Draghi lance le QE, mais au fait, c’est quoi ?

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Journée historique pour la BCE qui a annoncé ce jeudi le lancement d’un plan de rachats massifs de dettes publiques et privées. Un QE à l’européenne d’un montant de 60 milliards d’euros par mois jusque fin septembre 2016.

Les observateurs ne se sont pas trompés. Comme ils s’y attendaient, la Banque centrale européenne (BCE) a ouvert une nouvelle page de son histoire. A l’issue de la traditionnelle réunion du Conseil des gouverneurs à Francfort, elle a annoncé ce jeudi en début d’après-midi la mise en place, historique, d’un “QE” (“quantitative easing” ou assouplissement quantitatif), c’est-à-dire un programme d’achat d’actifs de grande ampleur.

Objectif : injecter massivement des liquidités dans le marché pour dissiper la menace déflationniste qui pèse sur la zone et, surtout, remettre les dix-neuf pays membres sur le chemin d’une croissance solide. Une mesure, a déclaré Mario Draghi, président de la BCE, qui a été prise à l’unanimité par les 25 membres du Conseil des gouverneurs, considérant que “ce large programme d’achats d’actifs était un véritable instrument légal de politique monétaire”, et qu’il faisait désormais partie intégrante de “la boîte à outils” de la BCE.

Plus de 1.000 milliards

Très concrètement, le programme dévoilé aujourd’hui, et qui était fort attendu, commencera le 1er mars prochain. Il portera sur 60 milliards d’euros par mois jusque fin septembre 2016, soit 1.140 milliards d’euros d’achats de dettes publiques (des Etats de la zone euro) et dans une moindre mesure privées (entreprises). En réalité, c’est un peu moins parce que les précédents programmes sont compris dedans (OMT, etc.) Mais c’est en tout cas plus que le montant global de 500 à 600 milliards d’euros qui a souvent été cité. Quant à la maturité des obligations qui pourront être rachetées, elle oscillera entre deux et 30 ans. Détail qui a toute son importance : la dette grecque n’est (en principe) pas exclue du programme.

D’un point de vue technique, ces rachats de dettes souveraines et corporate passeront en partie par les banques centrales nationales de la zone euro (la BNB pour la Belgique). But de la manoeuvre ? Faire porter partiellement le risque par les Etats nationaux et pas uniquement par la BCE elle-même, histoire d’atténuer les inquiétudes de l’Allemagne, peu favorable à la mise en place d’un QE, synonyme de mutualisation des pertes. Ce partage du risque (risk sharing) se monte pour la BCE à seulement 20 % du total des achats. Il a bénéficié au sein du Conseil des gouverneurs d’un “consensus”, s’est borné à indiquer Mario Draghi, qualifiant de “futiles” les commentaires des observateurs à ce propos.

Cela va-t-il marcher ?

Quel effet ce QE à l’européenne aura sur l’économie ? C’est bien sûr “la” question. Certains experts comme Peter De Keyzer, chief economist de BNP Paribas Fortis, estime que cela ne sera pas suffisant pour guérir le malade. Selon lui, d’autres efforts en provenance des Etats membres sont nécessaires (réduction des déficits, etc.). D’autant que, là où les Américains ont très rapidement, et de manière très agressive, mis en route un QE en réponse à la crise financière, la BCE a attendu beaucoup plus longtemps avant de se lancer. Sa décision intervient quasiment six ans après celle de la banque centrale américaine (la Fed) : very late in the game, font remarquer les spécialistes.

En faisant tourner la planche à billets, la gardienne de l’euro espère néanmoins inciter les investisseurs à se tourner vers d’autres actifs financiers plus rémunérateurs comme les actions ou vers des projets d’investissement dans l’économie réelle. Elle espère ainsi relancer l’inflation et stimuler la croissance (de l’ordre de 1 % pour la zone euro cette année contre 3 % aux Etats-Unis). “Notre ambition est de restaurer la confiance, de relancer la demande et de ramener le taux d’inflation en dessous, mais proche de, 2 % à moyen terme”, a martelé Mario Draghi.

Davantage d’intégration

Reste que les taux d’intérêts des obligations d’Etat sont déjà fort bas. Il n’est pas certain qu’ils baissent encore au profit du rendement d’autres formes de placements financiers et des investissements dans l’économie réelle. Les achats peuvent en effet améliorer le bilan des banques, ce qui serait de nature “à favoriser le crédit aux ménages et aux entreprises”, a encore souligné Mario Draghi, qui a par ailleurs exhorté les Etats membres et leurs dirigeants à entreprendre les réformes structurelles nécessaires.

“Nous avons besoin de leur action et de celle de la Commission pour implémenter le plan d’investissement (ndlr, présenté dernièrement par Jean-Claude Juncker.” La partie n’est donc pas encore gagnée. Loin de là. Mais une chose est certaine en tout cas, c’est qu’en utilisant pour la première fois (à grande échelle et avec une répartition partielle des risques) un outil que manient déjà d’autres banques centrales (Etats-Unis, Royaume-Uni…), la zone euro a franchi une nouvelle étape vers davantage d’intégration.

Sébastien Buron, à Francfort

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