Alstom Belgique, le Carolo qui équipe les métros chinois

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Dans les bâtiments historiques bordant la Sambre, les ingénieurs ont pris le pas sur les ouvriers. A Charleroi, on ne fabrique plus guère, mais on conçoit les équipements ferroviaires du 21e siècle.

Ici, on engage ! ” Près de la moitié du recrutement annoncé en décembre dernier est aujourd’hui réalisé “, précise Marcel Miller, managing director d’Alstom pour le Benelux. La porte reste donc ouverte à une petite trentaine d’ingénieurs et techniciens. Ces engagements font suite aux nombreux contrats signés l’an dernier par le groupe ferroviaire français, auquel l’usine de Charleroi participe très largement. Après les métros de Pékin, Shanghai ou encore Ninjing, c’est celui de Qingdao, dans la province côtière de Shandong (située entre Pékin et Shanghai, face à la Corée), qui a confié la réalisation de son réseau au géant du transport par rail. Le matériel est fabriqué en Chine, par la filiale locale du groupe, mais la conception relève essentiellement des bureaux d’études européens. Dont ceux de Charleroi, centre d’expertise mondial d’Alstom dans deux technologies de pointe. On est très loin de l’industrie lourde, en dépit de l’aspect extérieur des lieux…

Le royaume de la matière grise

Marcel Miller,
Marcel Miller, “Managing director” d’Alstom Benelux: “La diversité des réseaux explique l’expertise européenne dans le matériel ferroviaire.”© DR

Alstom Charleroi reste logé dans un bâtiment historique qui fleure bon la révolution industrielle : sa partie la plus ancienne remonte à la fin du 19e siècle. Plusieurs grands halls ont toutefois conservé leur utilité. Ici, on construit des ” prototypes ” grandeur nature pour tester le matériel et le faire ensuite certifier par le client. Là, on monte les 1.400 cabines de contrôle, appelées shelters, qui équipent progressivement le réseau ferroviaire belge. Chacune récolte de l’information auprès de quelque 200 sources : feux, aiguillages, passages à niveau, sans oublier les balises qui agrémentent la voie tous les kilomètres et détectent le passage des trains. Une trentaine de centres de contrôle superviseront ces cabines. Entamée en 2007, l’opération sera terminée en 2019. Chacun de ces shelters, de la taille d’un petit mobile home, embarque 4,5 tonnes d’équipements, y compris du matériel de production d’électricité. On comprend que ce contrat signé avec Infrabel porte sur un demi-million d’heures de travail.

Le décor est tout différent dans le reste du bâtiment, largement réaménagé : bureaux paysagers, écrans d’ordinateurs, équipements informatiques divers… Le royaume de la matière grise. L’ancienne usine carolo concentre une des plus grandes communautés d’ingénieurs du pays. ” Quand je suis arrivé en 2005, les ouvriers étaient encore majoritaires, se souvient Marcel Miller. Ils étaient 400 sur un total de 700 personnes. Nous sommes actuellement un bon millier, dont plus de 550 ingénieurs. Parmi eux, un petit tiers d’étrangers, de 28 nationalités différentes, souligne le directeur général. Il est opportun de pouvoir lire des appels d’offre non seulement en anglais, mais aussi en portugais (pour le Brésil, Ndlr) ou chinois par exemple. Et la diversité des cultures est un atout dans la gestion de projets pour une société qui exporte plus de 70 % de sa production et qui mène près de 100 projets à l’étranger. ”

Alstom Belgique a équipé plusieurs métros chinois en systèmes de traction.
Alstom Belgique a équipé plusieurs métros chinois en systèmes de traction.© DR

La désunion fait la force

Au-delà des nombreuses péripéties ayant marqué son histoire, Alstom Belgique témoigne d’une remarquable continuité : c’est déjà la traction électrique qui était l’activité de base du site à ses débuts, en 1881. La Belgique installait alors des lignes de tramways aux quatre coins du monde. Aujourd’hui, c’est essentiellement pour les trains et métros que le site carolo conçoit de l’électronique de puissance et des systèmes de signalisation, deux domaines pointus dans lesquels Alstom Belgique n’est rien moins que le centre d’expertise mondial du groupe. De quoi s’agit-il, en quelques mots ?

Une production largement assurée au niveau local, après construction d’une usine et formation de la main-d’oeuvre. C’est aujourd’hui la voie obligée pour signer un gros contrat outremer.

