Faut-il encore investir dans l’art contemporain ?

Cette oeuvre de Jean-Michel Basquiat, vendue 19.000 dollars par l'artiste lui-même en 1984, a été acquise 110 millions de dollars en mai 2017 par Yusaku Maezawa, fondateur japonais de Start Today, un géant du commerce en ligne. © PG

Dans son nouveau livre dédié à l’art contemporain, le journaliste français Jean-Gabriel Fredet dénonce les excès d’un marché “devenu fou” et tire la sonnette d’alarme: si la bulle des prix ne va pas nécessairement éclater, elle va au moins se dégonfler dans les tout prochains mois. Quel crédit apporter à cette thèse récurrente ? Enquête.

“C’est un monde fou, fou, fou… Où des financiers et des entrepreneurs riches à milliards paient 15 millions de dollars pour un cow-boy qui fait de son sperme un lasso (My Lonesome Cowboy de Takashi Murakami) ! Ou 20 millions pour un requin plongé dans le formol (The Shark de Damien Hirst), ou encore 58 millions pour un chien en acier inoxydable imitant une baudruche (Balloon Dog de Jeff Koons) ! Un monde où, en quelques années, des inconnus ont fait leur entrée dans les plus grands musées. ”

C’est par ces lignes mordantes que débute le nouveau livre de Jean-Gabriel Fredet, journaliste français au magazine économique Challenges. Intitulé Requins, caniches et autres mystificateurs, l’ouvrage de 361 pages porte un bandeau plus explicite en librairie – La bulle dorée de l’art contemporain – histoire de mieux poser le décor et, surtout, d’interpeller le lecteur parfois investisseur.

Un record historique

Le postulat n’est pas nouveau. Depuis quelques années déjà, experts et économistes s’étripent sur le thème délicat de la folle envolée du marché de l’art et, surtout, du prix des oeuvres signées par des artistes nés après la Seconde Guerre mondiale. Selon la maison Artprice, leader de l’information dans ce secteur, le marché de l’art contemporain a connu, en 17 ans, une croissance ahurissante de 1.400 %, passant de 103 millions de dollars en 2000 à quasi 1,6 milliard pour les ventes répertoriées lors de l’exercice 2016-2017 ! Un record historique a même été atteint cette année aux enchères pour un seul et même tableau de cette récente période artistique : 110 millions de dollars pour une oeuvre sans titre du peintre américain Jean-Michel Basquiat (1960-1988), vendue en mai dernier chez Sotheby’s à New York. Un crâne noir sur fond bleu qui a ainsi balayé le précédent record de 58 millions atteint en 2013 pour le fameux Balloon Dog de Jeff Koons.

Certes, on est encore loin des 450 millions de dollars adjugés ce jeudi chez Christie’s à New York pour Salvator Mundi de Léonard de Vinci. Mais la nouvelle valse des prix de l’art contemporain semble de plus en plus épouser la tendance dictée par les valeurs sûres de l’art moderne, cette période que les experts situent généralement entre 1870 et le début des années 1950. Au point que le spectre d’une bulle prête à éclater revient régulièrement hanter les conversations de salons et les ouvrages spécialisés, comme ce Requins, caniches et autres mystificateurs fraîchement paru aux éditions Albin Michel.

Une roue qui crève

“Les experts reconnaissent en privé qu’après une folle décennie de prix astronomiques, tous les ingrédients, sinon de l’explosion du moins d’une inexorable déflation, sont réunis.”© PG

” Mon livre n’est pas un pamphlet, mais une thèse nuancée, corrige d’emblée Jean-Gabriel Fredet, l’auteur de cet ouvrage qui secoue aujourd’hui le monde de l’art contemporain. J’ai beaucoup de respect pour les artistes, mais je veux souligner ici les vulnérabilités du marché de l’art et surtout dénoncer ses excès. Aujourd’hui, la valeur marchande d’une oeuvre recouvre complètement sa valeur intrinsèque et je maintiens l’affirmation que ce milieu est devenu fou. Il y aura bientôt un retournement du marché ou, pour être pudique, une correction des prix. J’en suis convaincu. ”

