Votre épargne décodée en 4 questions

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La crise bancaire de 2008 a révélé aux épargnants qu’ils ne savaient rien de ce que les banques faisaient avec leur argent. Qu’en est-il aujourd’hui ?

1. L’ÉPARGNE BELGE SERT-ELLE À L’ÉCONOMIE RÉELLE ?

Au total, le bilan des banques actives en Belgique concentre 1 000 milliards d’euros. D’où provient cet argent ? Pour une grosse moitié des dépôts de ses clients et en particulier des comptes d’épargne où sont concentrés pas moins de 250 milliards d’euros, ce qui fait du livret le chouchou absolu des épargnants. Ils apprécient sa grande liquidité (l’argent déposé reste disponible) et raffolent de son avantage fiscal (les intérêts sont exempts de précompte jusqu’à 1 900 euros).

Pour avoir une idée de ce que les banques font de cette montagne d’argent, il faut aller voir de l’autre côté de leur bilan, du côté de l’actif. Dans les statistiques globalisées tenues par la Banque nationale de Belgique, le gendarme du secteur, on apprend que l’octroi de crédits ne représente pas la moitié des activités des banques actives dans notre pays. Pour 1 000 euros dont elles disposent, seuls 376 euros seront transformés en prêts aux entreprises, aux ménages ou au secteur public.

Pourquoi si peu ? Pour deux raisons principalement. D’abord, les banques ne savent plus que faire de l’épargne gigantesque que les Belges leur confient et qui dépasse largement les besoins en crédits des entreprises et ménages. Ensuite, les exigences en liquidités et en capitaux ont été sévèrement resserrées par les autorités, échaudées par la crise de 2008, ce qui a rendu les banques très sélectives sur les crédits octroyés. “Elles ont toutes le même objectif : capter les prêts à faible risque et éviter les crédits plus risqués, ceux à plus long terme par exemple, situe un spécialiste des risques bancaires. Les contraintes sont devenues telles qu’à la limite, les banques n’ont plus vraiment intérêt à faire du crédit. Pour respecter les nouvelles normes, elles préféreront réduire encore plus leur bilan plutôt que de prêter. Cela posera un problème le jour où on demandera aux banques de financer la reprise.”

Qu’advient-il des 624 euros restants ? Pour l’essentiel, ils sont prêtés à d’autres banques (237 euros) ou investis dans des actifs financiers (228 euros). Le gros de l’actif bancaire belge échappe-t-il dès lors à l’économie réelle et alimente-t-il la spéculation ? Non. “Il y a plusieurs manières de soutenir l’économie réelle, il n’y a pas que le crédit”, fait valoir Michel Vermaerke, administrateur délégué de Febelfin, la fédération belge du secteur financier. “Quand une banque investit dans une obligation émise par l’Etat ou par une entreprise belge, elle lui permet de financer des activités concrètes et locales. Cela aussi, c’est du soutien bancaire à l’économie réelle. Il est donc faux d’affirmer, comme certains, que toutes les positions financières prises par une banque sont forcément spéculatives”, indique le lobbyiste. Mais quels sont ces actifs financiers utiles à l’économie ? Comment les repérer ? C’est là que cela se corse.

2. COMMENT PUIS-JE CONNAÎTRE LES RISQUES ?

Toutes les banques l’affirment : leur gestion des risques est prudente et adéquate. Pour le vérifier, bonne chance. “Aujourd’hui, il est devenu très difficile, voire impossible de comprendre ce que contient véritablement le bilan d’une banque, nous dit un haut responsable bancaire. Un chat n’y retrouverait pas ses petits. Non pas que les banques aient pour objectif d’enfumer l’épargnant mais elles sont souvent devenues à ce point complexes qu’elles ne sont plus vraiment lisibles de l’extérieur.” De l’intérieur aussi, cela peut s’avérer mission impossible. En débriefant la crise, plus d’un administrateur de grande banque belge a ainsi admis avoir été dépassé par la complexité de certaines activités qu’il était pourtant censé contrôler. “La crise bancaire a fait apparaître que, dans les livres des banques, des actifs de nature et de risque très différents pouvaient se côtoyer, abonde un ténor du secteur : des obligations émises par l’Etat belge mais aussi d’autres émises par des pays au profil bien plus risqué et sans aucun lien avec l’activité de la banque en question ; des actions d’entreprises belges ayant pignon sur rue mais aussi des positions dans des structures ultra-complexes et franchement méconnues.”

