Retour sur le scandale du Libor, explosif pour le secteur bancaire

© Reuters

Alors que la crise financière fête ses cinq ans dans la turbulence, le scandale du Libor plonge les banques dans la tourmente, et pourrait conduire à une réglementation plus stricte. Explications.

Le Libor c’est quoi ?

Le Libor est un taux interbancaire de référence, publié tous les jours à 11h15 par l’Association des banquiers britanniques (BBA), qui en délègue le calcul à l’agence financière Thomson Reuters. Chaque jour celle-ci recueille auprès de dix-huit grandes banques le niveau du taux d’intérêt auquel elles empruntent, pour en calculer la moyenne. C’est ce qui constitue le Libor. Ou plus exactement les Libor. Car il en existe pour 10 devises et pour 15 durées de prêt allant jusqu’à un an. Soit 150 au total.

Comme il s’agit d’une ressource de financement pour les banques, le Libor sert de référence pour déterminer le taux d’intérêts des emprunts et des autres contrats de dette. Il est si important qu’un dispositif de remplacement est prévu à 150 kilomètres de la City, pour que le Libor continue d’être fixé quotidiennement en cas d’accident majeur.

La fraude sur laquelle enquêtent actuellement les autorités nord-américaines, européennes et japonaises porte sur le Libor mais aussi sur l’Euribor, un taux similaire calculé pour la zone euro, sur la base d’un panel de 57 banques.

Comment on manipule un taux interbancaire ?

Contrairement aux taux de marché, déterminés par l’offre et la demande, les taux monétaires des banques reflètent des procédures de gré à gré et sont déclaratifs. Pour le manipuler, il suffit donc de mentir au moment du relevé. Une banque seule peut difficilement faire varier ce taux, surtout que pour le calculer Thomson Reuters élimine le quart des valeurs le plus élevé et le quart des valeurs les plus faibles du panel. Mais si plusieurs banques se concertent, alors elles peuvent faire bouger ce taux de manière significative. Les montants en jeu sont tels que manipuler les taux de quelques centièmes de points peut avoir de très grandes conséquences.

Quelles sont les banques concernées?

En 2010, UBS révèle, en échange de la clémence des autorités financières, qu’elle et de nombreuses autres institutions bancaires se sont concertées pendant 3 ans, de 2006 à 2009, pour orienter le taux Libor. Depuis, les investigations concernent une dizaine de grandes banques internationales, parmi lesquelles Barclays, qui a été la première à accepter de coopérer avec les autorités. Début juillet, elle a accepté de payer une amende d’environ 360 millions d’euros, censée mettre un point final aux enquêtes menées d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Une coopération qui lui a valu un rabais de 30% sur son amende en Grande-Bretagne.

Parmi les autres banques visées, on peut citer Citigroup, JPMorgan Chase & Co, Bank of America, Deutsche Bank, HSBC, Crédit Suisse ou encore la Royal Bank of Scotland. Les banques françaises, elles, ne seraient pas concernées. “À mesure que d’autres banques trouveront des accords à l’amiable avec les autorités, et que les détails en seront rendus publics (…), notre situation sera finalement mise en perspective”, déclarait il y a quelques jours le comité exécutif de la Barclays dans un communiqué, sous-entendant qu’elle n’était peut-être pas la plus coupable.

Quel intérêt ont-elles à manipuler le Libor?

Différents objectifs peuvent être recherchés. Les banques peuvent vouloir augmenter les taux auxquels elles prêtent l’argent, afin de maximiser leurs profits. Elles peuvent également chercher à faire fructifier leurs positions spéculatives. Le Libor sert de référence à de nombreuses transactions financières: au total 350.000 milliards d’euros de contrats dérivés sont indexés sur le Libor et l’Euribor. En manipulant ces taux, on manipule également les contrats sous-jacents.

Selon des mails internes retrouvés par le FSA, le gendarme financier britannique, les traders de la Barclays n’hésitaient pas à commander des niveaux de taux favorables à leurs activités. “Nous avons besoin d’un taux très bas lundi prochain, qui pourrait nous rapporter gros. Nous apprécierions vraiment une aide de votre part”, peut-on lire dans l’un des 173 mails retrouvés par les enquêteurs. C’est cette pratique qui aurait prévalu entre 2005 et 2008.

A partir de 2008 en revanche, c’est la sous-valorisation du Libor qui est constatée par les enquêteurs. A cette époque, les banques font face à un arrêt brutal du marché interbancaire. Pour trouver de la liquidité sur les marchés, elles doivent prouver leur bonne santé financière. Or quel meilleur moyen que de déclarer qu’on emprunte à très faible taux? C’est d’ailleurs l’explication qui a été apportée par la Barclays aux enquêteurs. La banque britannique dit avoir craint être exclue du marché interbancaire et précipiter avec elle le système bancaire mondial.

Pourquoi le scandale a pris une telle ampleur?

Parce que les sommes en jeu sont potentiellement colossales. Parce que de nombreuses banques sont concernées. Parce que c’est aussi la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Depuis 2008 en effet, le comportement des banquiers n’a pas évolué malgré les critiques formulées à l’encontre du système financier. La publication de courriers électroniques montrant des banquiers se félicitant de l’efficacité de la manipulation du taux a aussi scandalisé une opinion publique déjà échaudée par les scandales.

>>> La City, terre de scandales

Plus récemment, des critiques ont été formulées contre les gendarmes financiers eux-mêmes, qui n’ont pas réagi assez vite au scandale. En 2008 Timothy Geithner, alors président de la Réserve fédérale de New York, avait déjà mis en garde Mervyn King, le gouverneur de la banque d’Angleterre, contre ces pratiques. Mais ce n’est qu’en 2010 que le FSA s’est intéressée au scandale, après avoir été informé du lancement d’enquêtes par les autorités américaines… Un retard coupable?

Quelles vont être les conséquences de ce scandale?

A la City, on fait désormais référence au “tobacco moment”, ce moment où l’industrie du tabac a dû payer des dizaines milliards pour avoir cherché à cacher les effets de la cigarette. Il faut dire que scandale du Libor, qui déjà coûté sa place au patron de Barclays, pourrait coûter cher au secteur bancaire. Les analystes de Morgan Stanley estiment à 12 milliards d’euros le coût total pour 11 des 18 banques du panel: 5,67 milliards d’euros environ d’amendes auxquels il faudrait 6,38 milliards d’euros pour régler les contentieux liés à cette affaire.

>>> Barclays: le scandale de trop qui a fait tomber Bob Diamond

Par ailleurs, après celle de Bob Diamond de nouvelles démissions ne sont pas à exclure dans les grandes banques internationales. Des poursuites pénales pourraient aussi être engagées par les autorités britanniques.

Mais c’est en termes d’images surtout que les banques vont souffrir. Tous les acteurs du marché financier semblent d’ailleurs extrêmement préoccupés par cette affaire. “Les actions d’opérateurs de marché et de banques qui ont été révélées ne sont pas seulement très préoccupantes en elles-mêmes mais ont aussi pour effet de saper les marchés”, a déclaré ce mardi Ben Bernanke, le président de la Fed, lors d’une audition devant la Commission bancaire du Sénat.

Un coup dur qui risque également de peser dans les négociations en cours entre les pouvoirs politique et le lobby financier alors que des réformes de grandes ampleurs, comme la réglementation Vickers, doivent bientôt voir le jour…

Avec l’Expansion

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