Après 5 ans de cessions et de rachats, Solvay change de visage

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Au-delà de la somme en jeu, soit 1,6 milliard d’euros, la cession des activités polyamides à BASF marque pour le groupe chimique belge la fin du redéploiement majeur planifié voilà cinq ans. Il a aujourd’hui changé de visage.

La moitié du personnel actuel de Solvay n’en faisait pas partie du groupe il y a cinq ans et la proportion est même des deux tiers au niveau des activités. C’est, en substance, ce que se plaît à répéter Jean-Pierre Clamadieu, président du comité exécutif du groupe, pour illustrer le chemin parcouru depuis 2012, lorsqu’il en prit la tête. Il dirigeait auparavant le chimiste français Rhodia, issu du démantèlement de Rhône- Poulenc, le géant historique de la chimie française. Solvay rachète Rhodia fin 2011… en même temps que son patron, a-t-on ironisé à l’époque, auréolé du superbe redressement qu’il y a opéré. La mue de Solvay n’est probablement pas terminée, mais la vente des activités polyamides au géant allemand BASF, annoncée le mois dernier, constitue la dernière étape de la transformation radicale du portefeuille d’activités. Conséquence : alors que les plus gros clients du groupe étaient naguère les fabricants de verre, qui lui achètent son carbonate de soude, ils ont maintenant pour noms Boeing, Apple et Airbus.

Cinq milliards à la vente…

Solvay n’a pas attendu Jean-Pierre Clamadieu pour réaliser quelques opérations d’envergure. Fin 2001, le groupe chimique rachetait ainsi l’italien Ausimont pour 1,3 milliard d’euros, doublant sa production de produits fluorés et devenant numéro deux mondial. Une opération applaudie par les analystes financiers. Fin 2009, c’est une méga-cession qui intervient : Solvay abandonne ses activités pharmaceutiques, que l’américain Abbott paie plus de 5 milliards de dollars, dont 4,5 milliards en cash. Un prix probablement excessif, jugeront nombre d’analystes américains. Traduction : une autre belle opération pour le groupe belge. Ce joli trésor de guerre permet à Solvay de lancer une OPA amicale sur Rhodia deux ans plus tard, pour 3,4 milliards d’euros.

Les plus gros clients du groupe étaient naguère les fabricants de verre, ils ont maintenant pour nom Boeing, Apple et Airbus.

L’arrivée de Jean-Pierre Clamadieu va toutefois spectaculairement accélérer les choses : plus et plus vite ! Son credo est clair : abandonner la ” vieille chimie ” au profit de la chimie de spécialités. Pourquoi ? Parce que la première exige de gros volumes, et donc de gros investissements en usines, pour être rentable. C’est tout le contraire pour la seconde : volumes plus faibles, mais énorme valeur ajoutée. En toute logique cependant, le prix d’entrée sur ces marchés est fort élevé et Solvay devra dès lors payer le prix fort pour s’en ouvrir les portes par l’acquisition d’acteurs établis. Première opération en 2013 : le rachat, pour 1,34 milliard de dollars, de Chemlogics, fabricant américain de spécialités utilisées dans l’extraction du pétrole et du gaz, un (très) gros complément aux activités apparentées de Solvay. A posteriori, il est clair que c’était sans doute, ou bien trop tôt, ou bien trop tard. Après deux années difficiles, la situation s’améliore toutefois, dans le sillage de la reprise des productions pétrolière et gazière aux Etats-Unis. ” Les activités ont repris la trajectoire de croissance imaginée au moment de réaliser cette acquisition “, affirme Jean-Pierre Clamadieu.

… et cinq milliards à l’achat

Intervient en 2015 le rachat emblématique de Cytec, producteur américain de matériaux composites à destination de la construction aéronautique (mais aussi de quelques autres spécialités pointues). Numéro deux mondial dans ce domaine, Cytec emploie 4.600 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 2 milliards de dollars. Solvay déboursera 5,5 milliards de dollars, au point de devoir réaliser une augmentation de capital de 1,5 milliard d’euros. Le pari est donc énorme ! Le cours de Solvay dévisse, mais Jean-Pierre Clamadieu emporte l’adhésion des actionnaires.

Certains d’entre eux pouvaient s’inquiéter du chamboulement imposé au vénérable groupe familial, d’autant qu’une importante cession avait entre-temps été programmée : le PVC. Opération clôturée anticipativement au printemps 2016, pour un demi-milliard d’euros environ au total. Force est toutefois de constater que Jean-Pierre Clamadieu affiche encore moins de tabous à l’égard de l’ex-Rhodia. L’an dernier, le groupe cède ainsi sa filiale Acetow, qui produit la cellulose d’acétate utilisée dans la fabrication des filtres de cigarettes. On ne peut qualifier cette activité de marginale, puisque l’acquéreur, le fonds américain Blackstone, débourse un milliard d’euros ! Acetow était-il leader mondial ? Loin de là : il était numéro trois. La cigarette est visiblement un gros business à l’échelle planétaire… ” Cette activité était très satisfaisante, mais elle ne répondait plus à nos objectifs stratégiques, justifie le CEO. Pour deux raisons : d’une part, ce n’est pas un métier de croissance. De l’autre, il est associé au tabac, ce qui ne répond plus à notre volonté de développement durable. ” C’est également un héritage de Rhodia qui disparaît aujourd’hui du périmètre Solvay, avec la vente à BASF des polyamides, bien connus du public sous le nom nylon. Et pour 1,6 milliard, alors que certains analystes avançaient au départ un prix inférieur de moitié !

