Les frères Winklevoss, les rois jumeaux du bitcoin

Les frères Winklevoss, ou la revanche par le bitcoin. © belgaimage

A 36 ans, les frères Winklevoss sont devenus les premiers milliardaires et les figures de proue de l’univers des cryptomonnaies. Une belle revanche pour ces deux forts en thème passés à côté de l’aventure Facebook. Mais ils ne comptent pas s’arrêter là.

Août 2012. Le soleil est en train de plonger dans la Méditerranée. Les baffles du Blue Marlin, célèbre club d’Ibiza, arrêtent un instant de cracher leur son, le temps pour les serveuses de se faufiler entre les clients et d’atteindre les carrés VIP, situés au bord de la plage. Le set du DJ doit reprendre dans quelques minutes. C’est ce moment-clé que choisit David Azar pour tenter sa chance. Le jeune homme se rapproche de la table de Tyler et Cameron Winklevoss, de passage sur l’île. Les jumeaux, millionnaires depuis leur procès contre le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, sirotent un cocktail au milieu de célébrités. A la recherche d’un prétexte pour les aborder, David Azar évoque un ” ami commun ” à New York. Mais la tentative fait pschitt.

Le businessman décide alors d’y aller franco et demande à Cameron s’il a déjà entendu parler du ” B-I-T-C-O-I-N ” et des cryptomonnaies. Et, surtout, s’il est prêt à ” investir “. Le colosse de 1,96 m, qui se vante souvent d’être un peu plus grand que son frère Tyler, prête cette fois l’oreille. L’échange est bref, mais le contact est établi. ” Ces deux minutes ont fait basculer la vie des frères Winklevoss “, considère, six ans plus tard, Nathaniel Popper, journaliste du New York Times et auteur du livre de référence sur le bitcoin, Digital Gold.

A leur retour aux Etats-Unis, Tyler et Cameron, qui viennent de lancer ensemble la société d’investissement Winklevoss Capital, se jettent à l’eau. Ils injectent plus de 1 million de dollars dans la plateforme d’échange BitInstant fondée par Charlie Shrem – David Azar est l’un des associés. Convaincus avant tout le monde de l’avenir doré des cryptomonnaies, les deux natifs de Southampton (Etat de New York) achètent par ailleurs pour plus de 11 millions de dollars de bitcoins, soit 1 % de la cryptomonnaie en circulation. Un pari assez fou. ” Investir autant d’argent, c’était phénoménal “, admire Frédéric Montagnon, créateur de la plateforme d’échange de cryptomonnaies Legolas aux Etats-Unis.

Les Winklevoss ont à l’inverse toujours eu une approche très professionnelle du secteur des cryptomonnaies.” – Nathaniel Popper (The New York Times )

A l’époque, le bitcoin ne vaut qu’une dizaine de dollars et souffre d’une réputation plus que sulfureuse. Six ans plus tard, tout a changé. Le cours du bitcoin a été multiplié par près de 700 pour atteindre les 7.000 dollars, quand l’indice Dow Jones a ” seulement ” doublé sur la même période. Il a même flirté, en décembre dernier, avec les 20 000 dollars ; qui sait jusqu’où il pourrait remonter à la faveur d’un nouvel accès de fièvre. De quoi faire pâlir d’envie un as de la finance comme Warren Buffett, pourtant pas avare de critiques envers la plus célèbre des cryptomonnaies.

Dans leurs bureaux new-yorkais, sur la 24e rue ouest, à 150 mètres du Madison Square Garden, les deux frères peuvent donc savourer. ” On se souvient encore du temps où le bitcoin valait moins de 8 dollars “, s’est amusé il y a quelques semaines Tyler, lors d’une interview télévisée sur Bloomberg. Eux qui passaient il n’y a pas si longtemps pour de gentils illuminés ont survécu à de multiples krachs du bitcoin et pèsent maintenant chacun environ 1 milliard de dollars, selon le magazine Forbes.

