Avec l’acquisition de Monsanto, Bayer cloue le bec des sceptiques

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Le groupe allemand Bayer est parvenu, après quatre mois d’insistance, à mener à bien son acquisition de l’américain Monsanto, et d’ainsi garder la face. Le deal est le plus important jamais réalisé par une entreprise allemande.

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Par l’acquisition de Monsanto, Bayer devient le plus grand producteur d’engrais, de pesticides et de semences du monde. Pour ce faire, le groupe de Leverkusen doit débourser 66 milliards de dollars, dettes incluses, soit 4 milliards de dollars de plus que lors de la première – et alors inattendue – offre de Bayer début mai. Le géant allemand a depuis lors augmenté son offre à trois reprises, pour maintenant en arriver à 128 dollars par action Monsanto, une prime de 44% sur le cours de clôture du jour de la première offre. Pour financer son acquisition monstre, Bayer puise 19 milliards de dollars via des obligations convertibles et emprunte 57 milliards supplémentaires auprès d’une poignée de banques.

Avec l’acquisition de Monsanto, le leader absolu du marché des semences agricoles, Bayer en bouche un fameux coin aux nombreux sceptiques. Pas mal d’actionnaires et d’analystes ne voyaient pas le deal d’un bon oeil parce que Bayer aurait dû se financer en grande partie avec des dettes et ils craignaient que les autorités chargées de la concurrence imposent à Bayer de se défaire d’une série d’activités fortes. Ensuite, d’autres actionnaires auraient préféré que Bayer renforce surtout sa division pharma, alors que certains craignaient que la mauvaise réputation de Monsanto déteigne sur le fier Bayer. Ainsi, Monsanto porte encore toujours le surnom de Monsatan, surtout pour sa production de semences génétiquement modifiées violemment critiquées en Europe, mais aussi pour son très contesté herbicide, le Roundup.

Complémentarité

Mais malgré ce scepticisme, plus la résistance de Monsanto persistait, plus Bayer paraissait certain de son affaire. Ces derniers mois, le nouveau CEO, Werner Baumann, n’a épargné ni son temps ni ses efforts pour convaincre les marchés du potentiel de cette acquisition, et l’Irlandais Liam Condon, responsable chez Bayer de la branche de protection phytosanitaire, a clairement précisé, la semaine dernière déjà, que Bayer ne lâcherait plus sa proie américaine. “Cela accélère notre stratégie. Si nous ne le faisons pas, cela durera plus longtemps pour arriver là où nous désirons être”, déclarait Condon qui, dans l’annonce du deal, esquissait aussi implicitement l’énorme potentiel du business des activités dans le domaine agricole. “Le secteur agricole est central pour l’un des plus importants défis de notre temps: comment allons-nous nourrir 3 milliards de personnes en plus d’ici 2050 ?”, disait Condon.

Baumann et Condon font également explicitement référence à la grande complémentarité stratégique et géographique entre Bayer et Monsanto. Les personnes au top de Bayer comptent aussi sur 1,5 milliard de dollars des gains de synergies à partir de la troisième année. Dans notre propre pays aussi, où Bayer a un centre d’innovation en biotechnologie des plantes à Gand, on a à peine douté du deal avec Monsanto. “Les fermiers désirent des solutions intégrées, à l’heure actuelle”, ressort-il là.

Les dirigeants de Bayer espèrent désormais que les autorités chargées de la concurrence ne torpillent pas le deal. Raison pour laquelle ils ont marqué leur accord avec une indemnité de rupture de 2 milliards de dollars pour Monsanto, au cas où le deal devait tout de même encore être contrecarré. “Nous avons fait nos évaluations”, dit Baumann. “Avec les équipes des deux côtés, nous avons débattu des potentiels topics antitrust, et nous pensons que c’est totalement maîtrisable.” Pourtant, certains analystes n’en sont absolument pas persuadés. “Nous estimons la probabilité d’approbation à 50%”, avance un analyste de Bernstein au Financial Times.

Contexte de consolidation

Quoi qu’il en soit, Bayer n’a pas d’autres options, s’il veut mettre en oeuvre sa réorientation stratégique drastique annoncée en fanfare. Cette nouvelle stratégie a été lancée par le hollandais Marijn Dekkers, à qui Baumann a succédé en avril. Sous Dekkers, Bayer avait résolument opté pour le pharma et le phytosanitaire, aux frais du département des matières plastiques MaterialScience. Cette division, qui est active dans notre pays au port d’Anvers et à Tielt, est devenue une société indépendante et mise séparément en bourse l’an dernier sous le nom de Covestro.

Baumann et Condon ont notamment été contraints de participer au round – probablement final – de consolidations dans le secteur agrochimique qui sévit à plein. Cette consolidation a été engagée par Monsanto l’an dernier, avec trois essais infructueux pour acquérir le suisse Syngenta. Fin de l’an dernier, le duo américain Dow Chemical et DuPont a annoncé leur fusion. Dans une phase ultérieure, ce groupe de fusion sera scindé en trois sociétés indépendantes cotées en bourse, dont l’une d’elles se concentrera sur les produits phytosanitaires et les semences génétiquement modifiées. En février, Syngenta, le plus important acteur dans les produits agrochimiques devant Bayer, a fameusement surpris Monsanto en répondant à une offre d’acquisition plus basse de la part de ChemChina. Que Bayer ne cible pas Syngenta, c’était à prévoir. Les deux ont une position trop forte dans les produits agrochimiques.

Du fait de ces deux méga-fusions, tant Bayer que Monsanto ont été évincés du devant de la scène, ce qui, surtout dans les quartiers généraux du fier Bayer à Leverkusen, était probablement difficile à digérer. En partie pour éviter de perdre la face, l’acquisition de Monsanto devait dès lors aboutir. Mais Monsanto devait aussi se contenter de moins s’il ne voulait pas être quelque peu laissé pour compte sur le marché des produits agrochimiques. C’est probablement pourquoi l’accord s’est fait avec une offre inférieure aux 130 dollars minimum par action espérés auparavant. En mai, certains analystes avaient même pensé que 140 à 150 dollars par action seraient nécessaires pour persuader Monsanto de céder son indépendance. Les résultats du troisième trimestre, plus mauvais que prévu, ainsi que les prévisions pâlottes, conséquences des prix inférieurs pour les produits agricoles, auront indubitablement participé à convaincre Monsanto à accepter, malgré tout, la demande en mariage de Bayer.

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