Il est vrai que, depuis la crise, les autorités européennes et belges ont sommé les banques de revoir sérieusement leur copie. Les grandes enseignes en particulier, qui concentrent 60 % de l’épargne belge et qui ont provoqué une crise très coûteuse pour les finances publiques, sont passées par cinq années de sévère redressement. Elles ont renforcé leurs fonds propres, réduit leur endettement et taillé dans leurs activités, ramenant le bilan bancaire belge global de 1 600 à 1 000 milliards d’euros entre 2007 et 2013. Elles se sont aussi recentrées sur la Belgique, à la fois dans les crédits octroyés et dans leurs placements financiers, plus sages désormais car nettement plus fournis en obligations d’Etat belges. Juste retour des choses puisque c’est l’Etat qui a financé leur sauvetage mais, cette forte concentration sur les emprunts publics belges est telle que la BNB y voit à présent… un risque à surveiller de près.

Dans l’ensemble, le secteur bancaire belge serait donc aujourd’hui plus modeste, plus raisonnable et, en ce sens, moins risqué. Mais, pris individuellement, les bilans n’en restent pas moins d’une grande opacité. C’est bien pour cette raison que la Banque centrale européenne, qui héritera du contrôle des banques à l’automne prochain, mène en ce moment un inventaire complet de leurs actifs, une opération baptisée “asset quality review”. Son nom situe l’enjeu : derrière les grands agrégats, la BCE veut connaître la qualité réelle des actifs et objectiver ainsi les risques réels portés par les banques. Autrement dit, même le régulateur éprouve le besoin d’y voir plus clair…

3. TOUTES LES BANQUES SONT-ELLES COMPARABLES ?

Non. Que ce soit par la taille ou par leurs activités, les banques belges n’ont pas toutes le même profil, loin de là.

La taille tout d’abord. Il y a quelques mastodontes, quelques acteurs de taille moyenne et puis une kyrielle de petits acteurs. Notre infographie ci-dessus reprend les principales banques en termes de dépôts. A elle seule, BNP Paribas Fortis concentre un cinquième des dépôts belges, soit 105 milliards d’euros à fin 2013, dont 63 milliards proviennent des comptes d’épargne maison. C’est cette énorme manne qui explique l’empressement avec lequel le groupe BNP Paribas a sauté sur la première banque belge en 2008, lorsque celle-ci frisait la faillite. Ces dépôts représentent un gros tiers du bilan de BNP Paribas Fortis (272 milliards d’euros), lequel comprend aussi les activités de la maison à l’étranger (Luxembourg, Turquie ou Pologne). Pour être complet sur la surface de BNP Paribas Fortis, il faut d’ailleurs la situer comme une filiale de son propriétaire français, dont le bilan consolidé s’élève à 1 800 milliards d’euros (ramené par le groupe à un “bilan cash” de 968 milliards d’euros après élimination de toute une série d’instruments financiers).

Derrière BNP Paribas Fortis suivent la flamande KBC (et sa branche francophone CBC) puis Belfius (propriété de l’Etat belge) et ING Belgique (filiale du groupe néerlandais au bilan de 1 081 milliards d’euros). Ces quatre banques concentrent deux tiers de l’épargne belge et assurent ensemble trois quarts des crédits à l’économie, soit 320 milliards d’euros.