A la tête de Gemini – gémeaux en anglais – , l’une des plateformes de cryptomonnaies les plus performantes du monde, Tyler et Cameron Winklevoss font partie, avec les patrons de Ripple ou de Binance, du cercle très fermé des Crésus de la courte histoire des cryptomonnaies. Une sacrée revanche pour ces touche-à-tout traumatisés d’être passés à deux doigts de la création de l’une des entreprises les plus célèbres, prospères et désormais controversées de la planète : Facebook.

“L’affaire Facebook”

A la fin des années 2000, les deux étudiants, considérés comme des surdoués, ont dû digérer ce qu’ils considèrent comme la ” trahison ” de leur ancien camarade de Harvard, Mark Zuckerberg, avec qui ils avaient travaillé à un réseau social pour étudiants. Cette histoire ténébreuse a été immortalisée par David Fincher dans The Social Network. Au moment de sa sortie en 2010, le film remporte un succès planétaire et rafle trois statuettes aux Oscars.

Le grand public découvre en même temps que le héros de l’histoire, Mark Zuckerberg, un geek surdoué mais antipathique, sa (double) Némésis : les Winklevoss, interprétés par Armie Hammer. Deux archétypes du fils de famille aisée de la côte est qui affirment s’être fait voler l’idée du siècle. Après des poursuites judiciaires, ” l’affaire Facebook ” se réglera par un accord à l’amiable. En 2008, Tyler et Cameron se partagent 65 millions de dollars (20 millions de dollars en cash et 45 millions en actions). Un maigre lot de consolation puisqu’à l’époque du procès, le réseau social est déjà valorisé plus de 10 milliards de dollars… Aujourd’hui, le géant de Menlo Park, coté en Bourse depuis 2012, pèse environ 465 milliards de dollars !

Pour ces deux sportifs orgueilleux, ces 65 millions de dollars sont toutefois largement suffisants pour s’offrir un nouveau départ – sous le signe du bitcoin. Leur odyssée dans l’univers des cryptomonnaies, qui ne pouvait que séduire les fils d’un docteur en mathématiques et homme d’affaires multimillionnaire, a pourtant rapidement failli tourner au fiasco. Car dès 2013, le manque de professionnalisme de Charlie Shrem et David Azar, leurs partenaires d’Ibiza, va très vite les inquiéter.

Selon Tyler et Cameron, les services proposés par BitInstant sont insuffisants et les failles de sécurité très inquiétantes, alors que le bitcoin décolle (300 dollars). Autant de lacunes qui plombent l’aventure. ” Les Winklevoss ont à l’inverse toujours eu une approche très professionnelle du secteur des cryptomonnaies “, explique avec le recul Nathaniel Popper. En quelques mois, la plateforme non régulée, qui draine plus de 20 % du marché, croule sous les plaintes de près de 20.000 clients, surtout des particuliers. Pour ne rien arranger, Charlie Shrem est arrêté par la police en 2014 dans le cadre du scandale Silk Road, un site opaque où sont vendus des produits illicites (drogues, armes, etc.). Après avoir plaidé coupable, le PDG de BitInstant écope de deux ans de prison. Sa plateforme fait faillite.

“The Social Network” de David Fincher revient sur l’ “affaire Facebook”.© belgaimage

Un nouveau coup de poker

Beaucoup auraient jeté l’éponge, mais pas les tenaces Winklevoss, qui savent affronter les courants contraires, eux qui ont été finalistes de l’épreuve d’aviron aux JO de Pékin de 2008, où ils finissent sixièmes. Ils ont découvert ce sport à l’adolescence grâce à leur mère, Carol. À la fin de leurs études à Oxford, en 2010, ils affrontent Cambridge lors de la célèbre course opposant les deux universités. De quoi doper leur esprit de compétition.

Malgré la perte de leur mise de départ de 1 million de dollars dans BitInstant, les jumeaux décident de lancer leur propre structure spécialisée dans le bitcoin, Winklevoss Bitcoin Trust. L’idée vient de Tyler, le droitier. ” Il n’y a pas de leader entre les deux, précise cependant Nathaniel Popper. C’est un duo fusionnel, même si l’un est très réfléchi et l’autre très impulsif. ” Et cette fois-ci, ce sera du sérieux. ” Là où les Winklevoss ont été bons, c’est qu’ils ont compris rapidement que si les cryptomonnaies devenaient quelque chose de majeur, il faudrait les raccorder au monde de la finance “, estime Frédéric Montagnon, qui a eu l’occasion de les rencontrer à plusieurs reprises.

