Quand l’ex-patron de Citigroup “flingue” la banque universelle

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Vincent Degrez Journaliste

Le Glass-Steagall Act qui, depuis la Grande Dépression aux États-Unis, imposait la séparation des banques de détail et d’investissement, a été abrogé voici 16 ans quasiment jour pour jour. “Le modèle de banque universelle est par nature instable et intenable”, prévient aujourd’hui John Reed (ex-Citigroup) dans une tribune.

Les annonces des banques européennes se succèdent… et se ressemblent : lorsqu’elles ne dévoilent pas une restructuration, elles révèlent un changement profond au sein de leur management. La cause de ces mouvements ? “La quête d’une formule qui permettrait à ces banques de retrouver les jours de gloire d’avant la crise financière de 2008, ceux qui leur offraient envergure mondiale et bénéfices record”, écrit John Reed, ex-président et CEO du géant Citigroup, dans une tribune publiée par le Financial Times.

Cette formule n’existe toutefois pas, prévient l’ancien grand banquier américain : “La principale raison n’en est pas que la croissance économique reste sous la moyenne, ni que la régulation a coûté de plus en plus cher (aussi importants ces facteurs soient-ils).” Le problème vient plutôt de ce qu’il appelle un “périlleux numéro d’équilibriste culturel au coeur même du secteur bancaire européen”, autour de cette question : “Comment gérer et tirer profit de ces activités de trading et de banque d’investissement, avec leurs hauts niveaux de risque et de coûts ? Le modèle de banque universelle est le véritable enjeu de cette recherche d’un cocktail parfait au sein des banques en Europe et, d’évidence, aux États-Unis.”

Les 2 erreurs fondamentales du modèle de banque universelle

Outre-Atlantique, ce concept d’une “banque universelle” est assez récent, remarque encore l’ex-patron de Citigroup. Le Glass-Steagall Act qui, dès 1933, imposait la stricte séparation des banques de détail et d’investissement, a été abrogé sous l’ère Clinton voici 16 ans, quasiment jour pour jour.

“Un intense débat agite les États-Unis autour de cette question : les autorités devraient-elles adopter un nouveau Glass-Steagall Act, qui mettrait de facto fin au modèle de la banque universelle ?”, reprend John Reed. “Cette question devrait s’inviter de façon insistante dans la prochaine élection présidentielle. Pour y répondre, nous devons réfléchir à la raison pour laquelle le Glass-Steagall Act a été abrogé, et aux leçons que nous pouvons en tirer.”

John Reed décèle deux erreurs fondamentales dans la confiance aveugle accordée par les banques – et, à l’époque, par les consommateurs eux-mêmes – dans ce modèle universel et, partant, dans les marchés eux-mêmes.

Erreur n° 1 : croire que combiner tous les types de finance en une institution unique réduirait les coûts

Croissance corrélée à cette première affirmation : l’efficacité des institutions financières augmenterait proportionnellement à leur taille… “Nous savons à présent que bien peu de réductions de coûts – voire aucune – naissent de la fusion de plusieurs fonctions”, juge l’ex-patron de Citigroup. “Il est même possible que combiner tant de services dans une seule banque rende les coûts encore plus importants que si ces services étaient proposés par des acteurs spécialisés et de taille plus réduite.”

Erreur n° 2 : sous-estimer les “clashes” culturels

Un élément des plus sérieux, prévient John Reed : “Mêler des cultures d’entreprise incompatibles est un problème en soi. Cela fragilise l’industrie financière tout entière. Voilà ce que j’entends lorsque je parle d’un instable ‘numéro d’équilibriste culturel’.”

La banque traditionnelle attire un certain type de profil, extrêmement différent des talents qui s’orientent vers la banque d’investissement, illustre l’ancien CEO : “Les banquiers traditionnels sont des personnes plutôt extraverties et sociables, focalisées sur des relations à long terme. Ils sont, à bien des égards, réticents au risque.”

Les banquiers d’investissement et leurs traders, en revanche, sont davantage court-termistes, observe John Reed. “Ils n’ont aucun problème avec le risque – au contraire, beaucoup d’entre eux le recherchent activement – et sont davantage attirés par des récompenses immédiates. En outre, les banques d’investissement s’organisent le plus souvent autour de leurs produits plutôt que de leurs clients. Cela engendre des différences de valeurs tout à fait fondamentales.”

Conclusion de l’ex-président de Citigroup : “Les leçons du Glass-Steagall Act et de son abrogation en 1999 nous suggèrent que le modèle de banque universelle est par nature instable et intenable. Aucun niveau de restructuration, de régulation ou de changement de management ne pourra sans doute changer cela.”

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