Loin derrière les grandes maisons, quelques banques moyennes captent 5 à 10 % de l’épargne belge et génèrent une dizaine de milliards d’euros de crédits à l’économie nationale. Suivent enfin des dizaines de petites enseignes, dont une bonne partie de succursales de groupes étrangers. Le paysage bancaire est donc dominé à 85 % par les enseignes étrangères : on recense 65 succursales de droit étranger et 24 banques à participation majoritaire étrangère pour seulement 15 établissements à contrôle belge. Ce n’est pas un détail car d’importants transferts d’argent se font au sein des groupes : selon le dernier décompte disponible à la BNB (fin 2012), 61 milliards d’euros circulaient ainsi par-delà les frontières entre entités belges et maisons mères.

Les banques se distinguent aussi par leur “business model”. Elles visent à capter une partie de l’épargne belge mais elles n’en font pas toutes le même usage. Crelan, née de la fusion du Crédit Agricole et de Centea, transforme ainsi 78 % de ses moyens en crédits, essentiellement aux particuliers. Il en va tout autrement chez Rabobank.be par exemple : la banque en ligne s’est fait une place sur le marché belge de l’épargne, où elle attire 9 milliards d’euros de dépôts. Mais elle n’octroie pas de crédits : l’argent récolté est rapatrié vers la maison mère aux Pays-Bas et se fond dans un bilan fort de 674 milliards d’euros, dont 68 % sont transformés en crédits, essentiellement sur le marché néerlandais.

Chez Deutsche Bank, les 12 milliards d’euros de dépôts collectés en Belgique prennent la direction du siège à Francfort. Ils y rejoignent un bilan colossal de 2 000 milliards d’euros, l’un des plus importants d’Europe, essentiellement orienté vers les marchés financiers : 20 % vont à des crédits, contre 60 % d’instruments financiers. La succursale belge insiste toutefois sur le fait que, “en moyenne, plus de 50 % des dépôts récoltés en Belgique reviennent à l’économie belge sous forme de crédits”. Sans communiquer, pour autant, de montant.

4. POURQUOI LES TAUX D’INTÉRÊT SONT-ILS SI DIFFÉRENTS D’UNE BANQUE À L’AUTRE ?

D’un compte d’épargne à l’autre, les intérêts perçus peuvent varier du simple au quadruple. Alors que la moyenne du marché est actuellement de l’ordre de 0,60 %, des banques en ligne rémunèrent l’épargne à un niveau total proche de 2 % voire un peu plus, souvent en gonflant la prime de fidélité pour mieux garder le client. Comment expliquer de tels écarts ? Les offres les plus élevées émanent de succursales de groupes étrangers, souvent récemment apparues sur le marché. Le top 3 du moment reprend des comptes de MeDirect (succursale d’une banque maltaise, Mediterranean Bank, active depuis quelques mois en Belgique), Evi (succursale de la néerlandaise van Landschot) et enfin Banca Monte Paschi Belgio (fililale de la banque italienne en grande difficulté). Ces structures Internet, légères et donc moins coûteuses, se placent dans le haut du classement des meilleurs rendements de l’épargne, dans le but d’aspirer et de ramener au pays une part de cette épargne belge si massive et si peu rémunérée par les enseignes locales. Le cas de Triodos, succursale du groupe néerlandais, est de ce point de vue atypique : elle capte 1,3 milliard d’euros de dépôts en Belgique, dont 64 % sont transformés en crédits locaux (dans l’environnement et le social surtout) qu’elle détaille, client par client, sur son site Internet. Au total, les succursales présentes en Belgique captent 70 milliards d’euros de dépôts.

Les banques installées depuis plus longtemps dans la place font un tout autre calcul. Elles proposent bien l’une ou l’autre formule Internet relativement plus agressive mais elles savent que, d’année en année, le gros de leurs dépôts reste logé sur les livrets classiques, même si l’épargne y est rémunérée bien en deçà de l’inflation (attendue à 1,3 % cette année). Elles tablent ainsi sur la très grande inertie de l’épargnant belge, lequel songe parfois à chercher plus offrant mais passe rarement à l’acte.

Paul Gérard

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