Tout au long de son enquête qui passe minutieusement en revue les différents acteurs du secteur (artistes, marchands, collectionneurs, financiers, maisons de ventes, musées, ports francs, etc.), Jean-Gabriel Fredet ne parle jamais à proprement parler d’une bulle qui va exploser, mais plutôt d’un autre phénomène, moins spectaculaire certes, mais tout aussi préoccupant : ” le ‘pschitt’ continu, régulier, d’une roue qui crève “, écrit-il dans son ouvrage. Bref, un dégonflement lent plutôt qu’un éclatement, ajoutant ceci en guise de conclusion : ” Catalogues de ventes amaigris, estimations en baisse, disparition des plus belles oeuvres, fermeture de galeries prestigieuses laminées par des coûts trop lourds… Les experts reconnaissent en privé qu’après une folle décennie de prix astronomiques, tous les ingrédients, sinon de l’explosion du moins d’une inexorable déflation, sont réunis “.

Bienvenue au club des super-riches !

L’immense majorité des artistes actuels affichent des prix tout à fait raisonnables – de 500 à 50.000 euros – et la bulle que l’on évoque régulièrement n’est donc qu’un épiphénomène qui ne les concerne pas.” Sébastien Janssen (galerie Sorry We’re Closed)

Pour étayer ses propos, l’auteur a décortiqué le monde de l’art contemporain sous sa loupe d’expert. Il a infiltré les galeries et les maisons d’enchères qui dictent la loi du marché depuis New York, mais aussi les collectionneurs chinois et les nouveaux musées du Qatar et d’Abou Dhabi, devenus les plus gros clients d’oeuvres emblématiques. Dans cet univers glamour où circule l’argent facile et où triomphe ” l’entre-soi “, Jean-Gabriel Fredet épingle surtout deux catégories influentes qui participent activement à l’envolée des prix : les ” specullectors ” – comprenez les collectionneurs-spéculateurs – et les ” art-flippers “, ces champions de l’achat-revente de nouveaux artistes artificiellement surcotés. Sans oublier, bien sûr, les grands groupes de luxe qui excellent dans ” l’artketing ” – cette stratégie qui vise à multiplier les partenariats avec de grands artistes pour doper la notoriété de marques prestigieuses – et qui influencent le marché : François Pinault, fondateur du groupe Kering (ex-PPR) avec notamment Gucci et Yves Saint Laurent dans son portefeuille, est non seulement un collectionneur renommé (3.000 oeuvres d’art à son actif), mais aussi le propriétaire de la maison de ventes Christie’s, acquise en 1998 pour 1 milliard de dollars, rappelle l’auteur du livre.

” Bienvenue au club des super-riches qui font la fortune d’un marché de l’art cartellisé par des maisons d’enchères gérées, côté cour, par des gentlemen et, côté jardin, par des businessmen féroces, écrit encore Jean-Gabriel Fredet. Des managers affûtés qui manipulent les prix à l’abri des regards et dictent leur volonté au marché dans l’indifférence de la critique comme des conservateurs qui regardent ailleurs, tétanisés par la crainte de rater les ‘nouveaux impressionnistes’. ” Avant de citer dans son livre ce banquier qui a connu l’âge d’or des traders avant d’en vivre l’âge critique : ” Le monde de l’art d’aujourd’hui ressemble à celui de la finance des années 2000, lorsqu’il planait sur un nuage avant de comprendre – trop tard – qu’il dansait sur un volcan”.

Faut-il encore investir dans l'art contemporain ?

Pas de quoi être inquiet

Le marché serait-il donc aussi dérégulé que cela ? Présent sur la scène belge de l’art contemporain depuis 45 ans déjà, le galeriste Albert Baronian constate une série de bouleversements, sans pour autant tirer la sonnette d’alarme : ” Effectivement, les prix sont anormalement élevés pour le moment et parfois certaines ventes aux enchères me choquent, mais il n’y a pas de quoi être inquiet pour la profession, confie ce grand dénicheur de talents. Avec les pays émergents, le marché de l’art contemporain s’est énormément élargi et de nouveaux collectionneurs sont là, toujours prêts à investir. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus d’argent que l’on ne pense et, même si l’on peut regretter que le marché de l’art a pris le pas sur l’art en lui-même, il sera toujours plus sexy d’acheter des oeuvres contemporaines que des actions en Bourse “.

