Fortis, CBC et ING: comment les banques misent sur le vert

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Changement de ton dans la communication des institutions bancaires. Désormais, il est opportun de jouer la carte de l’investissement durable pour toucher une clientèle de plus en plus réceptive aux grands enjeux sociétaux et environnementaux. Décryptage d’une tendance de fond.

Le détournement est subtil. Sur le cadran de cette montre revisitée, les pales d’une éolienne tentent l’étonnant défi de se muer en aiguilles pour indiquer l’heure. Le slogan est univoque : ” Dans un monde qui change, il est temps d’investir durablement. ” Imaginée par l’agence Publicis, cette campagne de la banque BNP Paribas Fortis est sortie en 2016, mais elle est réapparue, en ce mois de novembre, dans les pages de quelques grands journaux. Objectif avoué : mettre cette fois l’accent sur le rendement financier avec le texte complémentaire suivant : ” Savez-vous que la performance de nos produits d’investissement socialement responsable n’a le plus souvent rien à envier à celle des investissements traditionnels ? ”

Les banques doivent jouer la carte de la cohérence et surtout d’une totale transparence, histoire de ne pas être prises en défaut et de subir un malencontreux “bad buzz”.

Bizarrement, cette publicité de BNP Paribas Fortis a côtoyé une campagne similaire dans les quotidiens, signée cette fois par son concurrent ING, où l’on voit un petit garçon bouclé dire, les bras croisés : ” Investir de façon durable, c’est bien pour votre avenir et le mien”. Déployé sur une pleine page de pub, le propos commercial insistait lui aussi sur l’aspect ” bénéfique pour votre capital ” avec un petit texte explicatif qui renvoyait au site web de la banque au lion orange. Intergénérationnelle, la campagne d’ING était également déclinée en radio avec un duo de comédiens père-fils pour donner vie au propos, rappelant ainsi un autre spot diffusé sur les ondes il y a quelques semaines à peine et dédié, lui aussi, à l’investissement durable pour le compte de CBC Banque.

Vague verte

Non concerté, ce tir groupé publicitaire reflète-t-il une tendance de fond dans la politique de communication des banques ? ” C’est vrai qu’il y a une vague verte qui déferle dans les couloirs du secteur bancaire, confirme Valéry Halloy, porte-parole francophone de BNP Paribas Fortis. C’est plutôt une bonne nouvelle car cela permet de comparer les différents produits. Cela dit, l’ISR – l’investissement socialement responsable – n’est pas une mode, mais bien une tendance qui s’amplifie. En tant que première banque du pays, nous avons une responsabilité d’orienter les capitaux de nos clients vers les secteurs et les entreprises qui offrent non seulement un rendement intéressant, mais qui ont également un impact positif sur la société. L’ISR est dès lors positionné comme notre offre de choix par défaut. ”

C’est clair : les temps ont changé. Jadis perçu comme une stratégie de doux rêveur, l’investissement dans le développement durable a fini par dépasser le giron des petites banques spécialisées pour apparaître peu à peu dans les produits des banques traditionnelles. Si la migration est d’abord passée par l’inévitable case ” gadget marketing “, force est de constater que l’ISR fait aujourd’hui partie intégrante des plans stratégiques des grandes institutions bancaires, au point d’influer désormais sur leurs campagnes de communication.

Fortis, CBC et ING: comment les banques misent sur le vert
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Gagner en légitimité

Fondée en 1980, la banque Triodos est une référence en matière de financement durable au niveau international. L’institution dispose d’une succursale en Belgique depuis 25 ans déjà et elle n’a pas attendu la ” vague verte ” pour concilier rendement et durabilité. Pionnière dans la finance éthique, elle soutient en effet des initiatives sociales, environnementales et culturelles depuis longtemps déjà, grâce aux capitaux que lui confient les épargnants et les investisseurs désireux d’encourager exclusivement le développement d’entreprises responsables dans une société durable.

Au fil des ans, son nombre de clients n’a fait qu’augmenter (pour flirter modestement avec les 80.000 aujourd’hui) et Triodos pose dès lors un regard bienveillant sur la multiplication des campagnes vertes menées actuellement par les grandes banques traditionnelles. ” Le point positif, c’est que cela donne une légitimité à tout ce qui est investissement durable, commente Thomas Van Craen, directeur de Triodos Belgique. Au début, nous étions considérés comme les marginaux du système mais, aujourd’hui, les gens se rendent compte de notre utilité car notre approche répond à un vrai besoin sociétal. Grâce à cette communication qui s’étend aux autres banques, les produits d’investissement durable ont gagné en visibilité et en légitimité. En revanche, je constate un certain flou artistique sur ce que les autres banques entendent exactement par durabilité. J’invite donc l’ensemble du secteur à être beaucoup plus transparent à ce sujet, comme nous nous efforçons de l’être. ” Sur le site web de Triodos, les clients peuvent en effet voir la liste très précise des entrepreneurs durables qui sont financés avec leur argent, ce qui est effectivement un gage de transparence affichée.

