Et si la Grèce était incapable de rembourser ?

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Alors que l’agence Moody’s a abaissé vendredi de deux crans la note des principales banques grecques, l’application du premier plan de sauvetage de la Grèce est menacée et le second plan sera sans doute insuffisant. L’idée d’organiser un défaut partiel de la dette grecque fait son chemin. Mais ce serait une première en Europe occidentale depuis la dernière guerre…

Ironie du sort, c’est en Grèce que les historiens signalent le premier cas de défaut de paiement public. Quatre siècles avant Jésus-Christ, une dizaine de municipalités, membres de l’Association maritime de l’Attique, n’avaient pu honorer leur dette à l’égard du temple de Délos…

L’histoire se répétera-t-elle ? Les pays de la zone euro se sont démenés pour l’éviter, se substituant aux marchés pour financer la dette grecque, laquelle devrait passer cette année de 328,6 milliards en 2010 à 373,2 milliards d’euros (166 % du PIB, donnée FMI en juillet). Un plan d’aide de 110 milliard d’euros, lancé l’an dernier et cofinancé par le FMI, est en cours. Ce prêt est versé par tranches et la prochaine tranche d’aide (8 milliards d’euros en octobre) est suspendue à un accord engageant la Grèce dans de nouvelles coupes budgétaires. Un second plan (160 milliards) doit encore être finalisé dans les prochaines semaines. Mais avant même d’être mise en oeuvre, cette rallonge semble déjà insuffisante. “Ce second plan présente les mêmes défauts que le premier, estime Oscar Bernal, professeur de finances à l’Université de Namur. Il mise sur la capacité de l’Etat grec à se réformer très rapidement, ce qui est illusoire. Il faudrait rallonger la durée du plan, ce qui suppose plus d’argent.”

Une panoplie de défauts de paiements

Nicholas Economides, un économiste grec qui enseigne à la New York University (1), fait une analyse identique. “Un abandon de 50 % de la valeur des dettes souveraines grecques rendrait le paiement des intérêts abordable”, nous explique-t-il. Le second paquet prévoit déjà un abandon de 21 %, mais laisserait le pays avec une charge d’intérêt de 18 à 20 milliards d’euros, pendant 30 ans, “soit 9 % à 10 % du PIB”, ce qui rendrait inéluctable, selon lui, une faillite de l’Etat grec.

Le mot de “faillite” sonne étrangement lorsqu’on parle d’un pays. “Un Etat ne fait pas banqueroute, rappelle Etienne de Callataÿ, chief economist à la banque Degroof et ancien cadre au FMI. Dans le pire des cas, il y a une répudiation de la dette, et si cela ne suffit pas, les fonctionnaires ne sont pas payés, de même que les allocataires sociaux. Mais on ne met pas la clef sous le paillasson.”

En 2001, l’Argentine avait opté pour le pire : l’arrêt pur et simple des remboursements d’une dette de 195,5 milliards, qui s’est accompagnée d’une montée en flèche de la pauvreté et une énorme fuite de capitaux. Pour éviter ce genre de rupture, le défaut négocié paraît préférable. Mais les investisseurs ne sont pas prêts à accepter de fortes décotes, comme le montre la décote de 21 % du second plan, lequel est, sans le dire, un défaut négocié, rebaptisé “participation volontaire” des banques.

Lancer des “Trichet bonds” ?

La formule négociée constitue une tentation dans un contexte où la dette grecque s’échange déjà, sur les marchés secondaires, avec une perte de valeur de 40 à 50 %. “Mais c’est une solution que l’on tente d’éviter actuellement. Elle entraînerait une perte pour les banques”, estime Oscar Bernal (Université de Namur). Les banques ne détiennent pas la majorité de la dette, mais une centaine de milliards. Un défaut de 50 % serait en fait surtout encaissé par les banques grecques, qui détiennent environ 40 milliards d’obligations. Le défaut pourrait ébranler le secteur bancaire européen, et les incertitudes ont déjà fait fondre les cours des banques les plus exposées, comme BNP Paribas.

Il y a plusieurs manières d’organiser un défaut à l’amiable. Le mécanisme pourrait consister à proposer d’échanger les titres existants par des titres ayant une durée, un taux ou une valeur reflétant la dépréciation envisagée. Un peu comme les bons Brady mis en place au début des années 1990, pour servir de véhicule de restructuration pour les pays en difficulté (principalement l’Amérique latine). Nicholas Economides propose une formule identique rebaptisée “Trichet bonds”, qui consisterait à échanger les obligations existantes par des nouveaux papiers à long terme, à 30 ans, garantis par des emprunts émis par la BCE. Le nouveau titre serait alors prémuni contre toute nouvelle perte de valeur.

