Fortis (épisode 5) : les coulisses d’un dépeçage politique

© Belga

Suite et fin de notre série consacrée aux coulisses de l'”affaire Fortis”. L’opération de sauvetage, qui a conduit à la scission de Fortis entre ses activités belges et néerlandaises, est le fruit d’une communication difficile, voire impossible, entre les acteurs en jeu.

Une action de sauvetage conjointe des trois gouvernements du Benelux aurait pu maintenir à flot le bancassureur dans son intégralité à condition que la branche néerlandaise d’ABN Amro eût été mise en sécurité (par exemple, en étant nationalisée par l’Etat néerlandais) et le financement de la banque assuré par les banques centrales de Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg.

Si l’opération de sauvetage a échoué, c’est à nouveau à cause de la profonde méfiance entre les deux clans. Cette méfiance qui venait de la direction de Fortis a gagné les organes de contrôle et, plus tard, les gouvernements.

C’était surtout entre l’organe de contrôle belge (CBFA) et son homologue néerlandais (DNB) que le courant ne passait pas. Il y avait des tensions parce que la DNB devait laisser le contrôle principal de Fortis à la CBFA. Fortis a aussi continuellement monté les deux organes de contrôle l’un contre l’autre. Fortis préférait de loin avoir affaire à la CBFA parce que celle-ci était moins sévère que la DNB. Dans les milieux belges régnait le sentiment qu’il ne fallait pas mettre trop de bâtons dans les roues à Fortis pour permettre à l’entreprise de se développer et devenir un champion national. Fortis était un géant aux pieds d’argile, sans que le monde extérieur l’ait compris.

Cette méfiance entre les organes de contrôle a contaminé les gouvernements. Entre la CBFA et le gouvernement belge d’une part, entre la DNB et le gouvernement néerlandais d’autre part, l’information circulait bien. Entre les deux gouvernements, cependant, il n’y avait pas de contact direct. De cette manière, les responsables politiques étaient influencés par leur propre organe de contrôle dans leur conception de ce qui se passait de l’autre côté de la frontière. Ils n’ont pas suffisamment examiné la vision de leur propre organe de contrôle au niveau politique, et cela s’est révélé une lourde erreur.

La circulation de l’information était tellement boiteuse que Wouter Bos, ministre des Finances et vice-Premier ministre néerlandais, a eu le sentiment que les Belges ne voulaient pas impliquer les Néerlandais dans l’opération de sauvetage. Du côté du gouvernement belge, il ne leur est même pas venu à l’esprit de rechercher en premier lieu une solution au niveau du Benelux. De sorte que les Néerlandais n’ont pu que se rallier au plan boiteux qui fut proposé au cours du premier week-end de sauvetage, fin septembre 2008, le dimanche soir, et dans lequel chaque pays recapitalisait sa partie de Fortis. Lorsque les Pays-Bas ont examiné l’accord en détail un jour plus tard, ils se sont sentis floués. Ils avaient payé relativement plus pour une participation dans Fortis Bank Nederland que la Belgique pour une participation dans Fortis Banque Belgique. Et le gouvernement belge avait pris un droit de gage sur la branche assurances néerlandaise de Fortis.

A partir de ce moment-là, la Belgique et les Pays-Bas ont pris le temps de s’asseoir ensemble à la table des négociations mais la décision de principe de scinder radicalement le groupe en deux avait déjà été prise à La Haye. La séparation était un fait.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content