La Bourse n’est pas dévoyée par l’informatique

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“L’informatique ne change rien: il y a ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas”

CEO d’Euronext Brussels, Vincent Van Dessel, désire remettre certaines pendules à l’heure. Ce que l’on reproche aujourd’hui au trading à haute fréquence s’observait déjà par le passé, dit-il. L’informatique a simplement permis l’accélération de certains processus.

Le trading à haute fréquence ne vous fait pas peur ?

On confond souvent deux choses. Il y a d’un côté des manipulations de cours et des comportements d’insider trading (des gens détenant des informations sensibles avant les autres et en profitant). Ce n’est pas neuf et c’est à proscrire. De l’autre côté, il y a le trading à haute fréquence (HFT) qui est simplement la conséquence de l’avancée de la technologie. Le principe du HFT est le même que celui qui guidait le trader classique : il s’interpose entre acheteurs et vendeurs pour essayer d’en tirer profit.

Or, il donne ainsi le meilleur prix d’achat à l’acheteur et le meilleur prix de vente au vendeur. Quelle est la conséquence de cette accélération pour les marchés ? Elle est forcément positive car ces traders amortissent les écarts de cours.

On soupçonne les HFT de manipuler le marché en passant des milliers d’ordres et en les retirant avant qu’ils ne soient exécutés…

C’est un jeu entre traders qui est vieux comme le monde. Par le passé, certains aussi faisaient semblant de se mettre à l’achat sur une valeur, afin d’inciter leurs collègues à les imiter. Et ensuite, ils passaient un ordre de vente. Qui cela peut influencer ? Les autres traders, mais pas l’investisseur lambda qui achète ou vend à long terme. Lui, il se moque des “micro-écarts” sur lesquels jouent les traders. Ceci étant, à plus grande échelle, le danger est qu’un trader place un très grand nombre d’ordres puis les retire pour ralentir le marché. Néanmoins, aujourd’hui ces pratiques sont interdites. En plus de leur interdiction, nous facturons une commission importante dans ce cas, justement afin de décourager ces comportements.

Les transactions par algorithmes, dans lesquelles les hommes n’interviennent plus, représentent aux Etats-Unis 70 % du volume et 30 à 40 % en Europe. C’est énorme !

Attention ici aussi à ne pas confondre : un algorithme est simplement un programme qui exécute ce qu’un humain a programmé. Les grands institutionnels (assureurs, fonds de pension, etc.) ont toujours passé des ordres plus complexes afin de ne pas trop faire bouger les cours. Les intermédiaires ont à cet effet, au fil des années, développé des algorithmes d’exécution. Et puis, il y a des algorithmes de trading. L’ordinateur qui se met en face d’un vendeur ou d’un acheteur est forcément le premier à lui offrir le meilleur prix.

Par définition, ces ordres de pur trading ne peuvent jamais dépasser 50 % du volume total, car sinon, cela voudrait dire que les traders deviendraient eux-mêmes quelque part investisseurs. Au lieu de profiter des micro-mouvements du marché, ils feraient bouger les cours eux-mêmes, ce qui augmenterait leur risque au profit des autres acteurs du marché. Sur les 70 % d’ordres algorithmiques, je peux imaginer qu’il y a 40 % d’algorithmes de trading (où peuvent apparaître des HFT) et 30 % d’algorithmes d’exécution.

La Bourse n’est donc pas dévoyée par l’informatique ?

Non. Il faut bien comprendre pourquoi un trader utilise l’ordinateur aujourd’hui. Grâce à ces programmes, il peut suivre un nombre infini de valeurs. Auparavant, il était limité par sa capacité physique et ne pouvait réagir que sur 20 ou 30 valeurs. L’intérêt du trader est d’être le premier à réagir quand survient un événement (un mouvement de cours, une information). C’est le plus rapide qui profite de ces changements. Comme dans une course cycliste, il ne peut y avoir qu’un vainqueur. Et ceux, souvent parmi les traders, qui disent que l’on va trop loin sont généralement ceux qui ne peuvent plus suivre.

C’est pour cela qu’Euronext loue à des sociétés de trading les emplacements les plus rapprochés de son serveur informatique afin de gagner quelques millisecondes…

Oui, c’est ce qu’on appelle la colocation. Cela n’est pas neuf non plus. Par le passé, et avant l’existence du téléphone mobile, les agents de change essayaient d’obtenir pour leur cabine téléphonique l’emplacement le plus rapproché de l’escalier qui menait au parquet de la Bourse afin de pouvoir être le premier à profiter, par exemple, d’un écart de cours sur une valeur cotée à la fois à Bruxelles et Francfort !

On s’étonne quand même de l’importance des gains de ces sociétés de HFT. Et aussi du fait qu’une société de HFT comme Virtu, qui songe à s’introduire en Bourse, n’ait connu qu’un seul jour de pertes de trading sur ces cinq dernières années.

Les gains des traders doivent être mis en relation avec le volume global de trading. Quant à Virtu, c’est probablement parce que ses programmes sont bons. Mais ce n’est pas si compliqué : ils réagissent en premier à ce qui se passe dans et autour des marchés. De ce fait, ils font en sorte que les prix reflètent immédiatement l’information disponible et que les écarts de cours soient plus étroits qu’avant. Je le répète : l’investisseur dispose d’un meilleur prix avec ces traders que sans. On l’a vu d’ailleurs en 2010 lors du flash krach de la Bourse de New York : il y a eu un mouvement de cours trop important, les traders à haute fréquence se sont retirés, et le marché est tombé dans le vide.

Personnellement, j’ai confiance dans les marchés comme jamais. Les grosses valeurs sont suivies au niveau mondial, et pour ces titres liquides, je suis certain d’avoir le juste prix. Vous savez, l’informatique ne change rien à la nature des comportements. Il y en a qui sont autorisés, il y en a qui ne le sont pas. La seule chose est que la technologie permet d’aller beaucoup plus vite et que c’est plus spectaculaire.

Sébastien Buron et Pierre-Henri Thomas

Le trading à haute fréquence, ce sont : – des ordres qui peuvent être modifiés ou annulés à une très haute fréquence, de l’ordre de la milliseconde, voire de la microseconde.

– plus de la moitié du négoce d’actions aux Etats-Unis.

– entre 30 et 40 % des transactions réalisées sur les marchés d’actions en Europe.

– du quote stuffing, layering ou spoofing : quelques techniques susceptibles d’être utilisées par les robots spéculateurs pour faire bouger les cours, leurrer les investisseurs lents, etc.

– des accidents tels que le flash krach du 6 mai 2010, les déboires de Knight Capital ou la mise en Bourse ratée de la plateforme alternative Bats.

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