A la rencontre de Nathan Blecharczyk, cofondateur de “Airbnb”

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Airbnb, présent dans 191 pays et devenu en très peu de temps un des poids lourds du logement touristique, doit de plus en plus faire face à des critiques venant de tous bords. Mais la société n’a pas l’intention de se laisser acculer, répond Nathan Blecharczyk, “chief technology officer” et l’un des fondateurs de cette entreprise qui pèse désormais plusieurs milliards de dollars.

Airbnb est une entreprise à deux visages. D’un côté, il y a l’alternative aux chambres d’hôtel standardisées qui suscite l’enthousiasme des consommateurs, ainsi que celui des propriétaires de logements qui empochent des revenus supplémentaires qui leur permettent, à eux aussi, de partir en vacances. De l’autre, il y a la face plus sombre de la success-story, avec les hôteliers professionnels, les voisins ou les autres habitants qui dénoncent tour à tour les nuisances provoquées par des voyageurs bruyants, l’envolée des prix immobiliers et l’exploitation commerciale illégale.

Ces plaintes ne sont pas dénuées d’un certain cynisme, selon Nathan Blecharczyk, un des fondateurs, que nous avons rencontré à San Francisco : ” L’économie de partage évolue et les villes sont en plein développement. Nous ne fuyons pas les discussions difficiles. Nous avons montré aux villes que nous sommes un partenaire fiable. Qu’il s’agisse de taxes ou de questions de sécurité. Tous ces aspects relèvent de notre responsabilité sociale. En tant qu’entreprise, nous voulons faire les choses bien. Notre modèle d’affaires est durable “. Durable et rentable : le chief technology officer, dont la participation dans Airbnb vaut aujourd’hui sur papier plus de 3 milliards de dollars, loue toujours chaque nuit une aile de sa maison via le site de son entreprise. Ce message positif que propage également l’entreprise de taxis Uber est fréquemment accueilli avec un certain scepticisme. Airbnb et Uber sont les start-up qui ont remporté le plus de succès ces dernières années. Les entreprises de l’économie collaborative tirent leurs revenus des commissions qu’elles perçoivent sur la mise à disposition des biens d’autrui. Dans le cas d’Airbnb, ces revenus proviennent des biens immobiliers du loueur (3 %) et des vacances des locataires (6 à 12%). Ces deux entreprises de San Francisco qui sont en train de conquérir le monde ne sont toutefois pas totalement comparables : Uber a toujours recherché la confrontation avec des acteurs historiques et les organes de régulation ; Airbnb opte pour une approche plus souple. Il faut dire que cette dernière, créée par des étudiants en design sans ressources, est davantage le fruit d’une vision idéaliste.

Bali à San Francisco

Entrer dans l’élégant siège d’Airbnb à San Francisco, c’est pénétrer dans un musée moderne avec des milliers de curiosités les plus diverses. De grands portraits d’hôtes célèbres sont accrochés aux murs. Les fondateurs sortent d’une formation en design et l’ancienne usine qui accueille désormais leur entreprise en est le reflet… ainsi que celui de leur site : les salles de réunion sont aménagées à l’image des plus beaux endroits proposés par les propriétaires de logements. Notre rencontre avec Nathan Blecharczyk se déroule d’ailleurs dans la copie exacte d’une résidence à Bali.

Airbnb est présent partout dans 191 pays. Il manque encore l’Iran et la Corée du Nord…

Nathan Blecharczyk a créé l’entreprise en 2008 avec Brian Chesky et Joe Gebbia. Les trois Américains ont découvert par hasard un besoin inconnu : loger dans la maison d’un autre. En quelques années, Airbnb a conquis une place importante dans le monde des voyages. Le site propose aujourd’hui deux millions d’endroits dans le monde entier.

A la Saint-Sylvestre, c’est un million de personnes qui louent un logement via Airbnb. Les lieux proposés vont du matelas gonflable dans un salon à l’un des 1.400 châteaux référencés sur le site, en passant par une péniche ou une cabane en bois. Avec un chiffre d’affaires estimé à un milliard de dollars, qui pourrait décupler au cours des cinq prochaines années selon les analystes les plus optimistes, les investisseurs font dans la queue pour apporter de l’argent frais. Airbnb mène actuellement des discussions pour une nouvelle collecte de fonds en prévision d’une entrée en Bourse qui sera presque inévitablement spectaculaire. L’entreprise privée vaudrait déjà le montant vertigineux de 30 milliards de dollars (la moitié du service de taxis Uber). Elle est pourtant sous le feu des critiques dans le monde entier. Même à San Francisco, sa ville d’origine, ainsi qu’à New York, elle fait l’objet de plaintes pour concurrence déloyale.