Pour les deux frères, surnommés ” Twinklevoss ” (de twin : jumeau en anglais), c’est une évidence : le bitcoin ne peut prospérer, à terme, que s’il est échangé sur des plateformes régulées, et basé sur des produits financiers réputés sérieux comme les ETFs (Exchange- Traded Funds, ou fonds négociés en Bourse). Leur objectif est d’inspirer confiance aux traders et aux fonds d’investissement.

En 2014, Tyler et Cameron seront les premiers à déposer un dossier auprès du régulateur américain (SEC) pour créer un ETF bitcoin, c’est-à-dire un fonds indiciel fondé sur les performances du bitcoin. A l’époque, c’est un nouveau coup de poker. ” On parle quand même d’un secteur où tout est à cons- truire “, décrypte Naeem Aslam, analyste financier chez ThinkMarkets. Il est vrai que Tyler et Cameron ne manquent pas d’assurance – elle confine parfois à l’arrogance. Larry Summers, ancien secrétaire américain au Trésor et directeur de Harvard quand ils y étudiaient et faisaient partie du très fermé Porcellian Club, a d’ailleurs confié qu’il n’a ” jamais vu des mecs rouler des mécaniques comme eux “, les qualifiant même de assholes

Cela ne les empêche pas d’être lucides. Ils savent que leur projet d’ETF a peu de chances d’aboutir – ce n’est toujours pas le cas à ce jour. Le lancement d’un tel produit serait un tournant pour le secteur des cryptomonnaies. Une vraie reconnaissance “, insiste Naeem Aslam. Mais ils estiment qu’à défaut de transformer l’essai immédiatement, ces premiers contacts avec la SEC leur permettent de prendre date pour l’avenir. Marquer leur territoire et… ne pas reproduire l’erreur commise avec Facebook.

Ambassadeurs de la régulation des cryptomonnaies

Les deux géants au sourire Colgate ne manquent pas d’idées. Non contents de diversifier leurs investissements en prenant des participations dans 70 start-up via Winklevoss Capital et en achetant d’autres cryptomonnaies comme l’ether, ils travaillent à faire de leur plate-forme Gemini la cryptoBourse du futur.

Lancée en 2015, la société, qui emploie aujourd’hui plusieurs dizaines de salariés, est devenue un acteur de poids. Pas forcément en volume d’affaires : elle se contente d’une centaine de millions de dollars par jour, un montant modeste par rapport aux plus gros acteurs du secteur, comme Coinbase, qui traite entre 500 millions et 1 milliard de dollars de transactions toutes les 24 heures. Mais certainement en termes d’influence et de notoriété. Gemini a ainsi été la première plateforme à recevoir sa BitLicense – le nom donné aux autorisations délivrées par l’Etat de New York pour les entreprises des cryptomonnaies. Le département des services financiers new-yorkais n’en a délivré que six en trois ans.

Tyler et Cameron se posent désormais en ambassadeurs de la régulation des cryptomonnaies, intervenant régulièrement dans les grands médias économiques anglo-saxons.

Depuis plus de deux ans, les clients de Gemini peuvent investir ” en toute sécurité ” dans le bitcoin et même dans l’ether, la deuxième cryptomonnaie du marché. Une offre qui doit bientôt s’étoffer avec d’autres devises. Tyler et Cameron se posent désormais en ambassadeurs de la régulation des cryptomonnaies, intervenant régulièrement dans les grands médias économiques anglo-saxons.