Autre galeriste réputé sur la scène belge, Sébastien Janssen tient un discours tout aussi rassurant : ” L’éventuelle bulle menacée d’éclatement est un thème récurrent, constate le propriétaire de la galerie Sorry We’re Closed, à Bruxelles. Le marché de l’art contemporain est un marché comme un autre avec ses excès, sa poignée de spéculateurs et donc ses quelques artistes surévalués, mais il faut quand même rappeler que plus de 95 % de ce marché n’est pas sujet à spéculation. L’immense majorité des artistes actuels affichent des prix tout à fait raisonnables – de 500 à 50.000 euros – et la bulle que l’on évoque régulièrement n’est donc qu’un épiphénomène qui ne les concerne pas. Bref, il n’y a pas d’inquiétude à avoir et même si je n’aime pas l’idée selon laquelle l’art est un investissement, cela reste un bon achat en termes de diversification et de plaisir immédiat. ”

Une demande croissante

Dans Requins, caniches et autres mystificateurs, Jean-Gabriel Fredet reconnaît cet état de fait : ” L’art contemporain est devenu le concurrent des yachts, belles demeures, voitures de luxe et autres jets privés, écrit-il. Et ce n’est probablement qu’un début : la fraction du patrimoine des super-riches consacrée à l’art (environ 5 % aujourd’hui) continuera sa progression tant que l’indice de prix des oeuvres, mesuré à l’aune des enchères, affichera un rendement supérieur à celui des produits boursiers, comme c’est le cas, sans discontinuer, depuis bientôt 10 ans. (…) Les ultra-riches américains ou le 0,1 % de la population des Etats-Unis qui détient aujourd’hui 22 % de la richesse nationale sont le moteur du business culturel “.

Et les Américains ne sont qu’une partie de la richissime clientèle friande d’art contemporain. Selon le dernier rapport établi par le groupe bancaire UBS et le cabinet de conseil PwC, l’Asie compte désormais plus de milliardaires que les Etats-Unis. Mieux, le nombre des ultra-riches ne fait qu’augmenter à travers le monde : le rapport épingle ainsi 1.542 milliardaires en 2016, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente, avec une fortune cumulée de 6.000 milliards de dollars (+17 % par rapport à 2015). Bonne nouvelle pour le marché de l’art : une majorité des super-riches se classe aujourd’hui parmi les plus grands collectionneurs d’oeuvres dans le monde.

Malgré cela, Jean-Gabriel Fredet n’en démord pas : ” Ces nouveaux acheteurs pourraient à la rigueur amortir le choc d’un atterrissage en catastrophe, explique-t-il, mais ils n’empêcheront pas une spectaculaire correction avec dégrisement des amateurs et déconfiture des manipulateurs “.

Une question de croyance

” L’art contemporain se porte très bien dans un contexte qui est pourtant défavorable en matière de crises et de chocs financiers. “© PG

Pour bétonner son argumentation, l’auteur français cite notamment le sociologue Pierre Bourdieu qui rappelle que ” l’art est un système de croyance et son marché le lieu où s’exprime cette croyance “. Le diagnostic est donc clair selon Jean-Gabriel Fredet qui écrit dans sa conclusion : ” Si l’on dépouille les oeuvres de leurs mythes, si le halo de l’hyper-spéculation amplifié par la surmédiatisation de cette foire aux vanités se déchire, les prix astronomiques de l’art contemporain pourraient bien apparaître pour ce qu’ils sont : des extravagances, des artefacts. Et le marché ne pourra que s’écrouler. Simplement parce qu’on aura cessé d’y croire “.

