“L’élite a échoué !” : l’ex-CEO de Fortis analyse la crise

© Image Globe/Jorge Dirkx

EXCLUSIF. Karel De Boeck est, en tant qu’ancien patron de Fortis, devenu – contre vents et marées – un spécialiste des groupes bancaires en difficulté. Il met le doigt là où ça fait mal : “L’élite a échoué !”

Auriez-vous, avec votre expérience, pu prévoir ce scénario pour Dexia ?

Karel De Boeck. Je l’ignore. En revanche, j’ai des questions. Une banque doit pouvoir reconnaître lorsqu’un cycle est en baisse. Lorsque le volume de crédit individuel et surtout les crédits à long terme commencent à diminuer, on peut clairement y voir le signe que les entrepreneurs sont plutôt pessimistes quant à l’avenir. On n’est un banquier qu’après avoir fait 20 ans de crédit. Les autres, ce ne sont que des personnes qui connaissent un ou deux produits, mais ce n’est pas la même chose.

Ce qui m’étonne le plus chez Dexia ? Il est tout de même étrange qu’ils prêtent 100 milliards sur le marché des banques Internet et qu’en même temps, ils affichent un portefeuille d’action de 100 milliards. N’était-il vraiment pas possible de vendre des actifs propres ? La dépendance envers le marché en aurait été réduite. Bien sûr, on perd de la marge, mais cela diminue parallèlement les risques. Il est toujours étrange de se retrouver sur une montagne d’actifs tout en ayant une montagne de dettes. Mais j’ai parfois l’impression que les marchés sont simplement à la recherche d’une proie sur laquelle fondre. Un peu à la façon des lions qui choisissent un animal dans un troupeau.

En 2008, Fortis était la première victime en Europe. En 2011, c’est au tour de Dexia. Cela signifie-t-il que les banques belges sont fondamentalement et structurellement faibles ?

D’autres paramètres entrent en ligne de compte. Quelle est la solidité des actionnaires de la banque ? Pour le Holding Communal, par exemple, il était évident qu’on ne pouvait plus compter là-dessus. La Belgique n’est pas non plus un grand pays. Elle ne peut supporter comme cela la faillite d’une banque. Bref ! Il y a en Belgique une série de choses qui indiquent une faiblesse. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. On n’entend par exemple jamais parler d’un raid sur une banque anglaise… Nous sommes le plus petit pays européen qui ait des actifs financiers d’importance.

Un petit pays ne pourrait-il donc supporter qu’une grosse banque ?

Oui, à moins de décréter que les banques d’un petit pays doivent être plus prudentes que celles d’un grand pays. Ecoutez, il faut aussi pouvoir admettre que tout le monde n’est pas idiot dans le milieu bancaire. C’est une petite concession que l’on devrait pouvoir faire. Mais il y a malgré tout des leçons à tirer. La première, c’est qu’on ne doit pas être trop tributaire du marché interbancaire. On doit donc s’arranger pour réduire ses actifs.

Deuxième leçon : on s’est légèrement trompé sur l’interdépendance de tous ces marchés. Cela commence par une crise de l’immobilier aux Etats-Unis parce qu’on y donne, sans compter, des hypothèques à des gens qui ne pourront rembourser sur le long terme. Il y alors les premières victimes, et les prix des maisons s’effondrent. Par un phénomène de titrisation, ce problème s’est propagé sur la planète entière avec 2.000 à 3.000 milliards d’euros en hypothèque.

C’est de cette façon que l’on obtient une crise bancaire. On plonge dans une crise économique parce que les banques ne jouent momentanément plus leur rôle dans l’économie et que les gens ont perdu leurs économies et se sentent plus pauvres. Dans certains pays, cela évolue même vers une crise de la dette… et le processus continue en boucle, puisque tous ces faits sont liés. Il n’y pas de couloirs de secours dans ce système.

Troisième leçon : dans ce monde, on rencontre toujours des acteurs qui devraient être mieux régulés. Cela montre l’écart qu’il existe entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’une part, et une Europe continentale plus conservative et équilibrée de l’autre. Il est très difficile de rassembler les camps puisque tout cela ne se passe pas toujours de manière transparente. J’espère qu’on tentera tout de même d’y remédier, car de tels acteurs du marché sont souvent extrêmement actifs, avec pour conséquence des pertes minimes de leur côté et des catastrophes pour les autres.

Cela a aussi à voir avec la rémunération. Si cela brise l’équilibre raisonnable entre le gain et l’avidité chez ces personnes, c’est que quelque chose ne tourne pas rond.

Comment entrevoyez-vous la suite ? Nous sommes dans une seconde crise bancaire mais les institutions étatiques sont trop faibles pour sauver à nouveau les banques.

La leçon, c’est qu’il y a trop de crédit dans le système et à tous les niveaux. Ils ne doivent pas tous disparaître mais ils devraient baisser à un niveau raisonnable.

Propos recueillis par Bert Lauwers et Patrick Claerhout

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