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Cher saint Nicolas,

“Même si j’ai été très sage cette année, je voudrais te demander un cadeau spécial, résultant du fait qu’il y a cinq ans de cela, je n’ai pas été sage du tout… Enfin, c’est ce qu’ils disent. J’aimerais que tu m’apportes une inculpation. Ça ne devrait pas peser trop lourd dans ta hotte, et grâce à ça, je pourrai enfin montrer à mes anciens copains que je n’ai pas été si méchant que ça (les “actionnaires”, on les appelle. C’est comme sur Facebook, on en a beaucoup, mais en général, ce ne sont pas des vrais amis). Merci saint Nicolas, je suis sûr que tu me comprendras.” Jean-Paul.

Ce n’est pas tous les ans que le grand saint reçoit des lettres pareilles. A tel point qu’il s’est senti obligé de les traiter en priorité, avec même un peu d’avance sur la date de livraison officielle. Petits veinards ! Ainsi donc, Jean-Paul Votron, l’ex-patron de feu Fortis banque, son ancien bras droit Filip Dierckx, aujourd’hui vice-président du comité de direction de BNP Paribas Fortis et président de Febelfin, mais aussi Maurice Lippens, Gilbert Mittler et Herman Verwilst, ont chacun vu leur soulier garni, par l’intermédiaire du juge Jeroen Burm, de l’inculpation tant convoitée. Et pour cause : l’inculpation en question constitue le sésame pour l’accès au dossier judiciaire, ce qui devrait permettre aux présumés innocents de préparer correctement leur défense.
C’est que, quand on côtoie les sommets, on a parfois la dangereuse sensation d’être intouchable… Alors qu’en fait, on risque, plus que quiconque, la chute. Une chute dans laquelle on entraîne généralement ses compagnons de cordée _puisque les administrateurs et membres du comité exécutif sont solidairement responsables des fautes de gestion ou des infractions au Code des sociétés qu’ils pourraient commettre. Et la solidarité n’est jamais moins bien vue que lorsqu’elle est rattachée au mot responsabilité.

En outre, cette notion de faute est sans doute plus vaste qu’on ne le pense. Elle inclut certes les violations de loi, mais aussi, et plus simplement, le manque de prudence. Ainsi, il appartient aujourd’hui au juge Burm d’apprécier si, au moment des faits en 2007 et 2008, Jean-Paul Votron et consorts avaient agi comme des dirigeants normalement prudents et diligents. Une hypothèse remise en cause par l’enquête, ou plutôt les enquêtes, puisque l’on parle aussi bien d’une instruction pénale menée par le parquet de Bruxelles que d’une enquête propre de la FSMA. Toutes deux débouchent sur de lourdes accusations _manipulation de cours pour l’une et communication trompeuse pour l’autre, des griefs survenus essentiellement avant, pendant et après l’OPA de Fortis sur ABN Amro. Autrement dit : les dirigeants de Fortis n’ont pas informé correctement leurs actionnaires et les investisseurs du degré d’exposition de la banque aux subprimes et de sa solvabilité.

Or le mensonge, saint Nicolas n’aime pas ça. Même par omission. “Je suis un gars honnête”, “Je n’ai jamais entendu la moindre critique de qui que ce soit”, “Je ne me souviens plus”, voire même “Je n’ai jamais rien compris à ce métier” : même le petit Jules, six ans, ferait mieux. Et il n’a pas reçu d’inculpation, lui.

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