Ce type d’opération n’est pas officiellement à l’ordre du jour, les dirigeants européens, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en tête, s’en tiennent aux deux plans en cours d’exécution. Pour les politiques, le sujet est piégé : évoquer un défaut, y faire la moindre allusion, c’est peut-être en précipiter les effets néfastes, où figure en bonne place la crainte d’une contagion de la crise de la dette aux autres pays fragiles (Irlande, Espagne, Portugal, et, peut-être, la Belgique). Les économistes et les analystes sont donc les seuls à évoquer publiquement l’idée, à la retourner dans tous les sens.

“Est-ce que les marchés perçoivent la Grèce comme un Etat à part ? Ou le premier domino ?” s’interroge Etienne de Callataÿ. On est dans le modèle un peu bête, sans doute, de la victime expiatoire ; il faut un mouton sacrificiel, la Grèce a triché, et ajouter dans la foulée que le Portugal ou l’Espagne, c’est autre chose.” Le pari est dangereux. L’histoire des défaillances des dettes publiques montre en effet qu’il y a souvent des effets de “clusters” (grappes), une défaillance d’un pays en entraîne d’autres.

Retarder le défaut pour aider les banques ?

Un défaut passerait, à présent, comme un changement d’attelage au milieu du gué. Le second package doit encore être voté par tous les parlements nationaux. “Ce serait une mauvaise chose de ne pas aller jusqu’au bout du processus, estime Jean Deboutte, porte-parole de l’Agence de la dette, qui suit attentivement les taux obligataires. Il faut faire une chose après l’autre.” La précipitation passerait pour une crise de panique du côté des politiques.

Oscar Bernal voit d’autres raisons de retarder un défaut. “Je pense qu’un scénario probable serait que les Européens continuent à mettre la pression sur le gouvernement grec, en lui donnant des lignes de crédit suffisantes pour tenir jusqu’en 2013 ou 2014, lorsque le fonds européen (EFSF actuellement, transformé en ESM en 2013 (2)), détiendra une part importante de la dette grecque. On pourra alors restructurer la dette.” L’opération s’effectuera donc aux frais des contribuables de la zone euro plutôt qu’au détriment des banques. Cela éviterait une aggravation de la crise financière. “Les autres alternatives – la sortie de l’euro unilatérale, ou le défaut pur et simple, non organisé – auraient des effets plus graves pour l’Europe.”

La Commission européenne et le FMI peu enthousiastes

De leur côté, la Commission européenne et le FMI ne veulent pas entendre parler de ce type de restructuration. La première a exposé toutes les raisons de l’éviter sur une page, dans le dernier rapport sur le programme d’ajustement de la Grèce, publié en juillet dernier. Le FMI a publié un document plus long, voici exactement un an . Intitulée Default in today’s advances economies : unnecessary, undesirable and unlikely, cette note passe en revue tous les arguments en faveur d’un défaut et les démonte méthodiquement. “Lorsqu’un pays fait défaut, il perd souvent la capacité d’emprunt sur les marchés internationaux”, constate ce document, en se basant sur des exemples historiques. Cette période de glaciation peut durer plus d’un an. Et de conclure qu’un défaut n’est pas moins nocif pour la croissance qu’une politique fiscale restrictive sans défaut, telle qu’appliquée actuellement en Grèce. “La restructuration (le défaut organisé) n’est pas un substitut, et serait même une distraction, à des réformes fiscales et structurelles qui sont indispensables pour obtenir une croissance économique durable.

“Même si la dette grecque était effacée…”

L’économiste gréco-américain Yannis Ionnaides (Tufts University, USA), va plus loin que le FMI. “Même si la dette grecque était effacée d’un trait de plume, les mauvaises habitudes reprendraient rapidement. Sauf si l’Etat grec, et la société grecque en général, retenaient la leçon que nous avons besoin de faire les choses autrement.”

ROBERT VAN APELDOORN

(1) Nicholas Economides fait partie d’un groupe d’économistes grecs très critiques sur leur pays, et proposent des réformes. Le prix Nobel d’économie Christopher Pissarides (2010) en fait partie. http://greekeconomistsforreform.com

(2) En 2013, l’ESM (European Stability Mechanism), disposant d’un volant d’intervention de 440 milliards d’euros, sera mis en place. Il se substituera aux mécanismes transitoires mis en place l’an dernier, l’EFSF (Luxembourg) et un fonds géré par la Commission européenne, l’EFSM.

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