Vers une nouvelle crise bancaire ?

© Thinkstock

Depuis plus de six mois, les marchés des obligations publiques traversent des périodes de tourmente. Même la Belgique est affectée. La perspective de voir plusieurs pays de la zone euro, comme la Grèce et l’Irlande, restructurer leur dette fait craindre un nouvel épisode de crise financière.

Décidément, les ministres des Finances néerlandais ne portent pas chance à la Belgique. Deux ans après les tensions qui ont présidé à la division forcée du groupe Fortis, sous l’impulsion de Wouter Bos, grand argentier de La Haye, c’est son successeur, Jan Kees de Jager, qui a perturbé nos finances publiques. Le mardi 18 janvier, une de ses déclarations a enrayé l’émission par enchères d’un emprunt obligataire à 10 ans de l’Agence de la dette. “Nous espérions placer 5 milliards, il a fallu se contenter de 3 milliards d’euros”, regrette Jan Deboutte, directeur strategy & risk management de l’Agence de la dette.

Il n’y avait aucune intention négative dans le chef du ministre néerlandais. Juste un commentaire de plus dans un débat qui fait rage : de quel montant doter le FESF, ce fonds prêtant aux pays de la zone euro qui ont du mal à se financer ? Jan Kees de Jager avait déclaré à la presse que l’Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro), qui se réunissait le même jour, ne souhaitait pas relever le plafond des fonds utilisables – atteignant actuellement 750 milliards d’euros, dont 440 milliards via le FESF – contrairement au souhait de certains (dont le ministre belge des Finances, Didier Reynders, et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso).

Une phrase qui coûte cher

La phrase a suffi pour perturber l’opération belge d’émission d’emprunt, coordonnée depuis l’avenue des Arts, n°30, à Bruxelles : le siège de l’Agence de la dette. “Les dépêches sont tombées vers 14h ; ensuite, certains investisseurs ont voulu analyser les propos du ministre néerlandais”, explique Jan Deboutte. Puis, ils se sont retirés de l’appel d’offres… Voilà qui montre bien la nervosité des acheteurs d’obligations : les banques de dépôt, les fonds de placement, les banques centrales, les compagnies d’assurances. Pour la Belgique, le souci est cependant modéré, car elle a pris de l’avance l’an dernier : notre pays a collecté 44 milliards d’euros à long terme, contre un programme de 38 milliards cette année.

La zone euro est quant à elle sous pression : que se passera-t-il si un pays est amené à restructurer sa dette ? Ce genre d’opération, qui relevait plutôt des pays émergents, n’est plus tabou en Europe. “Dans le cas de la Grèce et de l’Irlande, il est difficile de ne pas envisager une restructuration”, pense Etienne de Callataÿ, chief economist à la banque Degroof. L’hebdomadaire The Economist a publié le 15 janvier un dossier détaillé où il affiche la même conviction. Le magazine exclut explicitement la Belgique d’un pareil traitement, car “c’est une petite économie, fortement amarrée au coeur de l’Europe (Ndlr, à l’Allemagne)”.

Dexia et KBC épinglés

Ces perspectives expliquent les remous qui frappent des marchés habituellement sereins, que la presse d’information générale mentionne à peine en temps normal. Ces dernières semaines, il n’est plus question que de spread. Ce terme désigne, pour la zone euro, l’écart entre le taux d’une obligation dans un pays et celui appliqué à une obligation allemande équivalente. Il reflète le risque de solvabilité d’un pays. Les écarts troublent d’autant plus qu’ils étaient insignifiants à la naissance de l’euro, en 1999.

Le 21 janvier dernier, la cote des obligations belges à 10 ans représentait un rendement de 4,225 %, contre 3,176 % pour celles de l’Allemagne, soit un spread, ou coût supplémentaire, de 1,049 %. Le même jour, le spread pour le Portugal et la France atteignait 3,62 % et 0,319 %. Pour la Belgique, l’écart a atteint 1,4 % en janvier.

