Votre épargne est-elle encore à l’abri du fisc ?

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Le secret bancaire en Suisse, au Luxembourg et en Belgique est mis à mal par la législation anti-blanchiment, la directive européenne sur l’épargne et les traités de prévention de la double imposition. Seule la confédération helvétique garantit encore l’anonymat du déposant, en vertu de ses accords Rubik. Et en Belgique ?

Depuis le 1er juillet 2005, la directive européenne sur l’épargne oblige les États membres à déclarer les intérêts payés aux épargnants qui ne résident pas sur leur territoire. Le Luxembourg et la Suisse – avec l’Autriche – jouissent d’une dérogation à la règle. Ces pays retiennent un “prélèvement pour l’État de résidence”, dont le taux a été porté à 35 % le 1er juillet 2011.

Vincent Hovine, Estate Planner chez le gestionnaire de patrimoine Puilaetco Dewaay, explique : “Avec ce prélèvement à la source, l’épargnant belge qui place ses avoirs au Luxembourg et en Suisse conserve un relatif anonymat vis-à-vis de son contrôleur fiscal local, vu l’absence d’échanges de données avec l’administration belge. Mais c’est un anonymat précaire. À terme, ces États sont appelés à adopter le système européen d’échange d’information déjà appliqué partout ailleurs. Cela fait, les non-résidents qui ont des dépôts dans l’Union européenne ne pourront plus dissimuler à leur contrôleur les intérêts de leur épargne.”

Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, les pays où le climat fiscal est favorable – Luxembourg et Suisse – font l’objet de pressions internationales de plus en plus fortes. “Le traité belgo-luxembourgeois sur la double imposition”, poursuit Hovine, “stipule par exemple que le Grand-Duché ne peut refuser des renseignements au seul prétexte qu’ils se trouvent entre les mains d’une banque, d’une fondation ou d’une fiduciaire. Le Luxembourg précise néanmoins que tout échange d’information est subordonné à une demande motivée. Dans la pratique, cela signifie que les comptes bancaires étrangers deviennent accessibles en présence d’un grave soupçon de fraude.”

Directive sur l’épargne et traités sur la double imposition ne sont pas les seuls à faire trembler le secret bancaire : les législations sur le blanchiment international s’y mettent aussi. D’après l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques), ces deux dernières années, quelque 100.000 contribuables ont régularisé de l’argent noir en provenance de paradis fiscaux. L’opération a rapporté aux trésors nationaux pas moins de 14 milliards EUR. L’Italie est la grande gagnante avec une cagnotte de 5,6 milliards EUR. L’amnistie fiscale a valu un bonus de 2 milliards EUR au fisc américain, et de 1,8 milliard en Allemagne.

Le Luxembourg cède

“Le Luxembourg ne s’oppose plus, par principe, aux échanges de renseignements”, déclare Michelle Bovy. Pour preuve, la responsable Estate Planning du gestionnaire de patrimoine belge Merit Capital invoque le traité de prévention de la double imposition, signé le 16 juillet 2009 par la Belgique et le Grand-Duché. Le texte énonce explicitement les conditions que le fisc belge doit respecter pour voir le secret bancaire luxembourgeois levé.

Quant aux fondations, fiduciaires, chargés d’affaires et autres établissements financiers, ils ne peuvent plus s’abriter derrière le secret bancaire pour refuser des informations. “À la demande de la Belgique”, confirme Bovy, “les renseignements fournis peuvent aussi servir à des fins non fiscales, moyennant l’autorisation expresse du Luxembourg. Les modalités seront bientôt publiées au Moniteur.”

Nos voisins ont également entériné la directive européenne sur les échanges administratifs. Ceux-ci ne concernent pas seulement les particuliers, mais aussi les personnes morales et les asbl. Bovy continue : “Désormais, un État membre n’a plus besoin d’indices concrets de fraude pour demander des renseignements. Une référence à l’application de la législation nationale suffit. La demande doit aussi spécifier l’identité du contribuable et le motif de la requête (but fiscal). Le nom et l’adresse de l’intéressé ne sont pas nécessaires pour autant : un numéro d’identification fiscal ou de compte bancaire suffiront. N’oublions pas non plus la “clause du pays le plus favorisé” : un État membre qui prête à un autre un concours plus large que la directive administrative ne l’exige, ne peut refuser le même service à un pays tiers. Notre pays ayant prolongé les délais de prescription fiscale dans son traité sur la double imposition avec les États-Unis, nous ne pourrons refuser les demandes de délai d’enquête illimité.”

Au stade actuel, les échanges sur demande (à partir de 2013) ne concernent que cinq catégories de revenus :

– revenu du travail

– rémunérations de chefs d’entreprise et tantièmes

– produits d’assurance sur la vie (sauf les assurances dites patrimoniales)

– pensions

– propriété de biens immobiliers et revenus correspondants.

“Le Luxembourg n’acceptera pas les échanges automatiques d’informations sur les revenus de l’épargne” nuance cependant Gerd Goyvaerts, associé de Tiberghien Advocaten. “L’expérience montre que le Grand-Duché, acteur important des assurances-placements, ne joue toujours pas le jeu. D’ailleurs, le nouvel accord budgétaire du gouvernement belge n’envisage pas de taxer ces produits. Cela ne favorise pas la traçabilité des branches 21 et 23. De quoi intéresser un certain public peu soucieux de régularisation fiscale. Cela dit, le Luxembourg resserre ses critères d’acceptation. Contrairement à un passé déjà lointain, les institutions financières du Grand-Duché appliquent aujourd’hui des conditions d’acceptation strictes aux versements en compte, même si le client n’est pas encore tenu de justifier, dans tous les cas, l’origine fiscale de ses fonds comme il doit le faire dans une banque belge.”