Ils viennent ainsi de proposer la création d’un organisme d’autorégulation, indépendant et à but non lucratif, qui regrouperait les principales plateformes. Un concept à rebours des principes des pionniers libertariens du bitcoin, qui rêvaient de créer un système décentralisé hors de toute autorité. ” Une organisation d’autorégulation sur les devises virtuelles se montrant indépendante de ses membres, représentant la plus grande diversité d’opinions et disposant de la capacité à déceler, révéler et punir toute action frauduleuse ne peut que participer à l’intégrité des marchés “, s’est à l’inverse réjouie la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), l’un des principaux régulateurs américains.

Une devise à la grande volatilité

Grâce à leur persévérance et leur souci du détail, Cameron et Tyler ont donc réussi à développer leur plateforme, saluée par les professionnels du secteur, notamment les traders. Ordres automatisés à l’achat, à la vente, système de stockage des devises virtuelles : ” Gemini est l’une des plateformes les mieux organisées “, analyse Nathaniel Popper.

Belle reconnaissance : fin 2017, en pleine ” bitcoinmania “, l’une des principales Bourses mondiales, le Chicago Board of Exchange (CBOE), a choisi leur plateforme pour fixer le prix du bitcoin dans ses premiers contrats à terme sur la cryptomonnaie. Une décision qui s’expliquerait notamment par la capacité des jumeaux à faire jouer leur carnet d’adresses. Le CBOE a mis en place des garde-fous pour modérer la grande volatilité de la plus célèbre des devises virtuelles. Il suspend par exemple les échanges pendant deux minutes si les prix augmentent ou chutent brutalement de 10 %, et cinq minutes si les oscillations atteignent 20 %.

Optimistes, les frères ont prévu de déménager les bureaux de Gemini dans les prochains mois. Toujours à New York, mais dans des locaux bien plus grands (plus de 10.000 m2), à deux rues de leurs bureaux actuels, pour continuer à croître, alors que le marché devrait poursuivre sa consolidation dans les prochains mois.

Fin février, Poloniex, la 14e plate-forme du marché, a été racheté par Circle, l’une des autres firmes détentrices d’une BitLicense comme Gemini. ” Le bitcoin vaudra un jour jusqu’à 40 fois sa valeur actuelle “, a récemment prophétisé Cameron. De quoi siroter un bon nombre de cocktails sur les plages d’Ibiza.

Par Raphael Bloch et Adrien Lelièvre.

Les autres milliardaires du bitcoin

Chris Larsen.

Inconnu du grand public, le cofondateur américain de la société Ripple, qui est aussi une cryptomonnaie, est l’homme le plus riche du secteur avec 8 milliards de dollars (6,5 milliards d’euros). Sa fortune est même montée à près de 20 milliards de dollars (16,3 milliards d’euros) fin 2017 lorsque le cours du ripple a dépassé 3,50 dollars, avant de revenir aux alentours de 50 cents.

Joseph Lubin.

Le Canadien, codéveloppeur de l’Ethereum (devise virtuelle) et fondateur de Consensys, une société qui aide les start-up à se lancer et à se développer dans la blockchain, possède une fortune estimée entre 1 et 5 milliards de dollars (810 millions à 4,1 milliards d’euros).

Changpeng Zhao.

Le Sino-Canadien, PDG de Binance, une plateforme d’échange de cryptomonnaies considérée comme l’une des plus grosses de la planète, possède une fortune estimée à 2 milliards de dollars. Binance est capable de traiter 1,4 million de transactions au quotidien pour ses 6 millions de clients.

Matthew Mellon.

L’héritier de la Bank of New York Mellon a investi très tôt dans les cryptomonnaies, mais pas dans n’importe lesquelles, lui qui craint un ” affaiblissement des Etats-Unis “. Le milliardaire américain a acheté 2 millions de ripple dès 2012 quand il ne valait même pas quelques centimes. Sa fortune actuelle est estimée à 1 milliard de dollars.

Brian Armstrong .

Le PDG de Coinbase a seulement un an de moins que les frères Winklevoss, mais dirige, lui aussi, un empire financier évalué à 1 milliard de dollars. Sa plateforme d’échange, installée en Californie et considérée comme l’une des plus importantes du secteur, compte près de 15 millions d’utilisateurs.

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