” Balivernes ! “, scandent en choeur plusieurs acteurs du monde de l’art contemporain. En première ligne, Thierry Ehrmann, fondateur de la maison Artprice, le leader mondial de l’information sur ce marché, et qui multiplie volontiers les noms d’oiseaux à l’encontre de l’auteur de Requins, caniches et autres mystificateurs. ” C’est du grand n’importe quoi, s’énerve-t-il à la lecture de quelques lignes. Au regard des données macro et micro-économiques qui constituent ce marché, j’affirme que l’art contemporain se porte très bien dans un contexte qui est pourtant défavorable en matière de crises et de chocs financiers. Aujourd’hui, il n’y a plus d’art ancien dans le sens où tout a été acheté et ‘ré-acheté’. Donc, mécaniquement, le marché se déplace sur l’art contemporain. Quant à la bulle supposée, il existe une donnée très précise qui démonte cette hypothèse et qui est le taux d’invendus sur le marché. Ce taux est aujourd’hui de 34 %, ce qui est un très bon signe car au-dessus de 50 %, le marché s’effondre, et en dessous de 20 %, on assiste à une spéculation dangereuse. Le marché de l’art contemporain n’est donc pas menacé. “

 L'oeuvre réalisée en 1998 par Tracey Emin a été achetée 180.000 euros par Charles Saatchi en 2000 et revendue 2,8 millions en 2014.
L’oeuvre réalisée en 1998 par Tracey Emin a été achetée 180.000 euros par Charles Saatchi en 2000 et revendue 2,8 millions en 2014.© Belgaimage

Les musées dopent le marché

Confiant, Thierry Ehrmann est même convaincu que les prix vont continuer à grimper sans que cela ne soit préjudiciable pour le marché. Pour appuyer son propos, le patron d’Artprice épingle à nouveau le tableau de Jean-Michel Basquiat vendu cette année au prix record de 110 millions de dollars. Son nouveau propriétaire n’est autre que le Japonais Yusaku Maezawa, fondateur de Start Today, un géant du commerce en ligne, qui a annoncé son désir d’ouvrir un musée d’art moderne et contemporain dans la ville de Chiba, à l’est de Tokyo, avec l’essentiel de sa collection composée, entre autres, d’oeuvres de Pablo Picasso, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Alexander Calder ou encore Jeff Koons. ” Avec la billetterie, Yusaku Maezawa aura rentabilisé ses investissements dans l’art en moins de cinq ans, tranche Thierry Ehrmann. Aujourd’hui, l’industrie muséale est telle qu’elle dope le marché. Il se construit, chaque année, près de 700 nouveaux musées dans le monde et ces machines à sous, quand elles renferment des tableaux mondialement connus, garantissent un vrai retour sur investissement à leur propriétaire.

L’art contemporain représente aujourd’hui 30 % du chiffre des ventes mondiales et la demande est toujours supérieure à l’offre.

Dans le golfe Persique, l’ouverture récente du Louvre Abou Dhabi s’inscrit notamment dans cette logique, tout comme le nouveau Musée national du Qatar qui devrait ouvrir ses portes à Doha dans un peu plus d’un an. Le journaliste Jean-Gabriel Fredet fait d’ailleurs l’inventaire des oeuvres phares achetées, ces dernières années, par la famille royale qatarie : Les Joueurs de cartes de Paul Cézanne pour 250 millions de dollars en 2011 ; Trois études de Lucian Freud de Francis Bacon pour 142 millions de dollars en 2013 ; Les Femmes d’Alger de Pablo Picasso pour 179 millions de dollars en 2015 et, surtout, Quand te maries-tu ? de Paul Gauguin, acquis pour 300 millions d’euros la même année.