La Suisse plie

On se souvient de l’affaire UBS : l’an dernier, le gestionnaire de fortune suisse a dû payer au fisc américain une amende de 780 millions de dollars et fournir les données bancaires de 5.000 clients, sous peine de perdre sa licence de banque aux États-Unis. Conséquence logique : bon nombre d’investisseurs étrangers ont déserté leur refuge helvétique.

De même, les échanges d’informations entre les pays de l’OCDE ne sont pas de nature à rassurer ceux qui se croyaient à l’abri derrière les sommets alpins. “Malgré tout, le secret bancaire suisse reste solide. Mais seulement pour les résidents” commente Anton van Zantbeek, du cabinet d’avocats bruxellois Rivus. “Seule une action pénale peut remettre ce privilège en question. Celui qui apprécie l’anonymat pour des raisons légitimes a tout intérêt à s’installer en Suisse. Il y trouvera aussi des avantages fiscaux.”

La Suisse change actuellement son fusil d’épaule. Pour protéger son secret bancaire, la confédération a conclu avec l’Allemagne, le 10 août 2011, un arrangement à l’amiable qui doit mettre fin aux litiges fiscaux mutuels. L’accord dit “Rubik” respecte la vie privée des détenteurs de comptes, mais garantit aussi la lutte contre la fraude fiscale et alimente le trésor national. La convention autorise les Allemands à régulariser leur situation fiscale en acquittant un prélèvement unique de 34 % qui couvre le passé. À l’avenir, les banques suisses vont retenir un impôt substantiel sur les intérêts, les dividendes et les gains en capital des épargnants étrangers. Ce précompte sera libératoire, à la fois sur le plan fiscal et pénal. Le 6 octobre 2011, la Suisse a signé un accord similaire avec le Royaume-Uni. Les négociations sont en cours avec la France.

La Suisse assume donc le rôle de percepteur d’impôt. “Les accords Rubik”, explique Bovy, “vont beaucoup plus loin que la directive européenne sur l’épargne. Ils ne ciblent pas seulement les intérêts, mais aussi le capital lui-même, avec les dividendes et les plus-values sur les actions. L’anonymat étant préservé, ce type d’accord bilatéral sera très difficile à contrôler. Comment savoir si les montants reversés correspondent bien aux revenus effectifs ? Autrement dit, le secret bancaire survit, même en cas de fraude fiscale, de blanchiment ou d’autres délits. Pour que le secret bancaire suisse soit officiellement levé et l’identité du déposant communiquée à l’Allemagne, il faudra que le ressortissant allemand possédant un compte suisse au 1er janvier 2011 refuse l’amende forfaitaire ou les futures retenues.”

Rubik bétonne le secret bancaire

“En échange d’une solide contrepartie financière, les États membres ont accepté que la Suisse déroge à l’obligation d’échange de données bancaires. À mes yeux, cela compromet définitivement l’extension de la directive européenne sur l’épargne” poursuit l’associé de Tiberghien Advocaten.

“Contrairement aux accords Rubik”, intervient Goyvaerts, “le prélèvement pour l’État de résidence n’est pas fiscalement libératoire. Le Royaume-Uni a aussi négocié une avance de 500 millions de francs suisses, rien de moins, sur les retenues à la source. Les vastes déficits publics pourraient inciter d’autres pays à suivre cet exemple. Les négociations avec la France sont déjà bien avancées.”

Malgré le prix à payer, l’approche pragmatique des Suisses séduit de nombreux investisseurs. “En Belgique”, explique Goyvaerts, “la législation fiscale change tout le temps, au détriment de la sécurité juridique. Et en matière de régularisation fiscale, notre pays présente une série de lacunes. L’immunité pénale reste limitée. Les revenus professionnels sont communiqués au contrôle local, et il n’y a pas d’imputation du prélèvement pour l’État de résidence. Et après régularisation, le contribuable n’échappe pas au risque d’une discussion sur la qualification du revenu. Dans le pire des cas, on peut aller jusqu’à la confiscation, même après la prescription fiscale.”

Par ailleurs, qu’est-ce exactement qu’une fraude fiscale grave et organisée ? Personne ne le sait. C’est la raison pour laquelle un groupe d’experts a rédigé un projet de loi de relance qui résout toutes ces difficultés, à la demande de l’ex-Secrétaire d’État Clerfayt (MR). Mais l’accord budgétaire de la nouvelle équipe gouvernementale n’en dit mot. La piste semble abandonnée. La signature d’un accord Rubik bétonnant le secret bancaire suisse, constitue une alternative possible. Goyvaerts confirme : “Un tel accord apporte la sécurité juridique, au plan fiscal comme en termes pénaux. Il institutionnalise en quelque sorte l’amnistie fiscale au niveau bilatéral, par le truchement d’une retenue à la source, uniforme mais relativement lourde, qui éliminera graduellement l’évasion fiscale. La Belgique va-t-elle conclure un accord du genre avec la Suisse ? Ce serait en tout cas dans l’intérêt du trésor belge.”

Eric Pompen, MoneyTalk

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