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Des politologues en salle des marchés

Il y a un temps, les sciences économiques et les mathématiques se sont unies dans un mariage de raison. Les mathématiciens trouvaient dans la complexité des problèmes économiques un terrain de jeu idéal, et les économistes disposaient de l’outil dont ils rêvaient tant pour “rationaliser” les questions qu’ils se posaient.

Il y a un temps, les sciences économiques et les mathématiques se sont unies dans un mariage de raison. Les mathématiciens trouvaient dans la complexité des problèmes économiques un terrain de jeu idéal, et les économistes disposaient de l’outil dont ils rêvaient tant pour “rationaliser” les questions qu’ils se posaient. Les sciences économiques sont donc devenues une discipline très “mathisée” (en espérant qu’elle ne le soit pas “trop”…). Cela apporte de la rigueur au raisonnement, et permet de tester un grand nombre d’effets assez rapidement. L’aspect mathématique a malheureusement pris parfois le dessus sur la théorie économique pure telle que l’on pouvait la lire dans les grands ouvrages de base. Les (très) mauvaises langues diront même que les économistes en ont perdu le sens des réalités. Mais surtout, cela a mené à des excès, comme le fait de croire que les mathématiques pouvaient s’affranchir du raisonnement économique. Alors ce qui était statistiquement et mathématiquement impossible est un jour arrivé, et peu ont compris pourquoi…

Grèce, Allemagne, Belgique, même incompréhension…

Faut-il sans cesse pousser plus loin l’usage des mathématiques en économie ? Il serait en tout cas bon de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier, et une dose substantielle de sciences politiques est aussi nécessaire. Quelques exemples récents viennent clairement de le démontrer. La situation grecque d’abord : sur le plan économique, grâce à l’expérience passée et aux avancées dans les connaissances économiques, il est possible, sans fournir la recette miracle, de donner la direction à prendre et conseiller les mesures les moins douloureuses. Comment comprendre dès lors, d’un point de vue économique, que le Premier ministre grec ne défende pas plus le plan de sauvetage ? Il le sait, lui, que l’alternative – la sortie de la zone euro- condamnerait son pays au sous-développement pour encore quelques décennies !

On s’attendrait par ailleurs à ce que les autres dirigeants européens comprennent le danger que présente la situation grecque aujourd’hui pour le futur de la zone euro. Ils devraient donc accepter, sans broncher, de participer au sauvetage. Comment comprendre alors qu’Angela Merkel se fasse prier et n’explique pas à la population allemande (elle a heureusement changé son fusil d’épaule très récemment) qu’il est indispensable d’aider la Grèce, et que l’Allemagne a beaucoup à perdre en cas d’éclatement de la zone euro ?

Mais la palme revient une nouvelle fois au surréalisme belge. Jusqu’à présent, on a toujours pensé que les élucubrations communautaires n’étaient qu’un caprice politique, mais que sur le fond, la raison l’emporte toujours, au nom des problèmes économiques et sociaux. Cette fois, et malgré les risques, l’immobilisme politique nous guette. Ce n’est pas tant les élections qui posent problème (des élections sont un acquis démocratique énorme, et certainement pas un problème), mais l’instabilité qui les suit, et particulièrement cette fois-ci. On passera sur les mesures qui ne seront pas prises pour assurer le suivi de la reprise et sur la perte de temps dans la préparation du budget et de l’accord interprofessionnel de l’automne. Car surtout, la stabilité financière n’est pas encore assurée à long terme. De nouvelles décisions devront peut-être être prises dans l’urgence dans les prochains mois, mais le gouvernement belge sera aux abonnés absents. Comment comprendre qu’ils osent prendre tant de risques ?

Un fossé entre l’économie et la politique

La réponse tient au fossé qui se creuse entre la logique économique et la logique politique. On imagine bien que les dirigeants sont au courant des risques, mais voilà, il y a l’opinion publique qu’il faut contenter, et les médias qui enregistrent tout. Cela modifie toujours le raisonnement. Au point que les dangers objectifs de la situation passent au second plan.

Pour comprendre la logique politique, ceux qui ont tout misé sur les mathématiques sont KO. Tout au plus peuvent-ils s’en référer à la théorie des jeux, mais encore une fois, la logique politique semble très éloignée de la rationalité des agents que celle-ci présuppose. On voit de manière générale que les marchés financiers sont parfois surpris par la logique politique. Comme les marchés détestent les surprises, cela crée des réactions excessives.

Il faudra de plus en plus faire l’effort d’intégrer la logique politique dans le raisonnement économique. Et donc également écouter ce que les politologues ont à nous dire. Car il est vraiment devenu difficile pour un économiste de comprendre le fonctionnement de la politique et ses décisions. Après les mathématiciens, on verra peut-être des politologues entrer dans les salles de marchés, en espérant qu’ils puissent mieux nous expliquer pourquoi les politiques aiment tant jouer avec le feu.

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