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‘Pourquoi (et comment) les épargnants ont perdu 20 milliards d’euros’

La répression financière. C’est un mot bien inquiétant, qui désigne la politique délibérée des autorités pour pousser les taux à des niveaux anormalement bas.

Le but ? Pénaliser les épargnants et les institutions financières qui perçoivent des intérêts sur leurs placements. Pourquoi ? Pour aider les Etats très endettés en réduisant à la portion congrue la charge d’intérêts qu’ils doivent payer. Et pour dégoûter les épargnants, afin de les forcer à consommer et à investir plutôt qu’à laisser dormir leur argent.

La répression financière, nous sommes plongés dedans depuis le début de la crise. La Banque centrale européenne a amené son taux directeur à zéro et elle procède depuis le mois de mars de l’an dernier à des achats massifs d’obligations d’Etat. Ces opérations poussent les taux toujours plus bas. Depuis 15 jours, le rendement du Bund allemand sur 10 ans est en territoire négatif. Historique.

A première vue, on pourrait se dire que c’est un mal pour un bien. Cependant, le débat prend un nouveau tour quand on sait combien cette politique a coûté jusqu’à présent. Le professeur Eric Dor (directeur des études de l’IESEG, l’école de gestion liée à l’Université de Lille) l’a calculé : pour les épargnants belges, le manque à gagner s’élève depuis 2009 à 20 milliards d’euros, soit presque 5 % du PIB. Ces 20 milliards constituent la somme des intérêts que les Belges auraient perçu si les taux s’étaient maintenus à leurs niveaux d’avant la crise.

” D’accord, dira-t-on, c’est un effort considérable. Mais c’est pour une bonne cause, non ?” Non, car l’effort est en grande partie inutile, voire néfaste : ces taux très bas alimentent la flambée des prix de l’immobilier, mais n’incitent pas les entreprises à investir ni les épargnants à consommer. L’épargnant, apeuré par la baisse de ses revenus, a même été poussé à épargner davantage, afin de constituer un trésor de guerre suffisant pour affronter l’avenir et son cortège de menaces : perte d’emploi, pension rabotée, maladie, stagnation séculaire, etc. Il suffit de jeter un coup d’oeil aux montants qui se sont réfugiés sur les livrets d’épargne pour se convaincre que le Belge épargne, épargne et épargne encore. L’encours du livret est passé de 142 milliards d’euros en septembre 2008 à 262 milliards aujourd’hui, alors que sa rémunération se rapproche pourtant de zéro.

Et cette tendance n’est pas près de s’inverser. Dans ses dernières prévisions, la Banque nationale table sur une remontée du taux d’épargne des Belges au cours de ces deux prochaines années : la part de revenu disponible que les ménages mettent de côté s’élevait à 12,5 % en 2014. Elle est de 13 % cette année et s’élèverait à 14 % en 2018.

Le constat est sans appel : sans une politique apte à ramener la confiance, abaisser les taux ne sert à rien. L’épargne va se loger dans des banques qui, faute de demande de crédits de la part des entreprises, achètent des obligations d’Etat ou investissent à l’étranger… “Cette politique est même contre-productive”, nous dit Eric Dor. L’épargnant, rappelle-t-il, s’attend à ce que les taux d’intérêt réels (corrigés de l’inflation) soient toujours positifs pour rémunérer l’effort de ne pas utiliser son argent aujourd’hui. Pousser les taux en territoire négatif pendant aussi longtemps, c’est donc laisser entendre aux épargnants que l’on s’enfonce dans la déflation. Ce qui n’est pas de nature à relever son moral.

Pour que l’activité redémarre, il faut que les entreprises reprennent confiance et que les ménages nourrissent le sentiment qu’ils gagneront davantage, seul élément qui permet de revoir la vie en rose. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, alors que les salaires stagnent et les revenus de l’épargne baissent. “Il faudrait, souligne Eric Dor, un consensus au niveau européen pour une hausse générale des salaires.” Il n’est pas le seul à le penser. Mais cela suppose une action collective et raisonnée au niveau de l’Europe. En est-elle encore capable ?

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