe moyenne, estime-t-il. Les ventes devraient être meilleures encore que la BMW i3, le rapport qualité-prix jouant en la faveur de la future Tesla. L’arrivée de l’électrique Chevrolet Volt nouvelle génération (qui s’appellera Opel Ampera en Europe, Ndlr) et son autonomie de 300 km devraient ensuite rendre la voiture électrique plus répandue encore. ”

Pour Ferdinand Dudenhöffer, la meilleure preuve du futur succès des voitures propres sont ses résultats en Suisse, où la fiscalité n’encourage pas forcément ce type de motorisation. La Tesla Model S y trône en tête des ventes du haut de gamme (1.556 ventes en 2015), loin devant ses cousines de BMW, Rover, Audi et Mercedes. ” Cette situation devrait faire réfléchir les constructeurs actifs dans le haut de gamme “, conclut-il.

Le précédent réussi du Model S

Il faut dire que le Model S, commercialisé en 2012, a imposé le style Tesla sur le marché. L’approche du constructeur américain a consisté à vendre la voiture électrique non seulement comme une voiture propre, mais aussi comme un bolide performant, avec une autonomie jusqu’à 500 km, qui chatouille les belles Allemandes à carburant sur leur propre terrain. Tesla entre sur le marché par la bretelle haut de gamme, avec cette voiture vendue à partir de 73.000 euros. Une stratégie qui change de celles des généralistes, comme Renault-Nissan, qui misaient plutôt sur des modèles petits et moyens grand public.

Depuis sa sortie, la Tesla Model S s’est vendue à plus de 120.000 exemplaires (50.000 l’an passé). En Belgique, c’est de loin la voiture électrique la plus vendue, avec 820 immatriculations en 2015, soit 60 % d’un marché encore fort modeste.

Tesla s’est aussi montré habile pour convaincre les entreprises de leasing, essentielles pour toucher le marché des entreprises. ” Le niveau d’investissement est beaucoup plus bas que les autres modèles, le coût de maintenance de ces voitures électriques est réduit. En plus, la valeur résiduelle de la voiture est assurée par un contrat de leasing opérationnel “, précise Miel Horsten. Ce dernier point est crucial. Les loueurs sont mal à l’aise avec les nouvelles motorisations car ils n’ont pas l’expérience de la revente de ce type de véhicule. Or le niveau du loyer va dépendre de la valeur de reprise. Dans le doute, un loueur tendra à intégrer une revente médiocre pour éviter une mauvaise surprise, ce qui mène à un loyer élevé. Tesla a bien compris le souci. Il a dès lors convaincu les loueurs en leur garantissant une valeur de reprise. La Model S s’est ainsi surtout vendue en voiture de société. S’il répète cette formule pour la Model 3, ce que Tesla ne confirme toutefois pas encore, ce serait un bel incitant.

Tesla sur les traces d’Apple

L’incroyable engouement pour Tesla rappelle celui qu’a connu Apple. Elon Musk a remplacé le défunt Steve Jobs dans les esprits (lire l’encadré ” Les travaux d’Hercule d’Elon Musk “). Cet outsider de la Silicon Valley, qui a fait fortune avec Pay Pal, s’est investi dans les fusées, avec SpaceX, et la voiture électrique, avec Tesla. En réinventant à chaque fois les règles du secteur. A l’image d’Apple qui a réinventé les smartphones. SpaceX a bousculé le marché somnolent des lanceurs de satellites avec des fusées à petit prix. Et Tesla est en train de démentir la règle d’airain selon laquelle il serait impossible, aujourd’hui, de créer un nouveau constructeur automobile. Pour rappel le plus jeune sur le marché s’appelle Chrysler et a été fondé en 1925. Tous les autres s’y sont cassé les dents, comme De Lorean.

