Dexia : où étaient les politiques ?

© Image Globe/John Thys

Ces mêmes partis politiques qui, indignés par le (vaste) parachute doré dont jouirait le CEO de Dexia en cas de départ anticipé, n’avaient-ils pas en mains les rênes du groupe franco-belge au moment de la signature du fameux contrat ? Exploration des principales ramifications politiques tissées autour du géant bancaire.

La classe politique, pour une fois, est unanime dans sa dénonciation du parachute doré qui serait versé à Pierre Mariani, CEO du holding Dexia, en cas de départ anticipé. L’administrateur délégué a lui-même pris la peine de répondre à la polémique, avec des arguments qui étaient loin d’épuiser le sujet.

“Ma position est claire : pas de parachute !”, pour le Premier ministre socialiste Elio Di Rupo. “Indécent” pour Christiane Vienne, PS elle aussi. “Incompréhensible”, “prime à la mauvaise gestion”, pour les députés Ecolo et Groen. Même le MR, par la voix de son président, a demandé

au ministre des Finances “d’appliquer rapidement l’accord de gouvernement visant à ne plus permettre aux dirigeants de sociétés de bénéficier de stock-options, d’actions gratuites, de bonus, primes de départ et avantages similaires pendant toute la durée du soutien financier public”.

Le grand public n’a pas forcément compris ces interventions outrées de la part de partis politiques pourtant très impliqués dans la stratégie de Dexia, via des sièges au conseil d’administration. Et en effet, les représentants des actionnaires “trustent” naturellement les places au CA de Dexia.

Les vrais “propriétaires” de Dexia ? Les pouvoirs publics

Soulignons d’abord la présence des autorités publiques dans le capital de Dexia. Au 31 décembre 2008, l’actionnaire majoritaire du groupe n’est autre que la Caisse des dépôts et consignations, le bras armé financier de l’Etat français (CDC, 17,61 %). Suivie de près par le Holding Communal (qui rassemble les participations des communes et provinces belges ; aujourd’hui en liquidation) avec 14,34 %.

Arco, holding coopératif (et l’une des organisations constitutives du Mouvement ouvrier chrétien en Belgique) arrive en 3e position (13,92 %). Le MOC a longtemps été lié au PSC. Si l’on en croit sa page Wikipedia, “il compte des membres aujourd’hui tant au cdH qu’au PS et chez les écologistes”. Un actionnaire très politisé, donc, et orienté à gauche (lire ci-après la partie consacrée à Jean-Luc Dehaene).

L’Etat belge, via la SFPI (son propre bras armé financier), détient quant à lui 5,73 % du capital, à égalité avec l’Etat français (via sa Société de prise de participation). Suivent le belge Ethias et le français CNP Assurances, puis la Région flamande (via le Vlaams Toekomstfonds), la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale.

On le voit, les pouvoirs publics étaient naturellement, suite au sauvetage de Dexia, les “vrais propriétaires” du groupe. En 2007, la liste des principaux actionnaires était nettement plus simple : Arcofin (17,7 %), Holding Communal (16,2 %), Caisse des dépôts et consignations (11,7 %), Ethias (6,3 %) et CNP Assurances (2 %).

Signalons enfin que la part de la France dans le capital, fin 2008, était de 26,31 % (CNP Assurances est détenue à 40 % par la CDC et à 1,1 % par l’Etat français), contre 44,77 % au total pour les entités belges (Etat fédéral, Régions, communes et provinces, ainsi qu’Ethias, détenu à 75 % par l’Etat fédéral et les Régions wallonne et flamande).

Mariani-Dehaene : un duo très politique à la tête de Dexia

Dans la foulée du sauvetage d’urgence de Dexia et de la montée des Etats belge et français dans son capital, les patrons précédents, Axel Miller (CEO) et Pierre Richard (président), font place à Pierre Mariani et Jean-Luc Dehaene On le voit d’emblée, les patrons frais émoulus de Dexia sont issus des rangs politiques.

Au poste de CEO : celui qui fut directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy (UMP) au ministère français du Budget de 1993 à 1995 (gouvernement Balladur). En septembre 2010 encore, le journal Le Monde voyait Pierre Mariani quitter Dexia pour retrouver le président Sarkozy à l’Elysée. Selon le quotidien français, Pierre Mariani était alors la “perle rare” qui remplacerait Xavier Musca, conseiller économique du président.

Le passage de Mariani au ministère du Budget avait d’ailleurs créé “des liens très forts”, commentait un proche du président français, cité par Le Monde. Plus encore : “Mariani, c’est la compétence technique de Musca avec une approche beaucoup plus politique.” Une approche résolument orientée à droite, du côté de l’UMP.

Au poste de président : Jean-Luc Dehaene, ex-Premier ministre et pilier du CD&V (parti chrétien-démocrate flamand), un profil éminemment politique, bien entendu. Si Jean-Luc Dehaene a été nommé président du conseil d’administration, ce n’était pas uniquement pour rassurer les épargnants (comme l’avait laissé entendre le Premier ministre d’alors, Yves Leterme, CD&V comme lui). Certes, Dehaene jouissait d’un certain crédit dans le public, mais son passé dans la banque était assez maigre…

L’homme recelait cependant une grande qualité : il restait une personnalité du monde social chrétien. Or, ce dernier était, via Arco, actionnaire de Dexia à hauteur de 13,9 %. En outre, il avait “allongé” 350 millions d’euros dans l’augmentation de capital. Détail piquant : Arco avait auparavant augmenté sa participation au sein de Dexia depuis plusieurs mois et même dépassé 18 %, devenant le premier actionnaire du groupe, alors que les Français pointaient à 12 % ! C’est dire que les déconvenues de la “banque des communes” ont très mal été digérées chez Arco… tout comme le fait qu’il eût été “relégué” à 13,9 %.

