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Il y a “leaks” et “leaks”

Les révélations concernant la grande fraude fiscale organisée commencent à devenir d’une désolante banalité. OffshoreLeaks, LuxLeaks, SwissLeaks, les Unes des journaux se suivent et se ressemblent à mesure que le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) livre les résultats de ses différentes enquêtes.

Ajoutez à cela l’actualité récurrente concernant la “petite” fraude fiscale et les titres accrocheurs du genre “Marc Coucke vend Omega Pharma sans payer un euro aux impôts !” et vous comprendrez que le lecteur lambda se retrouve en proie à un dangereux amalgame. “Pffff, encore ces riches qui nous bernent, nous pauvres et honnêtes petits contribuables…” : le pli est assez vite pris.

Mais attention, il y a “leaks” et “leaks”. Ainsi, les affaires LuxLeaks et SwissLeaks n’ont absolument rien de comparable. La première pointait l’implication de l’Etat luxembourgeois dans l’élaboration de rulings fiscaux (ou décisions anticipées en matière fiscale) à la faveur de multinationales, dans le seul objectif de les attirer sur son sol. La seconde met en cause la filiale suisse de la banque britannique HSBC, au motif qu’elle a explicitement incité ses clients fortunés (et pas toujours très clean… ) à éluder l’impôt dû dans leur pays de résidence, en leur proposant des montages complexes qui avaient comme objectif avoué de contourner la directive sur la fiscalité de l’épargne introduite en 2005. En clair, les révélations de LuxLeaks, même si elles peuvent choquer, faisaient état de manoeuvres légales (dans un contexte de concurrence fiscale certes tendu), alors que celles de SwissLeaks montrent que HSBC avait fait de l’illégalité un vrai business. Fort heureusement, la justice belge n’a pas attendu la sortie de l’ICIJ pour prendre le taureau par les cornes et poursuivre la banque ainsi que certains diamantaires anversois concernés (lire aussi notre article “Trois questions sur une fraude mondiale” consacré au sujet), au contraire de la justice britannique qui s’est contentée jusqu’ici de réclamer aux contribuables impliqués l’impôt dû…

En clair, les révélations de LuxLeaks, même si elles peuvent choquer, faisaient état de manoeuvres légales (dans un contexte de concurrence fiscale certes tendu), alors que celles de SwissLeaks montrent que HSBC avait fait de l’illégalité un vrai business.

Si le caractère parfaitement scandaleux des pratiques de HSBC ne fait aucun doute, et que les voir étalées sur la place publique conduira peut-être – c’est à espérer – à des sanctions à la mesure des crimes perpétrés, il est regrettable de constater que l’opinion, confuse, tend à penser que la lutte contre la fraude fiscale est, en Europe du moins, d’une redoutable inefficacité. C’est pourtant faux : les 10 dernières années ont vu la réglementation en la matière s’intensifier fortement. Sous l’impulsion du Français Pascal Saint-Amans, l’OCDE a ainsi réalisé des pas de géant vers davantage de transparence fiscale entre Etats, et, sur un fond de crise économique propice à la réforme, des textes qui n’auraient probablement jamais été avalisés par le passé ont été adoptés au niveau européen. La résultante, c’est que les fraudes percées à jour sont de plus en plus conséquentes, et donc de plus en plus médiatisées. Mais ne nous méprenons pas : si on débusque désormais davantage de gros poissons, c’est que le système fonctionne. Car ce sont évidemment ceux-là qui ont les plus grandes chances de passer au travers des mailles du filet – le “Belgian dentist”, lui, a déjà rapatrié ses fonds depuis belle lurette.

Pour autant, il reste du chemin à parcourir. Ainsi, lundi soir, la BBC diffusait dans son émission “Panorama” consacrée à SwissLeaks le témoignage d’une ancienne cadre d’HSBC licenciée l’an dernier pour avoir, selon ses dires, mis le doigt sur la persistance de pratiques douteuses au sein de la banque. Nous ne sommes donc vraisemblablement pas au bout de nos “leaks”…

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