Fondée en 2003, Tesla suit ses propres règles. Qui n’ont rien à voir avec celles des grands constructeurs comme Volkswagen, Ford ou encore Toyota. Plutôt que de faire fabriquer des batteries sur mesure pour ses voitures – comme le font ses concurrents, Tesla a eu recours à des batteries meilleur marché utilisées pour les ordinateurs, packagées en masse. Contrairement aux constructeurs de voitures, qui sous-traitent la majorité des pièces de leurs véhicules, Tesla privilégie le fait maison. Le constructeur compte en effet fabriquer lui-même ses batteries, dans une usine gigantesque du Nevada à partir de 2017 et, plus tard, en Europe. Autre différence : la distribution des Tesla se fait en ligne directe. Elle ne recourt donc pas à des concessionnaires indépendants, se situant le plus souvent le long des routes nationales ou dans les zonings. Les Tesla se vendent dans des centres commerciaux, comme celui de l’avenue de la Toison d’Or, à Bruxelles, par exemple.

Tesla pousse l’intégration verticale jusqu’à développer son propre réseau de stations de recharge, accessibles gratuitement aux clients, pour leur assurer qu’ils pourront faire de longues distances, aux Etats-Unis et en Europe. Lors de l’annonce de la Model 3, Elon Musk a même promis de doubler ce réseau, passant de 3.600 à 7.200 postes. Une augmentation nécessaire pour absorber la nouvelle clientèle.

Une vraie start-up, pertes comprises

Comme toute start-up en vue qui se respecte, Tesla ne gagne toujours pas d’argent mais est valorisée à un niveau élevé : 36 milliards de dollars (valorisation boursière du 7 avril). Les bénéfices sont prévus après 2020. En 2015, Tesla annonçait 4,04 milliards de dollars de ventes (+26 %) et 888 millions de dollars de pertes. Avec une production de 50.000 voitures, Tesla affiche une valorisation proche de celle du rentable Nissan, qui a vendu plus de 5 millions d’autos l’an passé. Les investisseurs sont persuadés que l’entreprise d’Elon Musk peut bouleverser le marché automobile en imposant la voiture électrique. Ils lui attribuent dès lors une valorisation de société à forte croissance, de type Facebook ou Amazon.

Morgan Stanley y croit et parie que l’action, qui se situait encore à 249 dollars le 12 avril, pourrait arriver à 333 dollars. ” Malgré quelques accomplissements louables, Tesla n’a pas encore réellement perturbé l’industrie automobile, écrit l’analyste Hans Jonas. Nous avons maintenant le sentiment que cela va commencer à changer. ”

Son impression est que Tesla finira par commercialiser ses voitures à l’usage, soit une sorte de service Tesla Mobility. Ce qu’Elon Musk n’a jamais annoncé, ni d’ailleurs démenti. Pour Hans Jonas, Tesla est très bien placé pour lancer un service de voitures partagées basé sur des applications : ses voitures sont en effet hautement connectées et reliées par réseau GSM pour mettre à jour les logiciels ou encore recevoir des informations télémétriques.

Le succès réel de la Tesla Model 3 va dépendre de deux éléments : l’autonomie du modèle et la capacité de la société à exécuter les commandes. Cette première condition est remplie sur papier. Reste à la confirmer dans les faits. ” L’autonomie de la Tesla peut cependant être un réel problème pour le public visé, soit les grands rouleurs, pour qui une autonomie de 350 km peut être considérée comme trop modeste “, avance Guido Savi, head of automotive consultancy au HBC Group. La Model S, qui dispose d’une plus grande autonomie, touche d’ailleurs une clientèle qui roule moins et dispose souvent de plusieurs automobiles. ” Je pense qu’il y aura une option ou un modèle qui permettra une autonomie de 500 km, glisse Ferdinand Dudenhöffer. Ce sera sans doute le plus vendu des Model 3. ”

Electriques contre hybrides

D’autres constructeurs premium règlent cette question en misant surtout sur des hybrides rechargeables, soit des voitures roulant à l’électricité sur plusieurs dizaines de km et switchant ensuite sur un moteur à carburant. ” Je pense que même à moyen terme, la voiture hybride offre le plus de potentiel, estime Jean-Michel Martin, concessionnaire chez BMW. Avec une voiture électrique, il faut toujours anticiper son trajet. ” Le cas de BMW est d’ailleurs intéressant : le modèle électrique i3 est vendu avec un moteur à essence optionnel qui produit le courant électrique pour alimenter la batterie lorsque cette dernière est épuisée. Les ventes de cette dernière version sont plus importantes, en Belgique, que l’électrique pure (262 en 2015 vs 117). BMW a fortement étoffé ses modèles hybrides rechargeables, dans toutes les catégories. L’importateur vend actuellement autant de X5 hybrides que de modèles à carburant. Plus rassurantes pour les clients, les hybrides sont aussi favorisées fiscalement, en particulier en Flandre, région appliquant les meilleurs incitants pour favoriser les voitures à faible émission de CO2.