Solvay vient de céder à BASF ses activités polyamides pour un montant de 1,6 milliard d'euros.
Solvay vient de céder à BASF ses activités polyamides pour un montant de 1,6 milliard d’euros.© BELGAIMAGE

De l’avion à l’auto. Et vice-versa

Solvay escompte 100 millions de synergies annuelles suite au rachat de Cytec. Ce n’est pas colossal à l’aune des montants en jeu, mais l’essentiel est ailleurs. En fait, c’était le sésame indispensable pour pénétrer le marché aéronautique, le groupe belge étant lui-même bien introduit dans la construction automobile. C’est la combinaison de ces deux débouchés qui doit engendrer les vraies synergies espérées. Le grand dessein de Jean-Pierre Clamadieu est en effet de promouvoir davantage les polymères spéciaux de Solvay dans les avions et d’introduire les matériaux composites de Cytec dans les voitures. Les polymères sont déjà présents dans les cabines des avions, mais il y a moyen d’en faire davantage. Le coût élevé des matériaux composites freine par contre leur pénétration dans la construction automobile, où les gains de poids n’ont pas la même valeur que dans l’aéronautique. Ce qui devrait l’emporter, ce sont les qualités de résistance sans cesse améliorées de ces matériaux, tandis que l’émergence des voitures électriques semble accélérer le mouvement. Avec pour clients quelques marques très haut de gamme et la Formule 1, l’automobile représente aujourd’hui un petit dixième des ventes de matériaux composites. Lorsque ceux-ci auront conquis la voiture de Monsieur Tout-le-Monde, Cytec aura changé de dimension. Et Solvay définitivement démontré le bien-fondé de sa mue.

Interview de Jean-Pierre Clamadieu, CEO de Solvay – Prochain cap : la recherche en Belgique

TRENDS-TENDANCES. Le groupe Solvay n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il était voilà à peine cinq ans. Comment le résumer aujourd’hui ? Et qui mieux que son président ?

JEAN-PIERRE CLAMADIEU. Le groupe avance aujourd’hui sur trois pieds. Le premier, ce sont les matériaux de performance, qui représentent la moitié de nos activités. Ces matériaux non métalliques ont un potentiel de développement dans beaucoup d’applications, car ils apportent des fonctionnalités très originales autour de l’allègement, de la résistance mécanique, de la résistance à la température ou encore aux agressions chimiques. Ceci nous permet d’offrir des solutions nouvelles à nos clients dans des domaines aussi variés que l’automobile, l’aéronautique, les smart devices (tablettes, smartphones, etc., Ndlr), ou encore le médical. Ainsi, nous proposons des polymères offrant une résistance mécanique et thermique supérieure à celle des alliages de titane les plus évolués. Aux polymères spéciaux et matériaux composites dont il s’agit ici, j’ajouterais la silice, qui représente un chiffre d’affaires assez significatif et dont nous sommes leader.

Le deuxième pied, la chimie des surfaces, est également un vecteur de croissance. Il s’agit ici de contrôler ce qui se passe à l’interface entre deux liquides, ou entre un liquide et un solide, en utilisant des tensio-actifs. Cette chimie est intéressante en raison du nombre très élevé de ses applications. En cosmétique et détergence, il s’agit très concrètement de séparer la saleté du cheveu ou du tissu. Le tensio-actif, c’est ce qui fait mousser, et c’est cette mousse qui décolle la saleté. Dans l’exploration pétrolière, il faut séparer la goutte de pétrole de la roche. On peut encore citer certaines applications de peintures ou revêtements.

Le troisième pied sur lequel repose Solvay, ce sont le carbonate de soude et les peroxydes, domaines dans lesquels le groupe est leader mondial. Ces deux métiers plus traditionnels sont, à long terme, capables de contribuer à sa croissance grâce à une belle génération de cash. Ces deuxième et troisième pieds représentent chacun environ un quart de l’activité.

Vous avez qualifié ces deux métiers plus traditionnels de vaches à lait du groupe en raison de leur contribution importante au cash-flow. Quelles sont les raisons de ces belles marges récurrentes ?

Ce qui est important dans une activité, c’est la capacité à se différencier des concurrents, à bénéficier d’un pricing power. Dans les matériaux avancés, on se différencie par l’avance technologique. Dans le carbonate de soude, c’est par la qualité, la fiabilité, mais aussi par un positionnement un peu partout dans le monde. Ceci nous permet d’accompagner nos clients, avec une chaîne d’approvisionnement efficace. La différence, c’est aussi, voire surtout, la compétitivité. Dans le domaine des peroxydes, Solvay maîtrise des procédés qui lui permettent de faire mieux que les concurrents et à moindre coût.

Moins d’administration à Bruxelles, mais plus de recherche : telle semble aujourd’hui être votre stratégie en Belgique.

Attention : des fonctions administratives et de support, il y en a partout dans le monde et cela ne signifie pas nécessairement moins de monde ici ou là. Cela étant, oui, nous voulons effectivement renforcer la vocation de notre pôle bruxellois, autour du quartier général et des autres fonctions, mais également autour de la recherche et de l’innovation. Nous avons aujourd’hui plusieurs équipes, mais pas un vrai centre de recherche. Nous allons clarifier nos ambitions sur ce terrain durant les prochains mois.

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