L’électronique de puissance, c’est d’abord la traction, c’est-à-dire l’alimentation du moteur. C’est à ce titre que Charleroi a collaboré aux nombreux contrats obtenus ces dernières années par Alstom en Chine. La grande spécialité de la filiale belge, ce sont toutefois les convertisseurs auxiliaires, livrés des Pays-Bas à l’Australie, en passant par l’Allemagne et l’Afrique du Sud. ” L’électricité que le train prend à la caténaire sert aussi à plusieurs autres usages que la traction, explique Marcel Miller. Il y a l’ouverture des portes, l’éclairage, la climatisation, etc. Ces besoins sont alimentés par un deuxième réseau, qui fonctionne en 220 volts. ” Rien à voir avec la traction, où l’on travaille en 1.500 volts pour les trains français mais en 15.000 volts pour leurs confrères allemands, en 700 ou 3.000 volts dans les métros mais en 25.000 volts dans les TGV…

Au-delà de l’anecdote, ces voltages très différents révèlent l’énorme diversité qui caractérise les transports ferroviaires en Europe, conséquence d’un développement progressif vieux de près de deux siècles. Cette diversité, qui s’exprime également dans de nombreux autres domaines comme l’écartement des voies (il en existe trois différents… rien qu’en Espagne), le gabarit des tunnels, ou encore la signalisation, explique l’expertise du Vieux Continent dans ce secteur. D’autant que si le rail s’est de longue date développé sur les autres continents, il restait jusqu’il y a peu assez limité dans le transport de personnes, qui demeure dès lors une compétence européenne. Cette diversité des caractéristiques techniques explique également que le matériel et les équipements ferroviaires relèvent largement d’un travail sur mesure. Il n’existe ici guère de produits standardisés, comme dans l’aviation.

Un simulateur de conduite testé chez Alstom Belgique.
Un simulateur de conduite testé chez Alstom Belgique.© DR

Les signaux sont au vert

La signalisation est l’autre compétence mondiale de Charleroi, la plus importante d’ailleurs, puisqu’elle occupe 55 % du personnel. Tout tourne ici autour de l’ERTMS (European Trail Trafic Management System), le standard européen. C’est dans le cadre de l’ERTMS que Charleroi a développé la solution Atlas, avec l’aide financière de la Région wallonne. Les équipements livrés par Alstom Belgique portent tant sur le train que sur les bords de voie. L’entreprise a livré quelque 6.000 exemplaires des premiers, installés sur 130 types de train. Le palmarès est tout aussi impressionnant pour les seconds. En mars dernier, c’est en présence du roi Philippe que fut officiellement présentée l’installation d’Atlas sur le réseau ferroviaire de l’Est du Danemark. Un total de 734 km, appréciable et pourtant presque symbolique en regard des 18.000 km de voies en commande dans le groupe ! L’expertise européenne évoquée plus haut joue ici à plein. C’est en effet le système ERTMS qu’a choisi l’Australie. Et c’est lui aussi qui a été adopté par la Chine, quoique sous un autre nom.

Au sens figuré aussi, les signaux sont au vert chez Alstom. Le transport par rail a clairement le vent en poupe pour de multiples raisons, et ceci un peu partout dans le monde. Résultat : durant l’exercice 2016-2017 (clôturé au 31 mars) comme durant le précédent, le groupe a enregistré des commandes représentant une fois et demie son chiffre d’affaires (7,3 milliards). Le carnet pèse aujourd’hui 34,8 milliards, ce qui représente donc près de cinq ans d’activité. Après la signature d’un très gros contrat en Belgique fin 2015, les commandes se sont accumulées en 2016 : des trains Intercity aux Pays-Bas, de nouveaux TGV pour la ligne Boston-Washington, ou encore les 800 locomotives destinées à Indian Railways. Ce contrat de 3,7 milliards d’euros rappelle celui de 4 milliards signé en 2013 avec les chemins de fer sud-africains, pour la fourniture de 600 trains de banlieue, le plus important jamais obtenu par le groupe Alstom.

Un second souffle

En Inde comme en Afrique du Sud, la production sera largement assurée au niveau local, après construction d’une usine et formation de la main-d’oeuvre. C’est aujourd’hui la voie obligée pour signer un gros contrat outremer. A charge pour les sites historiques du Vieux Continent de jouer les têtes pensantes, même s’il leur reste également le montage des commandes locales et des éléments sophistiqués. D’où la proportion croissante d’ingénieurs dans les effectifs et l’accent mis sur la recherche ; son budget représente environ 8 % du chiffre d’affaires à Charleroi et elle occupe une centaine de personnes. Autre axe particulièrement porteur : la collaboration à la fois inter-entreprises et avec des universités et instituts techniques. ” Avec les pôles Mecatech en Wallonie et i-Trans de l’autre côté de la frontière, avec Polytech Mons et Polytech Lille, outre plusieurs universités, avec l’Agence ferroviaire européenne (à Valenciennes, Ndlr), ainsi que les sites Alstom de Charleroi et Valenciennes, sans oublier diverses autres entreprises, le Sud de la Belgique et le Nord de la France peuvent se prévaloir d’une expertise en transport ferroviaire forte de plus de 5.000 personnes, dont 2.000 ingénieurs “, s’enthousiasme Marcel Miller. Berceau de la révolution industrielle au 19e siècle, cette région transfrontalière a, dans cette spécialité, clairement trouvé un second souffle en ce début de 21e siècle.

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