Les vrais pièges des fausses ½uvres d’art

© Belga

La falsification est monnaie courante dans le marché de l’art et mieux vaut se rappeler les cinq commandements de la contrefaçon avant de céder à la tentation.

Dalí avait trouvé la parade. Pour régler ses problèmes de trésorerie à la fin de sa vie, il signa, contre rémunération, des dizaines de milliers de feuilles blanches destinées à être imprimées ultérieurement de fausses lithographies portant sa vraie signature. Si l’on excepte la roublardise et l’humour de Dalí, rares sont les artistes à apprécier le piratage de leurs oeuvres. Plus rares encore sont les acheteurs qui acceptent de se faire rouler par une copie. Voici cinq commandements à méditer.

1. Des grands noms, tu te méfieras

“Il n’y a de faux que lorsqu’un marché est actif”, rappelle Henry Bounameaux, président de la chambre belge des experts en oeuvres d’art. A notoriété élevée, risque maximal donc, même si la traçabilité et les catalogues raisonnés des artistes récents sont censés limiter les mauvaises surprises. En théorie du moins, car il n’est pas rare que des faux Warhol se retrouvent aux cimaises de galeries new-yorkaises réputées ou que des faux bronzes de Rodin s’invitent sur les stands des plus grandes foires internationales, comme ceux que fabriqua à la chaîne l’escroc français Guy Hain à la fin des années 1990…

Au jeu des valeurs sûres, les Arts premiers sont une cible rêvée si l’on se souvient qu’un masque fang du Gabon, authentique pour l’occasion, a été acquis l’an passé au prix de 6 millions d’euros chez Drouot, à Paris. De quoi faire rêver les faussaires qui semblent apprécier particulièrement les courbes de la statuaire Nok du Nigeria, parfois vieille de deux millénaires, ou les bronzes du Bénin.

“95 % des objets d’Afrique sont sortis du continent il y a 120 ans”, pointe Bernard de Grunne, marchand spécialisé dans l’art tribal et ancien de Sotheby’s, rappelant par là que les pièces les plus nobles et donc authentiques sont connues depuis belle lurette. “Nombre d’objets rituels africains prétendument ancestraux ont été usinés voici moins de 30 ans dans des fabriques qui ont pignon sur rue, ajoute-t-il. Il y en a même qui font leur publicité sur Internet ! Certaines ont la maladresse de décalquer des modèles admirés et tellement connus que l’on découvre immédiatement la supercherie.” A l’autre bout du globe, les antiquités chinoises sont aussi très prisées avec des répliques tout droit sorties des ateliers de Hong Kong, lesquels se sont mis récemment à “copier-coller” les très courues netsuke, des statuettes japonaises en ivoire apparues il y a 300 ans.

2. Le talent des faussaires, tu ne négligeras

De l’usurpation de la signature à la parfaite maîtrise du vernis, la palette de l’entourloupe est large et le faux parfois très difficilement décelable. La méthode mise au point par les Greenhalgh, une famille de faussaires britanniques arrêtée en 2007, tient lieu de vade-mecum. Afin de noyer le poisson, ceux-ci prenaient comme modèles des oeuvres perdues mais suffisamment inventoriées et documentées que pour être reproduites avec exactitude. Le fils de la famille, plagiaire hors pair, était chargé de réaliser la réplique tandis que les parents réintroduisaient sur le marché le chef-d’oeuvre oublié sous des noms d’emprunt !

Plus de 120 oeuvres bricolées à l’arrière de leur jardin furent ainsi achetées par de grands musées américains. Sculptures égyptiennes, pièces de l’époque romaine, céramique soi-disant exhumée de Gauguin (Le Faune, vendu à l’Art Institute of Chicago), les Greenhalgh ne reculaient devant aucun obstacle ! C’est un prétendu fragment d’un relief assyrien vieux de 2.500 ans et bidonné par leurs soins, qui les mena à leur perte. Un expert du British Museum pointa une erreur d’orthographe dans l’écriture cunéiforme…

