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‘Moïse était-il plus sage que Yellen et Draghi ?’

Le prophète avait décidé que tous les 49 ans se tiendrait l’année du jubilé, au cours de laquelle les terres hypothéquées seraient rendues à leurs propriétaires, les esclaves seraient libérés et les dettes annulées.

L’idée était de procéder à un effacement d’ardoise, une remise des compteurs à zéro, afin de faire repartir la société sur de nouvelles bases. Visiblement nous aurions bien besoin d’instaurer une règle similaire aujourd’hui.

Alors que le débat se focalise sur la meilleure manière de réduire la dette des pouvoirs publics, un danger tout aussi important réside dans le poids grandissant – en raison des politiques laxistes des banques centrales – des dettes privées un peu partout dans le monde. Et ces derniers jours, plusieurs éléments donnent à penser que le problème doit être pris à bras le corps, sans plus tarder.

La dette des ménages américains a atteint 12.200 milliards de dollars, soit le niveau juste avant la crise de 2008…

Aux Etats-Unis, la dette des ménages remonte depuis trois ans et elle a atteint fin mars dernier 12.200 milliards de dollars, soit le niveau d’endettement que les Américains avaient atteint en 2008, juste avant l’explosion de la crise des subprimes. Certes, on dira que les crédits sont de meilleure qualité. Ce n’est qu’à moitié vrai. Les crédits immobiliers ne comportent plus autant de risques, en effet. Mais la dette des étudiants a explosé (elle est passée de 700 à 1.200 milliards en quelques années) et 40 % d’entre eux ne payeraient plus leurs traites à temps, selon le Wall Street Journal. A cela s’ajoutent 1.100 milliards de dollars de crédits automobiles et 730 milliards de dollars d’encours de cartes de crédit qui ne sont pas non plus ce que l’on peut appeler de la bonne dette.

On répondra que les taux américains sont au plancher. D’accord. Mais comme on discute aujourd’hui d’une possibilité de remonter le loyer du dollar, cette soupape est fragile. D’autant qu’au niveau des entreprises, le paysage n’est pas plus rose : beaucoup d’études soulignent la hauteur du trésor de guerre des entreprises américaines (2.000 milliards de dollars environ), mais voici quelques jours, l’agence de notation Standard & Poor’s faisait remarquer que ce bas de laine était de petite taille comparé aux 6.700 milliards de dollars de dettes de ces mêmes entreprises….

La situation n’est pas tellement meilleure en Europe. Selon une étude toute fraîche de Citigroup, la dette des ménages et des entreprises de la zone euro s’établit à 170 % du PIB de la zone, soit quatre points de moins seulement que le sommet de 174 % qui avait été atteint en 2010. Ce n’est pas pour rien que notre grand argentier désire que l’on fasse une radioscopie du risque sur les crédits immobiliers chez nous.

Quant à la dette privée chinoise, elle flambe. La Chine a émis 1 trillion (1.000 milliards) de dollars de nouveaux crédits au cours du premier trimestre de cette année ! La dette privée chinoise atteint désormais les 200 % du PIB. Si l’on y ajoute la dette publique, on atteint 270 % du PIB, alors que voici 10 ans elle n’en représentait que 150 %. Et la capacité de remboursement s’étiole : le taux de croissance de l’économie chinoise, qui était de 10 % en 2010, tourne désormais aux alentours de 6 %. Pour The Economist, la question “n’est pas de savoir si la Chine sera frappée par les turbulences, mais quand”.

L’expérience passée nous dit qu’une trop forte dette privée mine la confiance en temps normal et renforce la gravité de l’impact de la crise s’il devait survenir un nouveau choc. Car les défaillances des emprunteurs déjà fragiles au départ se multiplieraient.

Alors oui, il est donc temps de songer à un jubilé, qui passerait par un véritable nettoyage du bilan des banques en Europe et en Chine, par une politique de crédit bien plus prudente aux Etats-Unis et par un peu plus d’inflation dans le monde (ce qui permet, avec le temps, d’alléger le poids de la dette). Sans quoi, comme le disait l’ancien directeur général du FMI Jacques de Larosière dans l’entretien qu’il nous avait accordé la semaine dernière, nous laisserions à nos petits-enfants un héritage pourri et les priverions du choix de bâtir la société qu’ils voudraient… Est-ce ce que nous voulons ?

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