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“Alstom-Siemens, questions autour d’un champion”

Depuis quelques jours, Paris et Berlin regardent vers Bruxelles avec des yeux revolver. Les capitales allemande et surtout française sont encore rouges de colère suite au refus de la Commission européenne d’entériner le mariage entre Alstom et Siemens.

Ces épousailles auraient pu donner naissance à un champion du matériel ferroviaire, capable de rivaliser avec CRRC, le géant chinois qui s’accapare 70% du marché mondial. Las, l’Europe a dit non, et le ministre français de l’Economie, Bruno Lemaire, a fustigé une ” faute politique ” qui ” affaiblit l’Europe “.

Houla, restons calmes ! Que l’Europe ait besoin de se construire une vraie stratégie industrielle, c’est une évidence. Mais la fusion entre Siemens et Alstom n’était pas une réponse à ce défi. Elle aurait simplement, comme l’ont fait remarquer les régulateurs nationaux, créé un super monopole dans certains domaines, tel celui des systèmes de sécurité. Les équipements auraient été plus chers, et cela aurait finalement contribué à augmenter le prix du billet de train ou nécessité davantage de subsides. D’ailleurs, tous les opérateurs européens, Infrabel compris, se sont frotté les mains à l’annonce de cet échec.

L’Europe, qui avait au départ été pionnière dans la sustentation magnétique, semble l’avoir abandonnée. Aurait-on encore raté un train ?

On a comparé ce projet de mariage à celui d’Airbus et Bombardier. C’est aller un peu vite. Dans le domaine aérien, il s’agissait de faire face au monopole de l’américain Boeing. Rien de tel ici puisque tant Alstom que Siemens ont le monopole des trains à grande vitesse dans leur marché national respectif. Et comme l’a fait remarquer la commissaire européenne à la Concurrence, l’inflexible Margrethe Vestager, l’arrivée d’un concurrent chinois sur le marché européen est ” hautement improbable dans un avenir prévisible “. Et puis, si cette histoire d’amour ferroviaire avortée rappelle que l’absence de stratégie industrielle européenne est déplorable, elle souligne aussi que ce problème doit être traité au niveau des Etats. Finalement, l’exécutif européen ne fait qu’appliquer les règles décidées par les gouvernements.

Il y a donc du travail pour à la fois préserver une ” saine concurrence ” mais aussi pour aider chez nous au développement de secteur d’activités porteurs d’emplois qualifiés. Et ce travail ne réclame pas seulement des efforts politiques. Les entreprises aussi doivent se demander quel comportement elles doivent adopter pour asseoir leur pérennité.

Et il y a bien des domaines où le manque de réflexion est hautement dommageable : pourquoi, par exemple, favoriser aveuglément la course au digital, à la voiture électrique et à l’énergie dite verte ? Ces produits ne sont pas sans impact sur l’environnement (voir Trends-Tendances du 31 janvier). L’extraction des métaux nécessaires à la production des batteries et des pièces indispensables au fonctionnement d’une multitude d’appareils connectés censés révolutionner l’économie est aussi polluante, voire plus que l’exploitation pétrolière. Et si l’on veut rouler dans des véhicules électriques pour combattre le réchauffement climatique, il faudrait ne charger les batteries qu’avec de l’électricité produite sans énergie fossile, ce qui est loin d’être le cas dans la majeure partie des pays européens. N’avons-nous pas abandonné une technologie européenne (celle des moteurs thermiques) pour une technologie chinoise (le moteur électrique) sans gagner ni climatiquement, ni industriellement au change ?

Revenons au rail. Voici une dizaine d’années, les entreprises chinoises ont commencé à exporter des trains à grande vitesse en Amérique ou en Afrique. Car, au début des années 2000, les entreprises occidentales ont accepté de réaliser des transferts de technologies pour conquérir le marché chinois. La conquête fut éphémère. Et la connaissance acquise a permis à la Chine de créer une véritable industrie qui désormais roule à grande vitesse sur ses propres rails : Pékin travaille à un super TGV qui pourrait voyager à plus de 1.000 km /h. La Chine, mais aussi Elon Musk aux Etats-Unis, le Japon, la Russie, le Brésil travaillent sur des trains à sustentation magnétique. Et l’Europe, qui avait au départ été pionnière dans cette technologie, notamment en Allemagne qui avait équipé une première ligne… chinoise, semble l’avoir abandonnée. Aurait-on encore raté un train ?

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