Luc Coene: “Le Brexit est l’occasion pour l’Europe de redevenir attrayante”

Luc Coene © Belga

L’ancien gouverneur de la Banque Nationale Luc Coene est décédé jeudi à l’âge de 69 ans. En juin dernier, peu après le referendum sur le Brexit, il nous avait accordé une interview dans laquelle il plaidait pour une refonte du projet européen.

Ancien gouverneur de la Banque Nationale et membre du conseil de surveillance de la BCE, Luc Coene plaidait, dans la dernière interview qu’il nous avait accordée, pour une refonte du projet européen au lendemain du vote du Royaume-Uni pour sortir de l’UE. Et tout en déplorant ce comportement isolationniste, il estimait que notre pays pouvait récupérer certaines activités qui vont immanquablement quitter la City.

Revoici cet entretien, publié le 25 juin 2016, en intégralité.

Trends-Tendances: Pour vous, il valait mieux que le Royaume-Uni parte ?

Luc Coene: Oui. Il devenait très difficile de faire progresser l’Union européenne avec un partenaire qui gardait constamment les deux pieds sur le frein. Le vote d’aujourd’hui a levé l’hypocrisie. Bien sûr, il comporte des aspects négatifs : le Royaume-Uni était un membre important du marché intérieur et avait une importante place financière. Mais au moins, nous pouvons désormais avancer.

Certains disent que ce vote britannique est un vote sanction à l’égard de certaines élites, politiques ou économiques.

C’est clair. Il y a eu une réaction épidermique à l’égard d’une globalisation qui a été jugée trop importante. L’isolationnisme n’est pas payant. Ce vote est la conséquence du fait qu’une série de politiciens ont essayé de capter le mécontentement de la population en prétendant que si l’on revient à l’isolement d’avant, on retrouve le bien-être d’avant. C’est faux. Mais c’est désormais l’occasion pour l’Europe de reformuler son objectif, de redevenir attrayante pour la population. Une des grandes réalisations de l’Europe depuis 40 ans est d’avoir créé un marché gigantesque, qui permet à certains de se spécialiser et de produire pour ce grand marché à des prix compétitifs. Si vous retournez à l’isolement, si vous pensez que vous allez produire en interne tous les produits que vous consommez, vous allez les produire plus cher et devoir les vendre à des prix plus élevés, et les citoyens vont perdre du pouvoir d’achat.

Au Royaume-Uni, ce vote crée des scissions : entre jeunes et vieux, entre Anglais et Écossais, entre classes aisées et classes populaires.

C’était prévisible. Nous savions que le vote allait être serré. Le résultat aujourd’hui est qu’il laisse un pays divisé, avec plusieurs fractures en effet. Je crois que les conséquences seront plus importantes pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne. On l’a vu d’ailleurs vendredi matin, avec la violente réaction des marchés. Londres ne pourra plus jouer le rôle de place financière de référence de l’euro.

Vous pensez vraiment que Londres perd ce rôle ?

Personne ne va prendre le risque d’avoir une place financière située en dehors de la zone économique et monétaire de sa devise. Auparavant, le Royaume-Uni n’était pas dans l’Union monétaire, mais il était dans l’Union européenne, ce qui tissait des liens. Aujourd’hui, ces liens n’existent plus. Ces derniers temps, d’ailleurs, les grandes banques internationales avaient averti qu’en cas de Brexit, elles allaient délocaliser certaines activités en dehors du Royaume-Uni.

Où ? Vers Bruxelles ? C’est une opportunité pour notre place financière ?

Absolument. C’est maintenant que la Belgique doit créer les conditions pour accueillir ces institutions. Nous avons pas mal d’avantages: Bruxelles est la capitale de fait de l’Union européenne, elle est proche de Francfort siège de la Banque centrale européenne.

Mais Londres a bâti notamment un système juridique, la British law, adoptée par toute la finance internationale.

Oui, mais nous avons pu aussi attirer, de notre côté, des grandes institutions internationales comme Euroclear, Bank of New York Mellon, Swift…. En assouplissant quelques éléments de notre législation, nous pouvons attirer pas mal d’activités: des fonds de pension internationaux, des activités de clearing…

Quand on voit la forte réaction des marchés ce vendredi, vous n’avez pas peur que ce vote déclenche un risque systémique, à l’image de la faillite de Lehman Brothers ?

Non. La réaction a été virulente parce que les marchés avaient anticipé, les jours précédents, une décision inverse. C’est essentiellement la surprise qui cause ces bouleversements. Cela va se calmer. Mais cela n’exclut pas l’existence des tendances fondamentales: la perte en partie du statut de place internationale de Londres, la renégociation des traités de libre échange, la nécessité d’une nouvelle politique européenne…

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