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Comment découpler croissance et consommation matérielle ?

N’en déplaise aux promoteurs de la décroissance, le vrai problème est moins la croissance économique en tant que telle que le fait qu’elle aille de pair avec une consommation de ressources matérielles que nous ne pourrons maintenir encore longtemps.

N’en déplaise aux promoteurs de la décroissance, le vrai problème est moins la croissance économique en tant que telle que le fait qu’elle aille de pair avec une consommation de ressources matérielles que nous ne pourrons maintenir encore longtemps : l’empreinte écologique de l’humanité a presque triplé durant les 50 dernières années ; pour être durable, notre niveau de production requerrait aujourd’hui une planète et demie. Notre défi aujourd’hui est donc, avant tout, de découpler notre croissance économique de cette consommation matérielle effrénée.

Professeur à la Skema Business School et auteur d’Oser le marketing durable, Christophe Sempels argumente que, pour maintenir durablement le niveau de notre production actuelle, il nous faut atteindre à minima le facteur 4 , c’est-à-dire arriver à produire la même chose avec quatre fois moins de ressources (certains experts parlant même d’un facteur 9, voire au-delà). Or comment y arriver alors qu’entre 1990 et 2007 l’augmentation de cette productivité n’a été que de 20 % et qu’aucun miracle technologique ne soit en vue ? Sempels a formulé une réponse possible à cette question, articulée sur trois niveaux :

1. L’éco-efficience : il s’agit essentiellement d’innovations technologiques qui permettent de réduire la consommation de ressources pour une production donnée. Par exemple, revoir le design d’une bouteille de parfum et de son emballage. Typiquement, l’éco-efficience permet une réduction de 10 à 20 % de la consommation de ressources. On est donc très loin du facteur 4.

2. L’économie circulaire : cette approche, dont l’un des exemples populaires est le cradle-to-cradle, va plus loin que l’éco-efficience dans le sens où elle ne se limite pas à un seul produit mais met en réseau différents systèmes de production afin soit de réduire la consommation d’énergie combinée de ces différents systèmes (par exemple, en récupérant la chaleur produite par une salle informatique pour chauffer la piscine d’un hôtel), soit de réduire les déchets au minimum. Sempels estime que l’économie circulaire permet des gains de productivité en termes de consommation de ressources d’environ 20 à 40 %. Nous sommes toujours loin du facteur 4.

3. L’économie de la fonctionnalité : cette approche va encore plus loin en proposant des changements radicaux de business models : il ne s’agit plus de vendre un produit mais le service rendu par ce produit. Ainsi, Xerox passe d’un modèle de vente de photocopieurs à un modèle de location. Or, un tel changement de modèle induit des changements tout aussi radicaux dans la production de photocopieuses, dans leur récupération lorsqu’elles sont défectueuses,… Elles rendent aussi absurde l’obsolescence programmée de produits afin de soutenir les ventes dans le futur. On distingue deux approches dans l’économie de la fonctionnalité (aussi appelée 3S / Sustainable Service Systems) : celle où les services sont centrés sur l’usage (cf. la photocopieuse) ; et celle où les services sont centrés sur les résultats (par exemple, une offre de service aux agriculteurs leur proposant un taux de perte maximal sur leurs récoltes plutôt qu’une simple vente de pesticide : l’utilisation de pesticide devient un coût et gagne à être réduite voir éliminée). Selon plusieurs études, l’économie de la fonctionnalité devrait permettre d’atteindre dans de nombreux secteurs d’activité le fameux facteur 4.

Mais ces approches, aussi prometteuses soient-elles sur le plan de la consommation des ressources, seront-elles suffisantes pour rendre notre système économique “durable” ? En effet, même si certaines remettent en cause des business models, elles ne sont pas en rupture avec le paradigme économique actuel et les nombreuses autres dérives qu’il entraîne (en termes d’équité sociale, de bien-être psychique des individus,…). Tout comme Bernard Perret (auteur de Pour une raison écologique), Christophe Sempels reconnaît les limites de ces approches mais souligne néanmoins les changements plus profonds qu’elles pourraient induire : elles questionnent notre rapport à la propriété et avec le statut même des biens ; elles proposent un rapport différent à l’autre et voient en lui un co-utilisateur, un co-créateur. Elles peuvent ainsi favoriser la prise de conscience nécessaire à l’articulation entre la responsabilité individuelle et la responsabilité collective ; elles favorisent des comportements de collaboration et de partage propres à certains paradigmes économiques alternatifs émergents (économie du don, du partage, de la collaboration,…) ; elles s’inscrivent enfin dans un nouveau rapport au temps, moins court-termiste, en promouvant des relations de services plus durables.

Bernard Perret conclut en précisant que “l’économie durable nécessite une combinaison d’innovations techniques et organisationnelles et des transformations sociales qui s’appuient sur une rationalité différente de l’actuelle”. Etes-vous prêts à raisonner différemment ?

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