Pour échapper à l’inflation, les Vénézuéliens chassent les bitcoins

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Dans une pièce fermée à clé d’un immeuble de bureaux de Caracas, un secret bien gardé: 20 ordinateurs se consacrent au “minage” de bitcoins, permettant à des Vénézuéliens d’être récompensés en monnaie virtuelle et d’échapper ainsi à l’inflation galopante.

Utilisée dans des entrepôts, des bureaux ou même à domicile, la technique repose sur des machines chargées de résoudre des équations mathématiques qui vérifient la validité des transactions en bitcoins. En récompense, le système rémunère en bitcoins.

“Vous avez reçu 0,00847178 BTC (bitcoins) qui valent 35,55 dollars”: tel est le message reçu par le patron de Veronica, explique cette dernière, qui a souhaité que son prénom soit modifié pour témoigner.

Employée de bureau, Veronica raconte que son chef a installé 20 machines à bitcoins début 2015.

Face à ces ordinateurs, elle détaille: “Il y a des machines qui rapportent 800 dollars par mois (plus de 26 millions de bolivars, ndlr). Celles-là sont moins rentables car elles sont plus vieilles. Elles sont allumées toute la journée et de temps en temps mon chef reçoit un mail disant combien d’argent il a gagné”.

La méthode, utilisée dans le monde entier, prend une signification particulière au Venezuela, pays en plein naufrage économique et à l’inflation vertigineuse, attendue à 652,7% cette année par le FMI, voire 1.400% par le cabinet Econanalitica.

N’ayant plus confiance dans le bolivar, peinant à trouver des dollars, certains Vénézuéliens s’en remettent au bitcoin – actuellement valorisé à 5.615,05 dollars – ou à d’autres devises virtuelles.

Difficile ne pas se laisser tenter: en constatant les gains à son bureau, Veronica a elle aussi franchi le pas, chez elle.

“J’ai acheté une machine, une amie en a pris une autre et un garçon en a acheté 20. Nous allons les installer dans la maison d’une dame. La mienne a coûté 2.280 dollars et produit 20 à 25 Litecoins – une autre monnaie virtuelle – par mois”, indique-t-elle.

“Chaque Litecoin vaut 46 dollars, cela fait 920 dollars par mois”, se réjouit Veronica. Une fortune dans un pays au salaire mensuel minimum de 136.543 bolivars (40 dollars), complété par un bon d’alimentation de 189.000 bolivars (56 dollars).

Selon Randy Brito, fondateur du site BitcoinVenezuela.com, le boom de ces transactions virtuelles a commencé en 2014, quand la crise économique s’est intensifiée à mesure que chutaient les prix du pétrole, source de 96% des devises du pays.

Les bitcoins permettent de se mettre un peu à l’abri de cette crise.

– Pas sans risque –

“Celui qui achète des bitcoins avec des bolivars gagne de l’argent grâce à l’augmentation du prix du bitcoin par rapport au dollar, et échappe à l’inflation”, explique M. Brito à l’AFP.

Il estime qu’environ 100.000 Vénézuéliens “font du minage”, même s’il est impossible d’avoir un chiffre exact car beaucoup se protègent en passant par des serveurs dans des pays étrangers.

Ces monnaies virtuelles servent à acheter des aliments et des médicaments, produits frappés de grandes pénuries, indique Eugenia Alcala, fondatrice de Dash Caracas, une organisation qui fait de la pédagogie sur le sujet.

Selon le portail LocalBitcoins, dans la dernière semaine de septembre, les transactions en bitcoins ont atteint près de 40 milliards de bolivars (1,1 million de dollars) au Venezuela.

“Les gens sont comme des fous en train d’acheter des machines. Ils les achètent par internet en Chine et parfois il faut payer 1.000 dollars à quelqu’un pour qu’il les achète, car le site est saturé”, raconte Veronica. Chaque ordinateur coûte 1.310 à 2.280 dollars.

Vient ensuite un autre obstacle: “Pour que (la douane) les laisse passer, il faut payer au moins 800 dollars”, affirme à l’AFP Simon, un entrepreneur de 32 ans qui les importe.

L’acheteur rentre toutefois vite dans ses frais. Comme l’électricité est à tarif régulé, c’est “très rentable de +produire+ des bitcoins” – activité gourmande en énergie -, souligne l’économiste Asdrubal Oliveros.

“En électricité, nous dépensons à peine 15.000 bolivars par mois (moins de 50 centimes au taux du marché noir, ndlr)”, confirme Veronica.

Mais cela n’est pas sans risque: les agents des services secrets (Sebin) débarquent régulièrement dans les maisons et immeubles où un bond de la consommation électrique a été constaté. “S’ils trouvent des machines, ils arrêtent les propriétaires ou les rackettent”.

Certes, l’activité est légale, précise à l’AFP l’avocat Jesus Ollarves, mais la police “arrête ceux qui la pratiquent pour vol d’énergie”. D’où la nécessité, pour les “mineurs” de bitcoins, d’opérer en secret.

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