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Supprimer l’impôt des sociétés

Le titre de cette chronique peut paraître relever de la provocation, à l’heure où les Etats essayent péniblement de s’entendre pour éviter “l’érosion de la base imposable” des sociétés. Supprimer l’impôt des sociétés serait pourtant logique.

Tel qu’il existe en Belgique et dans la plupart des pays, le système de taxation des sociétés implique en effet nécessairement une double taxation économique. Les bénéfices des sociétés sont taxés dans le chef de celles-ci, puis les dividendes qu’elles distribuent le sont une seconde fois, dans le chef des actionnaires, et ce alors qu’il s’agit des mêmes bénéfices. On ne peut les comparer aux salaires ou aux intérêts des obligations, parce que les salaires et les intérêts ne font pas partie de la base imposable des sociétés dont ils sont déduits, tandis que les dividendes sont toujours soumis à l’impôt à la fois dans le chef des sociétés et de leurs actionnaires.

C’est parce que cette double taxation existe que le système belge d’exonération des plus-values sur actions peut s’expliquer : la Belgique pratique la double taxation des dividendes, mais non des plus-values, pour lesquelles subsiste seule la taxation de la société dont les actions sont vendues.

“Le système de taxation des sociétés est double: leurs bénéfices sont taxés dans le chef de celles-ci, puis les dividendes qu’elles distribuent le sont une seconde fois, dans le chef des actionnaires, alors qu’il s’agit des mêmes bénéfices”

A l’origine, cette double taxation était partiellement corrigée pour les dividendes par l’octroi d’un “crédit d’impôt”, aussi dénommé “avoir fiscal” en France : l’actionnaire pouvait déduire de son impôt, tout ou partie de l’impôt déjà payé par la société. Mais ce correctif a disparu depuis longtemps, de sorte qu’il y a désormais pleinement une double imposition des mêmes bénéfices.

Sans doute, le fait que l’impôt des sociétés manque de légitimité n’explique-t-il pas comment l’Etat pourrait se passer des recettes qu’il procure. La question mériterait toutefois d’être étudiée, parce qu’il serait logique, si l’on supprimait l’impôt des sociétés, de mettre également fin à la distribution de subsides de toutes sortes qui, au niveau fédéral, et surtout au niveau régional, bénéficient à un grand nombre de sociétés. Les subsides à celles-ci, qui sont souvent des groupes multinationaux pratiquant un lobbying efficace ou alors des canards boiteux maintenus artificiellement en vie, n’ont guère de justification morale ni même économique. Il n’est pas logique que, dans le système actuel, les entreprises saines paient des impôts qui profitent à d’autres, mal gérées ou sans avenir. Il faut au contraire supposer que les premières, rentables, sont davantage susceptibles que les autres, qui finissent quand même souvent par disparaître, de créer des emplois et de la richesse. Supprimer à la fois l’impôt des sociétés et les subsides reviendrait à permettre un meilleur développement d’entreprises économiquement justifiées.

La suppression de l’impôt des sociétés attirerait également un nombre considérable de sociétés étrangères. Il ne serait plus nécessaire, ni d’accorder des intérêts notionnels, ni de conserver de rulings fiscaux sur mesure. Les sociétés viendraient en Belgique pour y faire des affaires, sans rien demander à l’Etat et sans rien lui devoir ; elles y créeraient des emplois, amenant une réduction du chômage et accessoirement une augmentation des recettes fiscales et sociales sur les salaires et des impôts indirects.

Dans un tel contexte, il se justifierait aussi de taxer les plus-values sur actions des personnes physiques, puisque plus aucun risque de double taxation n’existerait.

Si l’on tient absolument à maintenir les niveaux des recettes et des dépenses publiques, la suppression de l’impôt des sociétés paraît réalisable sans devoir augmenter le taux des impôts frappant les individus.

L’Union européenne, de son côté, n’interdit pas ce type de “concurrence fiscale”, qui n’est en rien “dommageable”, suivant ses critères, parce que, par définition, elle profiterait à toutes les entreprises, belges et étrangères.

Si cette proposition n’est pas réaliste, ce n’est pas parce qu’elle serait impossible sur le plan juridique, ni sans doute même parce qu’elle le serait sur le plan budgétaire. Si aucun gouvernement belge ne la défendra, c’est parce qu’il n’existe pas de volonté réelle de faire une vraie réforme fiscale et parce qu’elle se heurtera certainement à de multiples droits acquis, de la part de ceux qui croient tirer avantage du système actuel en bénéficiant directement ou indirectement de dépenses publiques, comme des subsides ou des aides diverses.

THIERRY AFSCHRIFT, Professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles

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