Ralentissement et contre-performances

Si les micro-monarchies du golfe Persique ont récemment dopé les prix de l’art moderne et de l’art contemporain, elles seraient toutefois en train de ralentir fortement leurs investissements dans le secteur, si l’on en croit Jean-Gabriel Fredet qui pose d’ailleurs la question suivante dans son livre : ” Avec Daech, l’éclatement de la Syrie, l’embrasement du Proche et du Moyen-Orient, l’isolement économico-politique du Qatar accusé de soutenir le terrorisme par le camp pro-saoudien et ce qui ressemble fort à une guerre de religion entre chiites et sunnites, avivée par les ambitions de l’Etat islamique, la ruée vers l’art dans cette partie du monde est-elle déjà finie ? ”

Cinglant, l’auteur dresse un constat similaire en Chine qui a ouvert 350 nouveaux musées sur son territoire entre 2012 et 2014 (soit plus que le nombre total de musées créés dans le monde entier au 19e siècle ! ) : ” Rendus prudents par le ralentissement de leur économie et une campagne féroce contre la corruption traquant l’utilisation des oeuvres d’art comme monnaie parallèle, les tycoons chinois ont levé à leur tour le pied “. Ce qui explique, selon lui, le ralentissement du marché en 2015 et 2016, ainsi que certaines contre-performances individuelles déjà perceptibles comme, par exemple, l’indice des prix de l’artiste Keith Haring qui a chuté de 31 % entre janvier 2016 et janvier 2017 ou encore les tableaux du jeune peintre brésilien Christian Rosa dont les performances en ventes publiques se sont effondrées ces deux dernières années. Des exemples isolés qui ne sont pas nécessairement révélateurs de la tendance générale du marché, comme aiment à le rappeler les détracteurs de la thèse d’une bulle prête à éclater…

“Sky is the limit !”

Constantin Charlot (Patinoire Royale):
Constantin Charlot (Patinoire Royale): “L’art est plus que jamais une valeur refuge dans un monde financier qui va très mal et où pointent les intérêts négatifs.”© PG

Directeur de la galerie Valérie Bach, lovée au coeur de la Patinoire Royale à Bruxelles, Constantin Chariot pose un regard sévère mais lucide sur l’évolution du secteur. ” Personne ne va nier la financiarisation du marché de l’art contemporain, explique-t-il. Il y a aujourd’hui une machinerie qui est parfaitement rodée et qui permet à un certain nombre de personnes de s’enrichir considérablement. On assiste à une grande mascarade entre des acteurs – les artistes, les galeristes, les journalistes, les collectionneurs, l’institutionnel, etc. – qui font que ce marché a, aujourd’hui, quelque chose de malsain. L’art a aussi servi à blanchir de l’argent, c’est un fait évident. Voilà pour le côté obscur de l’art contemporain. Je ne pense pas pour autant que l’on soit aujourd’hui en présence d’une bulle et, si jamais cette bulle se dégonfle, ce ne sera de toute façon que de quelques millibars. L’art est plus que jamais une valeur refuge dans un monde financier qui va très mal et où pointent les intérêts négatifs. Je ne suis donc pas du tout inquiet pour ce marché et je dirais même que, désormais, pour les prix des oeuvres d’art, sky is the limit ! “.

Et Constantin Chariot d’oser la comparaison avec le monde du football – lui aussi flanqué du spectre de la bulle spéculative – où les 222 millions d’un Neymar au PSG n’empêchent pas toute une série de joueurs d’autres équipes, d’autres pays, d’exceller sur le terrain à une valeur nettement moindre. ” Plus il y aura d’abus et d’hypertrophies, plus il y aura de la place pour un marché raisonnable “, conclut le galeriste qui essaie, chaque jour, ” que l’excellence soit au rendez-vous de La Patinoire “.

Takashi Murakami, un plasticien dontla cote est surévaluée ? L'artiste japonais a battu des records de vente avec
Takashi Murakami, un plasticien dontla cote est surévaluée ? L’artiste japonais a battu des records de vente avec “My Lonesome Cowboy” (1998) cédé pour 15 millions de dollars à l’homme d’affaires français François Pinault.© Belgaimage

