La Suisse, emblème d’un monde déboussolé

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La Suisse. Ses chocolats, ses montagnes, ses banques, sa stabilité financière…. Ce dernier point, cependant, est désormais à revoir : depuis quelques jours, le pays est en proie à un “tsunami financier”.

La semaine dernière, la Banque nationale suisse (BNS) a créé la surprise en décidant d’abandonner le cours plafond qu’elle avait fixé entre son franc et l’euro. A présent libre de ses mouvements, le franc suisse est brusquement remonté de 20 % face à l’euro et à d’autres devises, entraînant un krach de la Bourse qui craint que l’économie du pays soit lourdement handicapée par un franc trop fort.

Certains secteurs, très fortement dépendants de la clientèle étrangère, hurlent : l’horlogerie, les produits de luxe, les fabricants de machines de précision, le tourisme, etc.

Ce ne sont pas les seules victimes potentielles : des centaines de milliers de ménages polonais et hongrois ou des communes françaises, qui ont un crédit lié au franc parce qu’ils voulaient profiter de taux très bas, sont piégés. Dans les salles de marché, ceux qui avaient joué le franc à la baisse se mordent les doigts : Citigroup, Barclays et Deutsche Bank accuseraient à elles trois une perte cumulée de 500 millions d’euros. Certains estiment qu’au final, les pertes des banques pourraient se chiffrer en milliards.

A vrai dire, ce n’est pas la première fois que la Suisse, déboussolée par le monde d’après crise, prend une décision surprenante et contre-productive.

La Suisse. Ses chocolats, ses montagnes, ses banques, sa stabilité financière…. Ce dernier point, cependant, est désormais à revoir.

Voici quelques mois, les Helvètes avaient, lors d’une votation suscitée par un parti populiste, adopté à une courte majorité un texte limitant la libre circulation des personnes, à la fureur de l’Union européenne qui désire reconsidérer ses relations avec Berne. Une décision étonnante pour un pays qui est un des rares à afficher le quasi plein-emploi et dont l’industrie tire profit d’une main-d’oeuvre bon marché venant de l’étranger.

Tout aussi étonnant aujourd’hui : ce geste d’impuissance des autorités monétaires helvétiques. Dans un monde plus que jamais instable, où l’économie chinoise donne des signes de faiblesse, où l’euro se désagrège à mesure que le risque de déflation grandit et où les banques centrales sont désordonnées comme jamais (avec des robinets de liquidités qui se ferment aux Etats-Unis, qui s’ouvrent en Europe et qui continuent de couler à flots au Japon), le franc suisse était le Saint Graal. Les grands patrimoines s’y sont précipités, achetant des actifs libellés en devise helvétique, même si ceux-ci étaient assortis de taux négatifs. Mais le Graal est un calice d’une capacité limitée et sa recherche, nous dit la légende, n’est pas sans danger.

La demande exceptionnelle de francs a créé une pression de plus en plus insupportable. Ces trois dernières années, la BNS a multiplié les interventions sur le marché des changes, achetant de l’euro et vendant du franc. Mais ne pouvant accumuler indéfiniment des montagnes d’euros (le montant de ses réserves a été multiplié par 10 depuis fin 2011), et malgré ses propos vigoureux, elle a fini par craquer.

Le cas suisse est emblématique. Il témoigne du fait que dans un monde où rode la déflation, les repères se perdent. Les vertus d’hier sont les vices d’aujourd’hui. “La volonté d’économiser est désormais un frein à l’investissement, explique le prix Nobel d’économie Paul Krugman. La probité budgétaire mène à la stagnation. Et, dans le cas de la Suisse, posséder des banques sûres et une monnaie saine sont devenus des handicaps majeurs.” La gravité exceptionnelle de la crise est telle que même une banque centrale se trouve à présent impuissante à juguler des forces qui la dépassent. La Suisse montre par l’absurde qu’il est urgent de coordonner les politiques monétaires. Face aux déséquilibres actuels, un pays isolé ne peut rien. Même s’il est le plus riche de tous.

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