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Clémenceau, Mitterrand et l’euro

Il y a près d’un siècle, au sortir de la Grande Guerre, Clémenceau avait déclaré, sur le ton définitif des vérités assumées : l’Allemagne paiera. Mais l’Allemagne n’a pas payé. Elle traversa une vague d’hyperinflation (1923) avant de plonger dans la dépression (1930-1932) et de s’échouer dans la folie guerrière.

Ce ne furent pas les problèmes monétaires qui firent sombrer l’Allemagne, mais bien les troubles sociaux : après une guerre qui avait décimé la population active, le pays dut faire face au mouvement révolutionnaire spartakiste qui conduisit à l’inflationniste République de Weimar, avant de tomber dans la récession mortifère du chancelier Brüning.

Les pères étaient morts au combat, les grands-pères furent ruinés par l’hyperinflation et les fils mis au chômage avant qu’Hitler n’entraîne le pays dans la plus grande folie du 20e siècle.

Aujourd’hui, l’Allemagne déclare : l’Europe paiera l’euro par l’austérité. Mais à 3.000 km de Berlin, des populations s’enfoncent dans une grave récession et dans le chômage. On leur explique que l’austérité est un préalable à la croissance, mais personne n’indique d’où viendra cette croissance, dont le postulat est plus incantatoire qu’opératoire.

Les Allemands font face à un terrible dilemme. Ils ont raison de vouloir exorciser une économie européenne au sein de laquelle les Etats-providences se développent. Ce qui anéantit l’Europe n’est d’ailleurs pas le manque de croissance (toujours conjoncturel) mais le niveau insupportable des dettes publiques qui ont empiré au cours des 30 dernières années pour financer un modèle social révolu. Ils ont pourtant tort de croire que la rigueur monétaire est plus puissante que la rue. Celle-ci n’a pas toujours raison, mais on n’a pas raison contre la rue, surtout dans les pays démocratiques.

Diluer la puissance de l’Allemagne
Au reste, lorsque les dirigeants européens décidèrent de créer la monnaie unique, Mitterrand utilisa subtilement la culpabilisation de l’Allemagne, confrontée à sa réunification alors qu’elle avait, par deux fois, fait déferler ses troupes sur le reste du Continent. Cette même Allemagne dut accepter l’abandon de sa souveraineté monétaire contre une souveraineté territoriale reconstituée. Mitterrand voulait aussi diluer la puissance économique de l’Allemagne en l’empêtrant dans une union monétaire dont il savait qu’elle constituerait un point de non-retour.

Mais l’Allemagne ne fut pas dupe : elle utilisa le même spectre d’Hitler pour rappeler que c’était l’hyperinflation de 1923 qui l’avait amené au pouvoir et qu’il fallait donc assurer la pérennité de l’impression monétaire en la déléguant à un institut d’émission indépendant localisé sur son territoire.

Les arguments français et allemands étaient spécieux : personne n’imagina un instant qu’une Allemagne réunifiée se réarmerait comme après le Traité de Versailles et la nation savait que c’était la déflation du Chancelier Brüning en 1933 et non l’hyperinflation de 1923 qui menait au Nazisme.

Quoiqu’il en soit, les actes furent posés. Et 20 ans plus tard, on assiste à un curieux retournement de l’Histoire : c’est l’Allemagne qu’on supplie de sauver la monnaie unique qu’on lui a imposée. La France est, quant à elle, écrasée sous une dette publique. Mais Mitterrand, le Mazarin du 20e siècle, avait raison : les pays sont aujourd’hui condamnés à trouver une solution, c’est-à-dire éteindre la mèche de la machine infernale monétaire qu’ils ont allumée le 1er janvier 1999. C’est un curieux retournement de l’histoire.

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