Un investissement-plaisir

Du côté des grandes maisons de ventes, on ne semble pas non plus prendre très au sérieux la menace d’une dégringolade spectaculaire des prix. Tant chez Christie’s que chez Sotheby’s, on rappelle que l’art contemporain représente aujourd’hui 30 % du chiffre des ventes mondiales et que la demande est toujours supérieure à l’offre. ” Il n’y a pas de ralentissement, que du contraire, s’exclame Roland de Lathuy, directeur du bureau de représentation de Christie’s à Bruxelles. Bien sûr, il y a de la spéculation comme sur tous les marchés et certains artistes peuvent faire l’objet de mini-bulles qui éclatent, mais il ne faut certainement pas généraliser. Aujourd’hui, le marché est sain et l’art contemporain garde cette dimension attractive d’investissement-plaisir. ”

Le grand public, d’ailleurs, est lui aussi au rendez-vous. A Paris, la récente Foire internationale d’art contemporain (Fiac) d’octobre a encore explosé son record de visiteurs avec près de 74.000 entrées en cinq jours, soit une hausse de fréquentation de 2,5 % par rapport à 2016. Dans son livre, Jean-Gabriel Fredet note que l’on compte aujourd’hui plus de 1.500 foires artistiques ou biennales dédiées à l’art contemporain et qu’elles génèrent, à elles seules, plus de la moitié des ventes du secteur. En Belgique, la Brussels Antiques & Fine Arts Fair (Brafa) ouvre, depuis quelques années, davantage son espace à l’art contemporain. Là aussi, le record de fréquentation a explosé – 61.000 visiteurs l’année dernière contre 46.000 en 2012 – avec, désormais, ” un rapport de 10 candidatures de galeries d’art contemporain pour une candidature d’antiquaire “, dixit cet acteur privilégié. ” Cela permet de faire la jonction entre toutes les générations de clients, explique Harold t’Kint de Roodenbeke, antiquaire et président de la Brafa. Depuis 30 ans, j’ai connu plusieurs crises sur le marché de l’art et j’ai toujours vu les artistes importants retrouver leur niveau. Parler d’une bulle aujourd’hui est un bien grand mot… ”

Beaucoup plus inquiet, l’auteur de Requins, caniches et autres mystificateurs, persiste et signe : ” A la veille d’une nouvelle bataille d’Armageddon, le compte à rebours a commencé “, conclut-il dans sa toute toute dernière ligne.

“Cela ne reflète pas vraiment la réalité du marché”

Artiste français installé à Bruxelles depuis une dizaine d’années, Benjamin Spark excelle dans le “minimal pop” et signe aujourd’hui des oeuvres qui se vendent entre 2.000 et 12.000 euros sur le marché de l’art contemporain. A la demande de Trends-Tendances, il a lu Requins, caniches et autres mystificateurs de Jean-Gabriel Fredet et nous donne son verdict d’observateur attentif. “J’avoue que je suis un peu déçu par le livre, confie le peintre qui débute une nouvelle exposition à Paris *. L’auteur tombe dans le travers du sensationnel et de la fascination pour les ultra-riches. Il parle toujours de la même poignée d’artistes stars et cela ne reflète pas vraiment la réalité du marché, du moins celle que je connais et qui concerne des milliers d’artistes qui, comme moi, vivent correctement de leur art. Il faut savoir qu’en Europe, 90 % des oeuvres d’art contemporain se vendent à moins de 5.000 euros. La grande majorité des artistes ne se sentent donc pas concernés par cette éventuelle bulle dont parle Jean-Gabriel Fredet et qui semble obsédé par cet angle de la starification. Donc, personnellement, je ne suis pas catastrophé par cette bulle qui pourrait éclater et dont les effets ne toucheront peut-être que 500 milliardaires. Cela me fait d’ailleurs penser à la bulle Internet qui a éclaté en l’an 2000. Les valeurs technologiques ont chuté, certes, mais le média s’est quand même développé et de nouveaux acteurs ont émergé et ensuite signé de grands succès. Bref, si cela se produit avec l’art contemporain, cela ne touchera que le haut du panier et cela nous permettra peut-être à nous, la grande majorité des artistes, de nous faire connaître davantage à des prix qui resteront raisonnables.”

* Benjamin Spark, “Un cabinet de curiosités”, du 17 novembre au 20 janvier 2018 à la galerie Taglialatella, 117 rue de Turenne, 75003 Paris.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content