Le 8 octobre 2008, Jean-Luc Dehaene a donc été envoyé au feu pour protéger les intérêts de la boutique sociale chrétienne. Arco est l’un des piliers des mouvements socio-chrétiens, à côté des syndicats et de la mutuelle. Un univers que l’ex-bourgmestre de Vilvorde connaît bien, puisqu’avant d’entrer en politique, il est passé par le service d’étude des syndicats chrétiens flamands (ACW).

Les pouvoirs publics belges en force dans le conseil d’administration de Dexia

Fin 2008, les pouvoirs publics sont donc propriétaires du géant bancaire et ont placé un Français et un Belge issus de leurs rangs à la tête du “nouveau Dexia”. Ce n’est évidemment pas tout : ils sont également présents en force dans le conseil d’administration.

Dans le rapport annuel 2008, on dénombre huit administrateurs belges, huit français et un britannique. Côté belge : Jean-Luc Dehaene bien sûr (2008-2013), mais aussi Serge Kubla (bourgmestre MR de Waterloo), qui disposait d’un mandat courant depuis 2006 et venant à échéance en 2010. L’ex-ministre wallon de l’Economie repartira pour un tour en 2010 et restera administrateur jusqu’en 2014.

Les autres représentants belges des actionnaires sont :

– Jan Renders (ACW) : 2008-2012.

– Francine Swiggers (Arco) : 2008-2012.

– Marc Tinant (Arcofin, ex-SRIW) : 2006-2010 (confirmé jusqu’en 2014).

– Koen Van Loo (SFPI) : 2008-2013.

– Francis Vermeiren (patron du Holding Communal et bourgmestre Open VLD de Zaventem) : 2005-2009.

Elio Di Rupo administrateur de Dexia

Plus intéressant est le cas de Bernard Lux. Le recteur-président de l’université de Mons, membre du conseil d’administration de la Sogepa (Société wallonne de gestion et de participations des entreprises) ainsi que de celui de la Société wallonne du logement, restera administrateur de Dexia jusqu’à sa mort en 2009 – il sera remplacé par Bernard Thiry, patron d’Ethias.

Le fauteuil de Bernard Lux chez Dexia, ceci dit, est plus remarquable par le nom de celui qui l’a brièvement occupé avant lui : Elio Di Rupo himself.

Le rapport annuel 2004 de Dexia indique ainsi : “Monsieur Didier Donfut a démissionné du conseil d’administration de Dexia SA le 16 novembre 2004. Le conseil d’administration a coopté monsieur Elio Di Rupo afin de remplacer provisoirement monsieur Donfut à partir du 16 novembre 2004. Il sera proposé à la prochaine assemblée générale ordinaire de Dexia SA du 11 mai 2005 de nommer monsieur Elio Di Rupo pour un nouveau mandat de quatre ans.”

La présence d’Elio Di Rupo au sein du CA sera confirmée l’année suivante, si l’on en croit le rapport annuel 2005 : “Lors de l’assemblée générale ordinaire de Dexia SA du 11 mai 2005, il a été procédé à la nomination définitive, pour un nouveau mandat de quatre ans qui aurait pris fin à l’issue de l’assemblée générale ordinaire de Dexia SA de 2009, de Monsieur Elio Di Rupo, qui avait été coopté par le conseil d’administration de Dexia SA le 16 novembre 2004.”

Il s’agira toutefois d’un passage éclair, puisque “Monsieur Elio Di Rupo a démissionné du conseil d’administration de Dexia SA le 6 octobre 2005”. D’où l’arrivée de Bernard Lux : “Lors de sa réunion du 17 novembre 2005, le conseil d’administration a coopté Monsieur Bernard Lux afin de remplacer provisoirement Monsieur Elio Di Rupo. Il sera proposé à la prochaine assemblée générale ordinaire du 10 mai 2006 de nommer définitivement Monsieur Bernard Lux dont le mandat prendra fin à l’issue de l’assemblée générale ordinaire de 2009.”

En d’autres termes, le socialiste Elio Di Rupo remplace le socialiste Didier Donfut ad interim le 16 novembre 2004. Confirmé par l’AGO de Dexia le 11 mai 2005, il démissionne le 6 octobre 2005 lorsque le Montois redeviendra ministre-président de la Région wallonne. Il sera remplacé par Bernard Lux ad interim le 17 novembre 2005. Lux sera confirmé pour un mandat jusqu’en 2009.

Elio Di Rupo, alors président du Parti socialiste, touchera néanmoins 43.875 euros en tant qu’administrateur de Dexia en 2005 (il n’a rien perçu au titre de 2004), soit 27.000 pour Dexia SA et 16.875 pour les “autres entités du groupe”. Somme qui sera, précise le rapport annuel, versée “directement à la Fondation d’utilité publique Frans Aubry (sic) après retenue du précompte professionnel”.

La fondation Franz (avec “z”) Aubry a été, peut-on lire sur son site Internet, créée par “Elio Di Rupo, avec quelques amies et amis”, et “dont l’objet est d’aider des orphelins éprouvant des difficultés financières à mener des études universitaires”. Son président n’est autre que l’actuel Premier ministre. Elle compte, parmi ses administrateurs, Bernard Thiry, qui a donc succédé à Elio Di Rupo chez Dexia. Feu Bernard Lux faisait également partie de l’aventure. Le premier exercice de la fondation a pris fin le 31 décembre 2006.

On le voit, la position des partis politiques belges est assez malaisée aujourd’hui, au vu de leur poids dans les décisions de Dexia et, notamment, lors de la nomination des deux nouveaux patrons du groupe en octobre 2008.

V.D.

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