La zone euro passera-t-elle Noël ?

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Jacques Attali posait ainsi la question de l’éclatement de la zone euro dans 20 minutes. Mais il n’est pas le seul à envisager la catastrophe. Trends.be examine les raisons d’être pessimiste… ou au contraire optimiste.

Pourquoi un éclatement de la zone euro est possible

L’OCDE l’envisage officiellement
Le dernier rapport de l’OCDE, l’organisation des pays les plus riches du monde, est très pessimiste. Ses différents scénarios vont du fort ralentissement de la croissance mondiale à la récession longue dans les pays développés. Mais ce dernier est assorti d’une variante particulièrement inquiétante. “Même s’il y a peu de chances pour qu’il se matérialise, écrit-elle, ce scénario pourrait se trouver nettement accéléré et amplifié si un ou plusieurs pays venaient à quitter la zone euro et à rétablir leur propre monnaie nationale”. L’OCDE prend acte du fait que “la contagion est entrée dans une nouvelle phase et s’étend au-delà des pays de la zone euro dont les finances publiques sont normalement considérées comme vulnérables.” Et d’avertir : “Compte tenu de la grande incertitude à laquelle ils font actuellement face, les décideurs doivent se préparer au pire”.

Les grandes entreprises s’y préparent
Le message est manifestement reçu 5 sur 5 dans les entreprises. Les banques sont les premières à l’envisager. Merrill Lynch a publié un rapport le 25 novembre intitulé “Zone euro: penser l’impensable”, dans lequel elle va jusqu’à chiffrer les conséquences sur la valeur de l’euro d’une sortie de l’Allemagne. Les banques se posent aussi pour elles-mêmes le problème du risque de “redénomination”. En clair, elles cherchent à déterminer quels actifs seraient menacés par une conversion dans une nouvelle devise, afin d’essayer de se couvrir.
Ces réflexions sont en cours dans tous les secteurs d’activité. De grandes entreprises se prépareraient à un éventuel éclatement de l’euro soit en plaçant leurs liquidités dans des investissements sûrs, soit en rapatriant leur cash des pays les plus fragiles. Les contrats aussi seraient examinés avec minutie pour connaître dans quelle monnaie ils pourraient être honorés en cas de disparition de l’euro. Selon le Figaro, plusieurs grandes plates-formes financières (CLS Bank, ICMA, Thomson Reuters ou encore FXall), qui exécutent des transactions sur le marché des changes, ont fait savoir à leurs clients qu’elles se préparaient à un tel scénario.

La pression des marchés s’accentue La crise de la dette en zone euro ne laisse aucun répit aux pays les plus fragiles. Mardi, les taux d’intérêt payés par l’Italie pour emprunter sur les marchés ont ainsi atteint un nouveau record, dépassant nettement le seuil de 7%, jugé insoutenable à long terme, lors d’une émission obligataire très attendue. Le problème, c’est que la méfiance des marchés touche désormais tout le monde. La France, mais aussi l’Autriche et la Hollande ont vu l’écart de leurs taux d’intérêt augmenter par rapport à l’Allemagne. Puis ce fut au tour de l’Allemagne elle-même d’en subir les conséquences au travers d’une levée de fonds ratée à 40%. Dernier signe inquiétant, la Banque centrale européenne a récolté 9 milliards d’euros de moins que prévu mardi lors d’une opération d’absorption de liquidités destinée à compenser ses rachats d’obligations publiques. Un résultat très inhabituel. Dans le même temps, les agences de notation dégradent ou menacent de dégrader à tour de bras. Moody’s a ainsi prévenu qu’aucun pays européen n’était désormais à l’abri.

La crise de la dette s’étend aux banques
La crise de la dette pèse sur les banques, y compris américaines. L’agence de notation Standard and Poor’s a abaissé mardi la note des plus grands établissements financiers du pays. Elle pointe les conséquences du ralentissement économique, mais également les difficultés de financement provoquées par la crise de la dette souveraine européenne. Sur le Vieux continent, face à ces mêmes difficultés, de nombreuses banques, notamment françaises, ont été obligées de réduire la taille de leur bilan. La crainte étant qu’elles finissent par réduire aussi leurs financements à l’économie. Dans l’immédiat, les experts refusent de parler pénurie de crédit, mais les premiers signes d’une détérioration de l’offre sont d’ores et déjà observables. En France par exemple, la hausse des encours de crédit aux entreprises s’est tassée de +8 % en août à 4,8 % en octobre.

Reste que le pire n’est pas certain. Après avoir beaucoup déprimé, les marchés veulent d’ailleurs croire qu’une sortie de crise est possible. Lundi, les premières rumeurs sur différents dispositifs d’intervention avaient réussi à les rendre euphoriques. Et mercredi, c’est une intervention déterminée des banques centrales qui a boosté leur optimisme. Paris a ainsi clôturé en forte hausse (+4,2%), tout comme Francfort (+4,9%) et Londres (+3,1%). Wall Street était dans le même état d’esprit en fin d’après-midi (+3%).