Le gâteau s’agrandit

Aujourd’hui concurrencée sur le terrain des investissements durables par les grandes banques du pays, Triodos n’en demeure pas moins enthousiaste dans la mission qu’elle s’est fixée. ” Il est vrai que la concurrence est plus féroce, mais c’est une bonne chose dans la mesure où ça nous pousse à aller plus loin, réagit Thomas Van Craen. Je suis convaincu que le gâteau des investissements durables va grossir car les gens cherchent de plus en plus à savoir comment donner un sens à leur argent. Ils prennent de plus en plus conscience des défis sociétaux, environnementaux et culturels auxquels ils sont confrontés et ils comprennent désormais que l’argent est un facteur très puissant qui peut accélérer les changements nécessaires. ”

Je constate un certain flou artistique sur ce que les autres banques entendent exactement par durabilité. J’invite donc l’ensemble du secteur à être beaucoup plus transparent à ce sujet.” – Thomas Van Craen (Triodos)

Contre toute attente, Triodos ne surfe pas aujourd’hui sur la tendance d’une communication grand public, comme le font les autres banques à travers les canaux traditionnels. Elle préfère diffuser son message de manière plus ciblée, en recourant notamment au native advertising – des reportages publi-rédactionnels – sur les sites de quelques médias triés sur le volet, même si la banque n’exclut pas, dans le futur, de revenir à des campagnes plus classiques pour renforcer son image auprès d’une plus large audience.

Communication ciblée

Dans le quatuor des grandes banques qui dominent le marché belge, seule Belfius ne passe pas pour l’instant par des campagnes grand public pour parler de ses solutions durables, contrairement à BNP Paribas Fortis, ING et CBC. ” En ce qui concerne les fonds, notre stratégie n’est pas une communication produit, mais orientée sur notre marque et sur quelques grands thèmes, explique Ulrike Pommée, porte-parole de Belfius. Pour les investissements, nous focalisons nos efforts de communication sur nos canaux propres dans lesquels nous pouvons mieux cibler les clients et tenir compte du profil de chacun afin de promouvoir les solutions les plus adéquates à chaque situation. Notre gamme de fonds dispose quant à elle d’un large volet durable qui permet aux clients sensibles à cette thématique de trouver des produits d’investissement en lien avec leurs valeurs. ”

Défendable, la stratégie de communication de Belfius en matière d’investissements durables tranche cependant avec celle de ses concurrents historiques qui ont récemment mis le paquet pour communiquer vers un large public. Ainsi, pour appuyer son propos, ING a par exemple réalisé récemment une étude sur l’entrepreneuriat durable qui démontre un changement évident de mentalité dans la société. ” Les gens et les entreprises font de plus en plus attention à leur propre impact écologique et cela se reflète également dans leur comportement d’investissement et de placement, détaille Marie-Lise Verschelden du centre d’expertise Communications & brand experience chez ING. Cela se traduit, entre autres, par un nombre croissant de gestionnaires de fonds qui offrent des placements responsables, un nombre toute aussi croissant de sociétés cotées qui publient un rapport annuel socialement responsable et aussi par le capital investi par les clients individuels et les clients institutionnels. En tant que banque et acteur de la société, ING veut accompagner ces changements de consommation et y contribuer. ”

Thomas Van Craen
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Soupçon de “greenwashing”

C’est précisément pour mettre en avant cette volonté d’ING d’élargir sa gamme d’investissements durables que la banque a lancé sa toute dernière campagne ” verte ” avec le garçonnet bouclé. Conçue par l’agence Mortierbrigade, cette publicité a toutefois eu le don de crisper plusieurs organisations non gouvernementales qui ont mené une action de protestation, il y a quelques semaines, au siège bruxellois de cette banque. Réunissant une quinzaine d’associations humanitaires telles que SOS Faim, Oxfam ou encore CNCD-11.11.11, ce collectif a en effet réalisé un die-in – une manifestation où les participants se couchent sur le sol pour simuler la mort – devant les bureaux d’ING. L’objectif ? Dénoncer ce qui représente à leurs yeux une campagne de greenwashing, une technique marketing qui vise à donner une image écologiquement responsable à une entreprise dont les actes ne suivent pas les intentions en matière de développement durable.

Epinglant les financements d’ING à ” des entreprises d’huile de palme, telles que Socfin, qui vont à l’encontre des engagements sociaux et environnementaux de la banque ” ( sic), ces 15 ONG ont même été jusqu’à créer un site web au jeu de mots provocateur (www.greenwash-ING.be) pour expliquer leur démarche et surtout inviter le client à interpeller directement sa banque sur ces investissements jugés toxiques par le collectif.

On le voit : pour les banques, l’exercice publicitaire peut s’avérer délicat en matière d’investissements écologiques et éthiques. D’un côté, il convient de répondre à une réelle demande des particuliers et des entreprises qui souhaitent concilier durabilité et rendement financier. De l’autre, il s’agit de mener des campagnes pertinentes qui promeuvent un monde meilleur sans être taxées de greenwashing par les plus sceptiques. Pour ce faire, les banques doivent donc jouer la carte de la cohérence et surtout d’une totale transparence, histoire de ne pas être prises en défaut et de subir un malencontreux bad buzz. Le défi d’une communication réellement durable ne fait que commencer.

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