Récemment, un groupe international de représentants de villes s’est réuni à Amsterdam pour travailler ensemble à des règles communes pour les nouvelles entreprises de l’économie collaborative comme Airbnb et Uber. Nathan Blecharczyk reconnaît que la croissance explosive de la plateforme pénalise parfois Airbnb. Il réclame de la patience. ” Il n’est pas toujours possible de gérer toutes les discussions. Nous sommes présents dans 34.000 villes, et les problèmes varient dans chacune d’elle. D’un point de vue opérationnel, il est impossible de répondre à tout le monde en même temps. Mais nous avançons bien. ”

Hôtels illégaux

Partout dans le monde, des hôtels illégaux qui travaillent avec la plateforme Airbnb sont régulièrement fermés. De nombreuses villes établissent aujourd’hui une distinction claire entre les locations de vacances légales et les hôtels illégaux. Berlin a limité la location d’appartements entiers. Elle n’est autorisée qu’un mois ou deux par an. Dans de nombreux autres endroits, le nombre de clients est limité à quatre.

Mais il arrive que ces règles soient ouvertement bafouées. De nombreux propriétaires d’appartements ont installé des rangées de lits superposées qu’ils louent 12 mois sur 12, ce qui n’est pas sans irriter les voisins. Amsterdam prône la fermeté, avec en moyenne une fermeture par jour et des amendes de centaines de milliers d’euros. Mais les villes réclament aussi davantage de soutien d’Airbnb dans l’identification des abus. Or, celle-ci refuse de partager les données qu’elle possède sur les locataires, leurs revenus et le nombre de clients.

Des règles plus précises

Nathan Blecharczyk affirme qu’ils en font déjà beaucoup : ” Nous avons surmonté plusieurs écueils. Nous collaborons activement avec des centaines de villes. Nous entretenons des relations de très longue date avec certaines d’entre elles en Europe. Paris est une ville importante. Comme Amsterdam. ”

Il y a deux ans, Amsterdam était la première ville hors Etats-Unis avec laquelle Airbnb a pris les dispositions en matière de règles à suivre et de prélèvement de taxes au nom de la ville (5 % par réservation). A Bruxelles, tous ceux qui proposent des logements doivent se faire enregistrer et à Barcelone, le bourgmestre veut mettre le holà à la croissance de l’offre. En Grande-Bretagne, Airbnb, comme pour le service de taxi Uber, bénéficie d’une approche plus souple. Depuis ce printemps, les microentrepreneurs peuvent y gagner jusqu’à 1.000 livres par an sans être imposés.

En Belgique, ceux qui proposent des produits de l’économie collaborative bénéficient également d’un avantage, avec un taux d’imposition réduit. Airbnb fait figure d’exception puisque celle-ci et les autres plateformes en ligne qui permettent la location occasionnelle de chambres ou d’habitations ne tomberaient pas sous le nouveau régime fiscal actuellement préparé par le ministre Alexander De Croo : selon celui-ci, la location d’une chambre n’est pas un revenu divers (comme pour Uber), mais un revenu immobilier.

Offensive de charme

Entreprise jadis idéaliste, Airbnb se voit parfois reprocher d’être devenue une machine à cash sans âme. Au début de cet été, elle a lancé une grande offensive de charme pour souligner les relations personnelles et l’authenticité qui caractérisent son produit. Le tourisme de masse y est tourné en ridicule. Airbnb recueille des informations de plus en plus détaillées auprès des utilisateurs pour suggérer des quartiers ou des hôtes particuliers. L’idée est que les utilisateurs restent scotchés au site (ou à l’appli). Pour cela, les infos sont renouvelées et le site propose désormais des guides de voyage réalisés par des hôtes Airbnb. La stratégie pour le futur est claire : Airbnb veut jouer un plus grand rôle dans l’ensemble de la sphère voyage. L’entreprise ne travaille pas uniquement à une expansion aveugle. Elle expérimente également des services complémentaires, comme la location de vélos, les restaurants et les visites de galeries d’art. Ces services supplémentaires peuvent devenir une nouvelle source de revenus. Huit ans après la création d’Airbnb, la concurrence, estomaquée un temps par la croissance fulgurante de la plateforme de partage, a repris ses esprits. Les hôtels sont sous pression et se doivent de proposer des services originaux. Une consolidation est en cours. Cotée en Bourse, c’est Expedia qui mène la concurrence la plus agressive vis-à-vis de Airbnb. Elle a récemment racheté HomeAway pour 3,9 milliards de dollars.

Par Gerben Van Der Marel.

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