Qui est Mathias Dewatripont, le vice-gouverneur évincé de la BNB ?

Mathias Dewatripont © Belga

Le remplacement politique du vice-gouverneur de la Banque nationale, Mathias Dewatripont, étiqueté socialiste, fait beaucoup de bruit. Portrait de ce professeur d’économie devenu banquier central, histoire de passer de la théorie à la pratique.

Veiller sur la politique de contrôle des banques et des compagnies d’assurance du pays va rester son quotidien. Il ne portera cependant plus le titre de vice-gouverneur de la Banque nationale. Remplacé par le libéral Pierre Wunsch, Mathias Dewatripont avait officiellement pris ses fonctions au sein de la direction de la BNB en mai 2011. Un organe au sein duquel il siège depuis bientôt quatre ans, en charge de la stabilité financière.

C’est suite au départ à la retraite en 2011 de l’ancien gouverneur Guy Quaden et celui de Peter Praet pour la Banque centrale européenne en juin de la même année, qu’il a en effet fallu trouver deux nouvelles têtes pour compléter le cénacle de la BNB, composé de huit membres, dont le nouveau gouverneur à l’époque Luc Coene. Avec Pierre Wunsch, alors chef de cabinet du ministre des Finances, Mathias Dewatripont, étiqueté PS, fut donc l’un de ces deux petits nouveaux.

Le portrait que nous en avions fait à l’époque montrait un homme au verbe prudent, presque inconnu du grand public et loin d’être un habitué des médias :

De l’autre côté du miroir

A l’inverse de son prédécesseur, Peter Praet, qui apparaissait régulièrement dans la presse du temps où il était chief economist à la Générale de Banque et puis Fortis Banque, ce Bruxellois de 55 ans n’est pas un communicateur né. Il ne s’est d’ailleurs jamais vraiment inscrit dans le débat politico-économique national. “Je ne suis finalement qu’un économiste, avance- t-il sobrement. Et mes travaux sont très académiques.” Et puis, un banquier central se doit de rester discret. “Si la communication est devenue une dimension plus importante de l’action des banques centrales, elles ne doivent pas le faire à tort et à travers.”

Ne comptez donc pas sur Mathias Dewatripont pour vous confier l’un ou l’autre petit secret sur l’état de santé de nos banques. La stabilité financière est une matière sensible depuis la débâcle de 2008. Et l’homme se retrouve aujourd’hui en première ligne. “Nous vivons une période charnière en matière de réglementation bancaire, indique-t-il. Le défi est de taille.” D’autant que cet académique pur jus n’est pas un professionnel de la finance. Professeur à l’ULB, et depuis plus de 10 ans au très prestigieux Massachusetts Institue of Technology (MIT), cet économiste sorti de l’alma mater libre-exaministe, également titulaire d’un doctorat à Harvard, mène depuis longtemps une double carrière d’enseignant et de chercheur. Sa spécialité ? La théorie des contrats. Un domaine de recherche, qui lui a valu l’obtention du Prix Francqui en 1998 mais aussi de devenir membre de l’Académie Royale de Belgique.

Fini le MIT !

Parmi ses autres fonctions, le pédagogue est également conseiller auprès de la Commission en matière de concurrence, directeur de recherche du réseau CEPR de Londres, collaborateur au think tank Bruegel, membre de divers conseils scientifiques d’écoles d’économie et de gestion business schools européennes (Barcelone, Tilburg, Toulouse), membre fondateur aussi du groupe de réflexion Re-Bel sur l’avenir institutionnel de la Belgique et enfin président du conseil scientifique de la Fondation ULB.

Et son costume de doyen de la Solvay Brussels School of Economics and Management ? Remisé ! “Je ne suis plus doyen de la faculté depuis quelques semaines déjà. C’est le vice-doyen, Bruno Pottelsberghe, qui fait pour le moment fonction de doyen. Je l’en remercie chaleureusement d’ailleurs.” C’est que “directeur à la BNB est clairement un boulot à temps plein. Hormis un cours de théorie monétaire à l’ULB, je vais pour le reste mettre un terme à toutes mes activités académiques et scientifiques. Y compris au MIT où je donnais cours pendant sept semaines par an.”

Un passé à la CGER

Mais pourquoi, au juste, ce changement de cap radical ? “Depuis longtemps, j’avais envie de confronter les concepts théoriques de la réglementation bancaire à la réalité du terrain. Il faut savoir que la notion d’aléa moral, dont on parle beaucoup dans la presse depuis trois ans, provient en fait de la théorie des contrats. Une théorie qui traite entre autres de l’asymétrie d’information qui existe dans le phénomène de titrisation ou dans les relations entre les institutions financières et les autorités de contrôle. Il y a parfois dans les comptes des banques des choses qui ne sont pas immédiatement visibles à l’£il nu.” Traduction : le monde bancaire ne lui est pas complètement étranger.

Autre corde à son arc : Mathias Dewatripont a été pendant sept ans, entre 1992 et 1999, membre du conseil d’administration de l’ancienne CGER et du holding qui la chapeautait alors (aujourd’hui la SFPI). A la suggestion de Robert Tollet ? “C’est effectivement en particulier à lui que je dois cette première expérience en relation directe avec l’économie bancaire.” Expérience qui l’a aussi indirectement aidé à écrire en 1994 un premier ouvrage sur la réglementation prudentielle des banques avec le Français Jean Tirole. Une star de la science économique, “tout à fait nobélisable” dit-il, et qui figure au rang de ses amis. Au même titre qu’André Sapir ou Eric De Keuleneer, collègues à l’ULB. Sans oublier Paul Magnette, lui aussi ulbiste et prince héritier du président Di Rupo.

Conseiller de l’ombre ?

Reconnu par ses pairs, doté d’un impressionnant CV et d’un agenda chargé, Mathias Dewatripont est à l’évidence une véritable machine à penser. Il n’en demeure pas moins “un pragmatique” non obsédé par les dogmes, quels qu’ils soient. “Je crois que le système de marché a ses qualités, notamment en matière d’innovation, situe-t-il. Mais il a aussi ses défauts, surtout en période d’intensification des inégalités telle que nous la vivons aujourd’hui. C’était déjà le problème qui motivait Keynes !” A vrai dire, l’homme ne s’en cache pas. “Je suis social démocrate. C’est le PS qui m’a proposé comme directeur à la BNB.” Tout comme c’est en portant le dossard PS qu’il a fait partie en novembre dernier du groupe d’experts chargés de se pencher sur la révision de la loi de financement. Au point pour certains de voir en lui l’un de ces conseillers de l’ombre des hautes sphères socialistes. “C’est exagéré”, minimise-t-il.

Côté jardin, ce père de deux enfants appréciant les vacances familiales en Floride est avant tout un grand dévoreur de bouquins. Il nous recommande d’ailleurs le dernier ouvrage d’Esther Duflo et Abhijit Banerjee ( Poor economics), “plus ambitieux et à mon avis plus intéressant que Freakonomics !”. Mais aussi celui de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ( This time is different – Eight centuries of financial folly). “D’un point de vue analyse, on reste parfois un peu sur sa faim. Mais les chiffres sont très intéressants.” Pour le reste, pas très sportif, Mathias Dewatripont s’est promis de rallier régulièrement son bureau de la BNB à pied. Habitant à un jet de pierre de la rue de la Loi, “c’est à 20 minutes de chez moi !”

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