La BCE a quinze ans et s’est muée en gestionnaire de crise

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La Banque centrale européenne (BCE) a quinze ans le 1er juin, une adolescence marquée par une crise phénoménale qui l’a obligée à s’émanciper de son mandat originel pour tenter de sauvegarder la zone euro.

Notre mandat est “clair comme de l’eau de roche” avait l’habitude de déclarer Jean-Claude Trichet, son président pendant huit ans jusqu’à l’automne 2011. Soit: le maintien d’une inflation proche mais inférieure à 2% pour l’ensemble de la zone euro. A ce titre, “la mission est accomplie”, se plaisent à répéter les responsables de l’institution de Francfort. “Dans ce domaine, la BCE a fait un excellent travail, meilleur que n’importe quelle autre banque centrale dans le monde et bien meilleur que la Bundesbank”, la banque centrale allemande, estime aussi Holger Schmieding, chef économiste de la banque Berenberg.

Mais cette quête unique de stabilité des prix, en réaction à l’inflation élevée des années 1970, a montré ses limites puisqu’elle n’a pas permis d’éviter la formation d’une bulle financière et d’une crise de la dette publique dans certains Etats de la zone euro, qui ont menacé les fondements même de la monnaie unique. Face à cette situation, la BCE n’a eu d’autre choix que d’agir, en baissant ses taux mais aussi en adoptant, parfois dans la douleur, des mesures inédites, qualifiées de “non conventionnelles”. Elle a injecté des liquidités en grande quantité, accepté de nouvelles garanties en échange de ses prêts. Surtout, elle a adopté un plan de rachat de la dette des Etats en difficulté en 2010, le SMP, remplacé par l’OMT en septembre 2012, soumis à condition. “Ils ont réussi à tirer au maximum les limites de leur mandat”, estime Gilles Moëc, économiste chez Deutsche Bank.

Pour les marchés et les responsables politiques, la BCE est devenue le recours ultime face à la crise, du fait de ses moyens financiers et sa capacité d’agir vite, contrairement aux autres institutions européennes. Un rôle illustré par l’effet d’apaisement immédiat apporté sur les marchés par ce qui est communément appelé désormais “la déclaration de Londres” de son président actuel, l’Italien Mario Draghi. En juillet 2012, au paroxysme de la crise pour la zone euro dont on prédisait l’éclatement prochain, M. Draghi a affirmé que la BCE ferait tout ce qui était en son pouvoir pour la préserver dans ses frontières actuelles.
Pour Christian Bordes, professeur d’économie à l’université Paris I, cette affirmation, qui a réussi à ramener les marchés vers un certain équilibre sans avoir eu besoin d’intervenir, “constitue une rupture” dans son action.

Mais la BCE, en acceptant cette responsabilité, doit aussi prendre garde à ne pas mettre en jeu son indépendance vis-à-vis des politiques et sa crédibilité. “La BCE ne peut pas être l’oméga de la politique économique de la zone euro, ce n’est pas une institution élue et il y a un risque en retour que l’opinion publique considère qu’elle va trop loin”, explique Gilles Moëc. “C’est quelque chose que Draghi évoque de plus en plus dans ses déclarations, il y a un pas que la BCE ne veut pas franchir: se transformer en dictateur bienveillant de la zone euro”, ajoute-t-il.

En 2014, l’institution, qui assiste aussi la Commission européenne et le Fonds monétaire international, au sein de la Troïka, va encore se voir confier une nouvelle fonction, celle de superviser les grandes banques de la zone euro. “C’est une tâche délicate car elle n’a pas la même compétence sur les systèmes bancaires nationaux” qu’en matière monétaire, estime Christian Bordes.
L’autre défi qui l’attend est de gérer l’hétérogénéité des situations dans les pays de la zone euro, alors que sa politique monétaire se devait d’être uniforme et son discours unique. Or même dans une zone monétaire, il faut des mécanismes qui permettent de prendre en compte la disparité des situations “car sinon se créent des phénomènes de bulle”, constate Christian Bordes.

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