La méthode Michel De Coster

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Le plus grand regret de Michel De Coster après son éviction de chez Belgacom ? Quitter le navire sans avoir pu recueillir les fruits de ses innovations. L’homme ne manque pourtant pas de projets et planche actuellement sur la publication de ses conseils en management, dont il nous livre un avant-goût.

Qu’est-ce qui différencie un bon manager d’une tête d’affiche business ? “Tous les managers arrivent à un certain moment au sommet de leur capacité”, répond Michel De Coster (48 ans), ancien directeur de l’Enterprise Business Unit de Belgacom, que remplacera Bart Van Den Meersche (IBM) dès le début de l’année prochaine. “Ce qui distingue les stars, c’est que, même à ce moment-là, elles s’améliorent encore. Elles réussissent à trouver un subtil équilibre entre cerveau, coeur et tripes.”

Le cerveau : le grand ordinateur qui fait et défait les carrières

“La plupart des gens font carrière grâce à la qualité de leurs prestations. Ils effectuent un travail analytique et spécialisé qui se fonde souvent sur l’adage meten is weten (mesurer, c’est savoir). C’est malheureusement là que réside le danger. Les managers qui veulent décortiquer un maximum d’informations – et j’en vois beaucoup – travaillent jusqu’à se détruire. Ils ne quittent jamais leur bureau ou ne prennent pas le temps de parler à leur personnel”, pointe Michel De Coster.

“Lorsque l’on gravit les échelons, il devient impossible de connaître tous les chiffres et de les analyser soi-même. Il faut lâcher du lest. On peut comparer le travail d’un manager à celui d’un pilote d’avion. Ses instruments lui donnent toutes les informations, mais ce n’est que lorsqu’un de ces indicateurs vire au rouge qu’il réagit.”

“Chez Belgacom, j’avais à ma disposition toutes les informations possibles. J’indiquais très clairement à mon équipe de direction quelles données ils devaient me transmettre, et je tentais de me limiter aux chiffres cruciaux qui me permettaient de tracer les grandes tendances. Les détails, c’était pour les exécutants. Il est évident qu’il faut quelquefois se renseigner plus en profondeur pour être en mesure d’évaluer correctement un problème, qu’il vaut mieux mettre en parallèle avec des paramètres opérationnels. Il est impossible de prendre des décisions stratégiques en se fondant uniquement sur les marges, les revenus et les dépenses.”

Michel De Coster fixe la même limite lors des réunions où sont discutés ces chiffres. “Mon équipe de direction et moi-même avions convenu de nous réunir une fois tous les quinze jours seulement, mais pendant une matinée entière. Par ailleurs, je ne rencontrais personne à titre individuel, sauf en cas de nécessité absolue. Notre agenda était toujours le même : deux personnes faisaient une présentation de vingt minutes chacune, que tous les membres de l’équipe avaient pu consulter auparavant. Suivaient les chiffres financiers et opérationnels de chaque division. Nous abordions aussi des sujets d’actualité, en précisant à chaque fois si nous en discutions à titre informatif ou s’il fallait prendre une décision. Nous clôturions par un tour de table au cours duquel chacun parlait de son département sur base d’un document A4 diffusé préalablement.

Le coeur : empathie et fermeté

“Les meilleurs managers montrent qu’ils ont du coeur, à l’occasion d’un anniversaire, par exemple. Par ailleurs, j’ai été d’emblée très clair sur la manière dont l’équipe devait fonctionner et sur les rapports sociaux que nous entretenions. Ces règles datent de ma période d’avant Belgacom, lorsque j’avais mis en place chez BT une organisation Benelux. Les différences d’ordre culturel auxquelles j’ai été confronté m’ont obligé à conclure des accords sociaux. J’ai interdit, par exemple, les jeux politiques au sein de l’équipe, alors que c’est monnaie courante dans la plupart des entreprises. Quand un de mes managers venait se plaindre du comportement d’un autre, je les mettais en présence pour qu’ils puissent aplanir leur différend ensemble. Je n’ai jamais toléré la formation de clans, les tabous ou les censures. Il faut être honnête, parler ouvertement des problèmes et préserver absolument la confidentialité de ces entretiens. A mes yeux, rompre la confiance est passible de la peine de mort, comme je le disais de façon imagée.”