Même Porsche est passé à l’hybride avec le Cayenne : 788 immatriculations en Belgique en 2015. Plus timides dans leurs propositions électriques, les marques allemandes ne semblent pas insensibles à la pression de Tesla. BMW promet une voiture électrique plus grande dans le futur. Mercedes aussi. Audi va fabriquer un SUV électrique dans l’usine de Forest à partir de 2018. Il ira concurrencer la Tesla Model X qui devrait arriver fin de cette année en Belgique.

Cette préférence pour les hybrides est jugée inquiétante par Ferdinand Dudenhöffer, qui y voit des investissements perdus. ” Les constructeurs font fausse route avec les hybrides, estime-t-il. Ces voitures qui roulent électriquement sur 30 à 50 km coûtent 10.000 à 15.000 euros de plus que leurs homologues version diesel. Elles sont en outre très lourdes, car elles nécessitent deux motorisations, des batteries et un réservoir. Enfin, le gain en émissions CO2 est trompeur, car celui-ci s’explique par des normes de tests qui flattent les résultats officiels. ” Le souci est qu’il faudra parvenir en 2022 à une émission moyenne de 95 grammes et que le scandale Volkswagen augmente la pression sur l’industrie. Les nouveaux tests de certification, plus conformes à un usage réel, seront moins favorables aux hybrides. ” La voiture hybride a un avantage essentiel pour les constructeurs de voitures : il permet de les produire tout de suite, de vendre. Un modèle électrique réclame plus de temps “, rappelle de son côté Guido Savi.

Réussir le Model X avant la Model 3

Dernière grande question pour Tesla : le constructeur va-t-il réussir à livrer son bolide dans un délai raisonnable ? Il est encore un petit constructeur de niche, qui a sorti environ 50.000 voitures l’an dernier. Elon Musk promet de passer à 500.000 voitures par an en 2020. Mais même les analyses les plus favorables à Tesla sont sceptiques. Hans Jonas (Morgan Stanley), ne voit pour sa part pas Tesla arriver à ce chiffre avant 2025. Il calcule à 249.000 voitures la production qui sera atteinte en 2020.

Des prévisions qui semblent cohérentes, si l’on tient compte des retards accumulés par la Model S et le Model X. En plus de ces deux années de retard, ce dernier affronte encore des maladies de jeunesse : Tesla vient en effet de rappeler 2.700 de ces SUV. En cause : la troisième rangée de sièges, qui peut potentiellement bouger en cas d’accident, bien que Tesla assure qu’il n’y ait pas eu d’accident impliquant ce souci.

Très attendu, le Model X présenterait également des problèmes de mise au point de ces étonnantes portes arrière à ouverture verticales (papillon). ” On a mis trop de nouvelles fonctions et de technologies, trop de grandes choses en même temps dans un produit “, s’est excusé Elon Musk en février, lors de l’annonce des résultats de 2015. Transformant par là même ses excuses en quasi argument de vente.

Un modèle ou une famille de modèles ?

Cette propension au retard est connue des fans de Tesla. C’est peut-être la raison qui a dopé le nombre de réservations. Ces dernières sont plus des options que des achats fermes. En payant 1.000 dollars, chaque client obtient une priorité pour être livré, et garde la faculté de changer d’avis et de se faire rembourser.

Elon Musk s’est par ailleurs montré plus flou qu’on ne le pense en présentant la Model 3. Il n’a donné que quelques caractéristiques de la voiture (premier prix, accélération, autonomie). Il semble par exemple que la Model 3 soit plus une déclinaison de différents modèles (dont un SUV) qu’une berline unique. Des surprises peuvent donc encore survenir. Elon Musk, ou l’art de maintenir le suspense pour compenser les moments difficiles par des annonces séduisantes. Robert Van Apeldoorn

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