3. De la science, point trop tu n’attendras

Ultraviolets, rayons X, scanner, carbone 14 : a priori la science dispose d’une armada technologique pour dater les oeuvres et débusquer les pièces qui n’ont d’antiquité que le nom. C’est sans compter sur l’imagination des escrocs. Ainsi les fameux tests de thermoluminescence qui ont pour principe de mesurer le taux de radioactivité naturelle accumulée au fil des siècles par les terres cuites sont remis en question… “En Chine, les faussaires irradient artificiellement des pièces neuves et les laboratoires n’y voient que du feu”, se lamente un expert bruxellois. Plus subtil, la collecte de tessons ou d’objets usuels antédiluviens, sans valeur commerciale mais puisés dans les tombes ou sur les sites archéologiques. La pêche qui n’a rien de miraculeux est ensuite refondue ou broyée, réduite à l’état de poudre avant d’être mélangée à un liant minéral ou organique. Résultat : un matériau qui même dans sa plus profonde intimité semble dater de la nuit des temps.

Au rayon des tours de passe-passe, il existe aussi le faux composite, soit un mélange entre mensonge et vérité… Imaginons une amphore byzantine dont la base est effectivement originale mais la partie supérieure reproduite et parfaitement intégrée ; l’examen de datation ne portant alors que sur le fragment d’époque… Moins détectable encore, la réplique d’une oeuvre ancienne sculptée directement sur matériau d’époque dont l’ancien visage disparaît sans laisser de traces sous les coups de ciseau. Il y a aussi la patine “faite maison” : les statues africaines dont les sillons sont incrustés de nourriture avant d’être livrées aux termites…

“Quant au carbone 14, il n’est pas fiable pour les analyses portant sur les pièces postérieures aux 18e et 19e siècles, c’est-à-dire une majorité des masques en bois africains de référence sur le marché”, rappelle Bernard de Grunne. Face aux limites de la technologie, certains experts scientifiques s’en remettent au bon vieux binoculaire électronique afin de traquer les microtraces de corrosion ou de dépôts organiques.

4. La kyrielle d’experts, tu constateras

Dans le milieu, on les appelle les “certificats de complaisance”. Un rapport de datation émanant d’un laboratoire d’expertise qui a toutes les apparences d’un document officiel en bonne et due forme, capable de vous certifier qu’un vulgaire fac-similé d’une théière de la dynastie Tang est bien une perle rare. Un problème d’autant plus gênant que certains marchands sont soupçonnés eux-mêmes d’être un peu trop bienveillants à l’égard de ces laboratoires qu’ils sollicitent pour rassurer leur clientèle…

En 2007, la très réputée galerie Noir d’Ivoire à Paris, spécialisée dans les Arts premiers, somma un confrère berlinois de retirer de sa vitrine des pièces d’Afrique noire que le marchand français jugeait fausses. “Le problème c’est que le métier d’expert en oeuvres d’art n’est pas protégé et que n’importe qui peut prétendre au titre”, regrette Henry Bounameaux. Pour tenter de départager le vrai du faux, que faire ? D’abord se méfier des experts trop généralistes. Pour nombre de professionnels du secteur, enfin, les tests en laboratoire ne remplacent pas l’£il du spécialiste, celui qui aime à dire que “le style fait l’oeuvre”.

En Belgique, la Chambre belge des experts en oeuvres d’art rassemble des personnalités de référence qui ont pignon sur rue. Seule réserve aux yeux de certains, extérieurs à la confrérie, ou devenus indésirables comme Patrick Laycock à la tête du Art Brussels Laboratory et qui travailla pour Eurantica, elle est constituée d’experts qui sont aussi des marchands…

5. Ton aveuglement, tu y remédieras

Et si l’acheteur devait avant tout se méfier de lui-même ? “Le marché des antiquités est encore habité du fantasme des trésors cachés, s’amuse un historien de l’art. L’amateur est toujours prêt à croire qu’il vient de dénicher LA pièce du siècle.” Si le marché regorge de faux, c’est peut-être aussi parce que l’acquéreur ou l’héritier rechigne à (re)connaître la cruelle vérité… Pourquoi dès lors ne pas négocier lors de la vente une analyse de l’oeuvre qui prend quelques jours à peine et coûte 250 euros en moyenne ? Vrai ? Oui.

Antoine Moreno

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