Plus l’écart se creuse entre les taux des pays de l’euro, plus les banques s’inquiètent. Elles sont les premières acheteuses de titres publics réputés sans risque, fort appréciés des autorités prudentielles. La perspective d’une renégociation de la dette de pays peut ébranler les bilans. Jusqu’à créer une crise bancaire ? “C’est une éventualité, estime Etienne de Callataÿ. Cela explique du reste pourquoi de nouveaux stress tests devraient être réalisés. Ceux de l’an passé étaient qualifiés de bien gentils : ils partaient du principe que les placements en fonds d’Etat ne poseraient aucun souci de remboursement. En Belgique, cela pourrait prendre une tournure embêtante pour Dexia et KBC.”

Les deux institutions ont pris des engagements conséquents dans les pays les plus troublés. Selon le Financial Times, qui cite les stress tests de l’an dernier, Dexia a une exposition de 8,5 milliards d’euros pour le Portugal, la Grèce, l’Espagne et l’Irlande, et KBC, de 7,2 milliards d’euros sur les mêmes pays, sans compter, pour cette banque, une forte exposition sur l’Europe centrale (chiffres arrêtés au 31 mars 2010).

Dans notre carte Exposition des banques belges, où l’exposition des banques belges apparaît de manière globale, on constate que les engagements de nos institutions bancaires en Irlande et en Espagne sont assez conséquents – sans parler de la Hongrie, hors de la zone euro, et qui passe des moments difficiles.

“Les Etats ont moins de cartouches”

Alors, crise, crisette ou période difficile ? Les points de vue divergent. Eric De Keuleneer estime ces craintes exagérées. Etienne de Callataÿ parle d’une “éventualité”, certes, en soulignant la différence avec la crise de 2008. “Les Etats ont moins de cartouches, estime-t-il. En 2008, ils pouvaient assouplir la politique budgétaire, financer une relance. Maintenant il faudra recourir à des munitions moins conventionnelles.” Entendez : geler ou raboter d’une manière ou d’une autre les salaires.

Qu’est-ce qui pourrait calmer les choses ? Les spécialistes de l’économie ne sont pas unanimes. Pour Philippe Ledent, économiste chez ING, tout ira mieux lorsque les pays de la zone euro auront détaillé le fonctionnement de l’European Stability Mechanism (ESM), qui doit entrer en vigueur en 2013. Il s’agit d’un fonds destiné à financer les pays éprouvant des difficultés à se financer sur les marchés. Il succédera au FESF et disposera – nouveauté – de la faculté d’organiser la restructuration de la dette d’un pays. Les règles qui seront appliquées devraient être annoncées en mars. Cette attente alimente la nervosité des marchés. “C’est ce flou qui provoque des mouvements sur les marchés secondaires des obligations et les CDS”, affirme Philippe Ledent, qui pense que les taux belges se stabiliseront après la diffusion des précisions.

D’autres avancent que l’ESM arrive un peu tard. The Economist pousse l’idée de lancer un “plan B” pour restructurer les dettes qui doivent l’être avant 2013. Ce serait, selon le magazine, moins douloureux. Par exemple, la Grèce affichait une dette de 140 % du PIB en 2010, et cela devrait évoluer vers les 165 % en 2015 selon les calculs de The Economist (153,4 % selon les prévisions les plus pessimistes du FMI).

Ce plan B, Paul Krugman, prix Nobel d’économie, l’estime dangereux. Ces restructurations pourraient s’étendre, par contagion, “à l’Espagne et – perspective la plus effrayante – à la Belgique et l’Italie”, a-t-il récemment écrit dans le New York Times. Il préfère la mise en place d’un financement européen des dettes nationales, les e-Bonds chers à Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe. Cependant, les Allemands les ont refusés et ne sont pas près de changer d’avis. A moins, peut-être, que d’autres remous dans les marchés obligataires ne les contraignent à changer d’avis, comme ce fut le cas pour le soutien à la Grèce l’an dernier. Afin d’éviter une nouvelle crise bancaire.

Robert van Apeldoorn

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content