Comment la zone euro pourrait survivre

Des banques centrales unies contre la crise

C’est l’union sacrée des banques centrales. La BCE, la FED mais aussi les Banques d’Angleterre, du Japon et de la Suisse ont annoncé ce mercredi qu’elles continueraient à soutenir la liquidité du système financier mondial comme elles l’ont fait lors de la crise de 2008 et en septembre dernier. Pour ce faire, les banques centrales vont s’alimenter en dollars auprès de la FED à un taux d’intérêt réduit de 0,5% jusqu’en février 2013. Ces institutions pourront ensuite répercuter les taux avantageux sur les banques nationales qui seront incitées à prêter aux ménages et aux entreprises. Par cette décision, les banques centrales cherchent à éloigner la crainte de credit-crunch, une réduction massive de l’offre de crédit des banques. “Cette annonce est encourageante dans la mesure où elle cible directement un problème clé, c’est-à-dire la difficulté des intervenants du marché financier à avoir accès à des financements”, explique Tom Levinson, économiste chez ING.

Un FESF renforcé…mais toujours insuffisant

Après bien des déboires, le Fonds européen de stabilité financière renforcé (FESF) va enfin voir le jour. Il détient encore 250 milliards d’euros, mais pourrait favoriser un volume de prêts trois à cinq fois supérieur en agissant comme garant auprès d’investisseurs privés qui, eux, prêteront à des États européens “fragiles”. Ce dispositif était censé favoriser un volume maximal de prêts de 1000 milliards d’euros . Mais cet objectif ne sera finalement pas atteint, a annoncé ce mercredi le chef de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker. En cause : la méfiance des investisseurs envers la dette européenne. Ils devraient en effet réclamer un niveau de couverture plus proche des 30% que des 20%, ce qui “nous amène à un peu plus de 750 milliards d’euros” de force de frappe pour le FESF selon un diplomate européen. Pas sûr que cela suffise face l’envolée des taux d’intérêt, notamment italiens. A elle seule, Rome doit lever près de 240 milliards d’euros sur les marchés en 2012.

Un FMI faux-nez de la BCE

Heureusement, une autre bonne nouvelle est venue rassurer les marchés ce mercredi. Jean-Claude Juncker a en effet annoncé que les ministres des Finances de la zone euro allaient travailler “rapidement” à une augmentation des ressources du Fonds monétaire international (FMI). Et ce dans le but d’utiliser l’institution comme courroie de transmission entre la Banque centrale européenne (BCE) et les États fragiles. Une courroie, car aujourd’hui la BCE refuse de financer directement les États, action interdite par son mandat. En revanche, elle est autorisée à prêter à des institutions internationales. Ce dispositif se heurte toutefois à un nouvel écueil: la BCE n’étant pas membre du FMI, les contours juridiques de cette intervention sont encore flous.

Un Pacte de stabilité renforcé

L’initiative n’est pas encore officielle, mais on s’y dirige tout droit. Paris et Berlin se seraient entendus pour créer un nouveau Pacte de stabilité réservé aux pays européens notés Triple A. Plus contraignant que celui de Maastricht (3% de déficit et 60% de dette), il servira à créer un ilot de stabilité budgétaire susceptible de ramener la confiance des marchés en zone euro. L’idée de créer des obligations européennes “d’élite” fait également son chemin. Réticente à mettre en place des eurobonds à l’échelle des 17, Berlin serait favorable à une mutualisation des dettes parmi les États notés triple A. Même si rien n’est encore acté – les principaux intéressés ont pour le moment démenti ces informations – des décisions dans ce sens devraient être annoncées lors du sommet européen de Bruxelles vendredi prochain.

Encore un sommet “de la dernière chance”

Les sommets européens se suivent et se ressemblent. Après le rendez-vous du 21 juillet, celui du 26 octobre, les dirigeants de la zone euro se rassemblent à nouveau le 9 décembre à Bruxelles pour un troisième sommet de la dernière chance. Cette fois-ci, aucune décote sur la dette grecque n’est prévue, il s’agira plutôt de renforcer la discipline budgétaire des États, une doctrine très chère à Berlin. Les dirigeants n’auront pas le droit à l’erreur, la mise en garde a été rappelée par le Premier ministre italien ce mercredi. “Nous savons que ce qui sera décidé ou non décidé sera sanctionné par les marchés le 10”, a affirmé Mario Monti. Car cette fois-ci, contrairement aux autres sommets, l’Europe joue sa survie. Selon le blog du journaliste de Libération Jean Quatremer, même à la chancellerie allemande, on admet, du bout des lèvres, qu’il y a “maintenant des doutes sur la survie du système ” européen”.

Julie de la Brosse, Ali Bekhtaoui et Yves Adaken

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