“Il faut absolument réguler l’activité des hedge funds”

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Laminés par la crise financière, à laquelle ils ont pourtant contribué, les hedge funds reviennent sur le devant de la scène à la faveur de la crise grecque. C’est pourquoi l’attitude indulgente des régulateurs n’est plus justifiée, estime Michel Aglietta, professeur d’économie à Paris X Nanterre, conseiller au CEPII et co-auteur avec Sabrina Khanniche et Sandra Rigot d’un ouvrage intitulé “Les Hedge Funds, Entrepreneurs ou requins de la finance ?“.

Quel a été le rôle des hedge funds dans la crise financière qui a secoué la planète en 2008 ?

Ils ne sont pas à l’origine de la crise, provoquée principalement par les banques d’investissements, mais ils ont contribué à propager l’instabilité financière, à l’amplifier même. Car leurs réactions propagent le risque systémique. L’apport positif des hedge funds dans la finance est d’amener des liquidités sur les actifs les plus à risques, les plus toxiques ; ce qu’ils font lorsque les marchés sont paisibles. Mais,quand les marchés monétaires se sont asséchés, ils ont manqué de liquidités à court terme. Pour se sauver, ils ont vendu massivement des actifs liquides – actions, obligations, titres à court terme -, contribuant ainsi à la baisse massive des prix de ces actifs.

Ils ont tout de même souffert de cette crise ?

En effet, la combinaison des leviers de dette et de la dépendance à la liquidité des marchés les rend vulnérables aux crises financières. Un quart de ces fonds a disparu en 2008 (environ 2.000) et la valeur de leurs actifs a fondu de près de 32%.

Les hedge funds sont capables de renaître très rapidement”

Ils reviennent pourtant sur le devant de la scène, accusés aujourd’hui de piloter des attaques spéculatives contre la dette grecque et la zone euro…

Les hedge funds sont en effet capables de renaître très rapidement : ce sont des entités privées, qui peuvent se créer à peu de frais, et même sans se déclarer aux Etats-Unis. Ceux qui ont survécu à la crise ont reconstitué leurs profits en 2009, grâce à la vive reprise des Bourses et à l’émission d’obligations par les États pour financer les déficits provoqués par les plans de relance et par les grandes entreprises pour constituer un matelas de liquidités. Et aujourd’hui, ils vendent à découvert des titres grecs en pariant que ce pays ne sera pas soutenu efficacement par la communauté européenne. Ils cherchent à entraîner tout le marché dans leur sens pour auto valider leur pari. C’est le même type de scénario que l’attaque de la livre sterling par George Soros en septembre 1992. C’est pourquoi il faut absolument réguler leur activité comme n’importe quel gestionnaire d’actif.

Quelles pistes proposez-vous pour les encadrer ?

Tout d’abord mettre en place une régulation soit directe, soit par l’intermédiaire des banques qui les financent pour limiter leur levier d’endettement. Ensuite, il faut obliger les hedge funds à une plus grande transparence sur leurs activités et notamment sur leurs prises de risques pour informer les régulateurs des marchés et les investisseurs. Enfin, il faut réformer le mode de rémunération des gérants des hedge funds qui est totalement asymétrique. Aujourd’hui en effet les risques ne sont pas partagés entre les investisseurs et les hedge funds : ces derniers ont une commission de 20% sur les profits qu’ils génèrent, mais ne sont pas pénalisés en cas de pertes. Ce système est une incitation à la prise de risques excessifs.

Le mode de rémunération des gérants des hedge funds incite à la prise de risques”

Où en est-on aujourd’hui de la régulation ? Y a-t-il eu des avancées concrètes depuis le G20 de Londres l’année dernière ?

Non, il y a des discussions en cours, mais rien n’a encore été fait pour réguler l’activité des hedge funds, pas plusque des autres acteurs financiers. Les Etats-Unis sont les plus avancés sur les propositions: Barack Obama a présenté en janvier un plan visant à interdire aux banques d’investir et de détenir des hedge funds, ce qui revient à les empêcher de faire des opérations de marché risquées pour leur propre compte par le truchement de hedge funds. Les Européens ne semblent pas suivre cette voie et proposent seulement de mieux superviser leur activité, en les obligeant à s’enregistrer et à être plus transparents sur leurs prises de risques.

Réguler les hedge funds suffira-t-il à prévenir tout risque systémique du système financier ?

Non. Il faut instaurer une régulation macro-prudentielle du système financier, c’est-à-dire permettre aux banques centrales de contrôler le volume global du crédit, en forçant les banques à augmenter leur fonds propres lorsque le crédit tend à déraper.

Michel Aglietta, professeur d’économie à Paris X Nanterre, conseiller au CEPII

Propos recueillis par Emilie Lévêque

Trends.be, L’Expansion.com

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