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Economistorique : Brüning, l’artisan du drame allemand de 1933

Deux années résonnent de manière sinistre dans l’histoire allemande d’avant-guerre : 1923 et 1933.

Il y a tout d’abord l’année 1923, qui ruine le pays sous l’hyperinflation de la République de Weimar. A cette époque, le régime allemand a une image détestable et doit accepter l’humiliation du Traité de Versailles de 1919. En effet, déçu de n’avoir pas pu annexer la Ruhr, Clémenceau, – le “père de la victoire”, comme le surnomment les Français – a décidé que l’Allemagne paierait. Pourtant, les exigences revanchardes des vainqueurs sont insoutenables. L’Allemagne est amputée de territoires de haute valeur économique, telle l’Alsace-Lorraine. Elle perd 10 à 15 % de ses productions agricoles, 75 % de son minerai de fer et 25 % de son acier et de son charbon. A ces pertes s’ajoutent les livraisons outrancières exigées par les vainqueurs : locomotives, camions, flotte de navires, charbon, etc.

Ces pertes aggravent le déficit de la balance commerciale. L’endettement de l’Etat provoque une inflation permanente. Rapidement, la hausse des prix se déchaîne. Au début de juin 1922, le dollar vaut 317 marks, mais plusieurs milliards en 1923. La monnaie allemande plonge de 613.000 marks par seconde et les prix doublent toutes les 49 heures. Pour se chauffer, les ménages brûlent les billets de banques, la monnaie papier étant devenue moins onéreuse que le bois.

Finalement, le gouvernement parvient à arrêter cette inflation en 1923 en mettant en place une nouvelle unité monétaire, le Rente mark, obtenue en divisant la valeur faciale de la monnaie par 1.000 milliards. Un dollar vaut 4.200 milliards d’anciens marks. Le pays retrouve les parités d’avant 1914. Mais 99 % des dettes dépôts bancaires et des dettes de l’Etat sont annulées. La dette publique intérieure a été gommée mais la classe moyenne est ruinée. Elle en tire une profonde amertume de revanche vis-à-vis de la France… et les soldats de 1940 se rappelleront la détresse financière de leurs pères.

Et puis, il y a 1933, la plus sombre année du 20e siècle, qui voit Hitler accéder au pouvoir et mêler son sang aux pires obscurités de l’âme humaine avant de semer la désolation.

Les esprits peu informés relient le fossé de la décennie 1923-33 avec la causalité du nazisme, comme si l’hyperinflation monétaire avait conduit à la dépréciation de toute référence morale. C’est totalement incorrect : un nom est enfoui dans les fissures de l’histoire : Brüning. Comme Laval dans la France de 1935, l’homme incarne les mauvaises orientations économiques dans des temps difficiles. Brüning est l’acteur d’une déflation en période de récession.

Né en 1885, Heinrich Brüning est nommé Chancelier en 1930 par le vieux Président Hindenburg. Probablement inspiré par la désastreuse doctrine Hoover (à laquelle Roosevelt mettra fin), Brüning tente de mettre en oeuvre une politique austère et restrictive, une politique déflationniste visant à enrayer la crise économique. Il postule ainsi pour les vertus rédemptrices et morales de l’exigence budgétaire.

Après moins de deux ans, son échec est lourd de conséquences. Quelques mois plus tard, le parti national socialiste d’Hitler prend le pouvoir. Avec le recul de l’histoire, il est difficile de défendre que c’est l’hyperinflation, tant redoutée par les Allemands, qui a éveillé les démons du nazisme.

En fait, l’Allemagne toucha, en moins de 10 ans, les deux extrémités des erreurs monétaires, à savoir l’hyperinflation en 1923 et la déflation organisée en 1933. Mais ces deux politiques antagonistes ne furent aucunement le fait de la providence ou de la conjoncture. En effet, l’hyperinflation fut organisée sciemment par l’Etat allemand dont il sortit bénéficiaire, tandis que la déflation de Brüning procède d’une erreur de jugement.

Les temps sont différents mais les enseignements sont nombreux. Le principal est que la déflation n’est pas le bon choix car elle déclenche des crises sociales. Ceci explique la volonté des autorités monétaires de garder les taux d’intérêt bas et d’inonder les économies grippées d’une abondance de liquidités.

Ceux qui, aujourd’hui, prônent l’austérité et la rigueur rédemptrice pour sortir d’une situation déflationniste sont totalement dans l’erreur. A partir du moment où la dette publique atteint des sommets que la croissance économique ne peut plus éroder, c’est par la perte de valeur de la monnaie – c’est-à-dire l’inflation qui résulte d’un assouplissement monétaire – qu’une économie peut retrouver ses marques et éviter la suffocation sous l’impôt et les charges d’intérêt de la dette publique.

Le risque de l’erreur de jugement des prophètes de la rigueur obstinée, c’est que l’ordre social soit à un moment perturbé et conduise à des discontinuités politiques.

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