Cette attitude ferme n’a pas manqué de produire des effets, selon Michel De Coster. “Non seulement je n’ai jamais connu de problèmes de confidentialité, mais j’ai constaté que cette ligne de conduite était appréciée. Chacun est toujours traité avec respect, même en cas de différends très graves.” Comme le lui a enseigné un de ses patrons : be nice with people, tough with numbers (soyez aimable avec les gens, intraitable avec les chiffres).

Cette approche ouverte et franche a incité Michel De Coster à organiser des entretiens d’évaluation semestriels. “Je bloquais jusqu’à une heure et demie par manager pour ce moment de vérité, auquel je me préparais avec le plus grand soin. Nous passions en revue ses forces et faiblesses. Et, même si tout le monde s’attendait à une explication relative à ses faiblesses, j’étais très explicite sur le fait que les points forts de chacun sont d’une importance considérable et qu’il est possible de les développer encore. J’étais dur, même si cela ne me plaisait pas. Il y a trop de mauvais managers qui jettent des bons points à la tête de leurs subordonnés, par pure lâcheté. Je gardais du temps pour l’interaction et la contre-argumentation, qui m’amenaient parfois à revoir mon jugement. Si nous campions sur un point de désaccord, je le notais. Si quelqu’un jugeait être meilleur que je ne l’avais pensé sur un point déterminé, nous convenions de consacrer une attention accrue à ce point lors d’un prochain entretien. Ma dernière question portait sur leur opinion à mon égard. Si une critique revenait fréquemment, j’en parlais plus tard avec l’équipe.”

L’intuition : le cran de se lancer dans l’inconnu

L’intuition et le culot sont sans aucun doute ce qu’il y a de plus difficile pour les managers. Tout le monde n’est pas doté de ces qualités. “Les gens qui arrivent loin dans la vie osent, à certains moments, se lancer dans l’inconnu. Une fois sur cinq, cela tourne mal mais, les quatre autres fois, c’est un succès. J’ose prendre des risques, comme prendre une décision en ne possédant que 80 % des données nécessaires.”

C’est précisément cette audace qui a mis Michel De Coster en porte-à-faux chez Belgacom. Il ose contredire, a remarqué Didier Bellens, tout comme son patron précédent, Ben Verwaayen chez BT. “Lors de notre première rencontre, Didier Bellens m’a demandé : “ça marche, un Belge à Amsterdam ?” Je lui ai répondu : “Et un Hollandais à Londres, ça fonctionne ?” Il m’a regardé sans rire et a répliqué : “C’est une bonne réponse.” Cette audace ne lui a cependant pas toujours plu. Par exemple, lorsque j’ai refusé son invitation à un dîner de Noël parce que j’avais déjà un autre engagement ce soir-là.”

Ce que l’on ressent dans ses tripes est parfois ce qu’il y a de plus difficile à exprimer. “Il arrive qu’un candidat possède les diplômes requis mais que je ne le “sente” pas, ce qui m’interdit de l’engager. Ou que les chiffres montrent que tout va bien dans une division, alors que certains indices tendent à montrer que tout ne tourne pas aussi rond qu’il y paraît. J’ai un jour pris la direction d’un département qui fonctionnait apparemment très bien. J’avais pourtant le sentiment qu’il manquait quelque chose de fondamental sous l’angle des valeurs humaines. Quand j’ai parlé de ce sentiment, tout le monde m’a donné tort. J’ai néanmoins pris des mesures et, au moment où les problèmes ont émergé, nous étions déjà en train de travailler à des solutions.”

Hans Hermans

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