Dexia : les 2 documents qui accusent

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L’Autorité française de contrôle prudentiel a écrit à deux reprises à Dexia Crédit Local, pointant nombre de faiblesses et d’errements dans la gestion de la filiale française de Dexia. C’était plus d’un an avant le second sauvetage en urgence du géant bancaire par les Etats belge et français.

Ces deux documents, envoyés en 2010 par l’Autorité (française) de contrôle prudentiel à Pascal Poupelle, directeur général de Dexia Crédit Local, et que nous avons pu nous procurer, sont proprement ahurissants. L’ACP s’y livre à une véritable leçon de gestion bancaire, pointant nombre de faiblesses et d’approximations dans le chef de DCL. Ses critiques, plus encore, sont lourdes de sous-entendus quant aux manquements des gestionnaires de la banque française.

Première lettre : l’ACP s’inquiète de la solidité financière de Dexia Crédit Local

Dans un premier courrier de deux pages, daté du 18 août 2010, dénonce d’emblée le fait que Dexia Crédit Local “ne serait pas en mesure de respecter, à l’échéance du 30 juin 2010, le niveau minimum de 100 % du coefficient de liquidité”.

Certes, le Collège de l’ACP note, dans le chef de DCL, “l’amélioration progressive de sa situation en matière de liquidité”, qui a “permis une forte réduction des impasses de liquidité de DCL depuis fin 2008”. Mais c’est pour ajouter que ladite liquidité demeure “fragile” et, surtout, “insuffisante pour permettre à l’établissement de faire face à des situations de stress importants”. Traduction : en cas de gros coup dur, Dexia Crédit Local a toutes les chances de s’effondrer.

Autre faiblesse : des “appels de marge sur des produits dérivés”. Leur montant à la fin de juin 2010 : 17,1 milliards d’euros, “contre 12,6 milliards à la fin de décembre 2008”. Pis, leur évolution “dépend contractuellement de facteurs que l’établissement ne maîtrise pas”.

Ceci explique pourquoi l’ACP envisage sérieusement de placer DCL “sous surveillance spéciale”. Avec, à la clé, l’exigence “d’informations et de documents” à fournir par Dexia Crédit Local, ainsi que la désignation d’un contrôleur.

Seconde lettre : l’ACP énumère les manquements et errances de Dexia Crédit Local

Dans son second courrier, daté du 17 septembre 2010, soit moins d’un mois après le précédent, l’ACP adopte un ton nettement plus assassin. Sur six pages, l’Autorité de contrôle prudentiel dresse la liste des points non encore réglés par la direction de DCL. Avec, en filigranes, de sévères critiques sur le management de cette dernière.

L’ACP pointe ainsi, pêle-mêle :

– de “sérieuses déficiences” dans la “procédure d’autorisation des nouveaux produits”,

– l’absence de “mise en place des outils nécessaires” devant accompagner “la croissance, au cours des dernières années, des portefeuilles de titres”,

– un “manque de rigueur” dans le “processus de valorisation des produits financiers complexes”,

– un calcul de la réserve AFS “discutable” et “non fiable”, la réserve elle-même étant manifestement “sous-évaluée”,

– un contrôle des opérations de marché “déficient”, DCL “ne connaissant pas les opérations initiées par ses principales filiales” (sic), ce qui n’est évidemment “pas admissible”,

– des “incohérences” et un manque de “prudence” dans la “politique de provisionnement des titres de la catégorie Asset Backed Securities (ABS)” : “Ainsi, le scénario d’évolution du marché immobilier américain de DCL est inchangé depuis le début de la crise des subprimes en 2007.”

Conclusion de l’ACP au bout du seul premier paragraphe : “De manière générale, DCL n’est pas ou n’a pas été toujours en mesure de déterminer précisément les paramètres de risque liés aux instruments et titres détenus.” Toutes ces “approximations, voire l’absence de valorisation et de détermination des paramètres de risque des opérations en back to back, se traduisent par des risques de contrepartie et de liquidité supplémentaires, dont DCL ne paraît pas avoir pris toute la mesure.”

Si elle reconnaît, à la direction de DCL et de Dexia, des “efforts faits depuis fin 2008 pour remédier aux insuffisances soulevées par l’audit interne du groupe”, l’ACP juge ces efforts “insuffisants pour réduire significativement les risques”. Traduction : Dexia est loin d’atteindre au niveau de sécurité exigé par “la réglementation prudentielle et comptable”.

Elle exige par ailleurs, de DCL, que la banque “non seulement ne prenne plus aucune position de marché pour compte propre”, mais aussi “n’engage de nouvelles opérations que si l’établissement dispose de modèles de valorisation et de suivi fiables”. Ce qui n’était, au moment de rédiger cette lettre, pas encore le cas…

L’autorité donne, le 17 septembre 2010 donc, “un délai très court” à DCL pour atteindre de vrais résultats, “eu égard à l’ancienneté des errements constatés et des nombreuses discussions déjà intervenues” à ce sujet. Et “adresse copie de la présente lettre aux commissaires aux comptes de DCL”, tout en demandant au patron de Dexia Crédit Local “de bien vouloir communiquer la présente lettre et son annexe aux membres du conseil d’administration”. CA qui ne pouvait donc ignorer la situation inquiétante de la banque.

Qui est responsable de la situation de Dexia Crédit Local ?

Sans nommer personne, l’ACP dénonce “une appréciation erronée des risques encourus par DCL et d’importants dysfonctionnements dans la procédure d’autorisation des nouveaux produits”. En particulier, “les risques en cas de dégradation significative des conditions de marché devront être correctement appréhendés”.

L’Autorité de contrôle prudentiel ne pointe pas directement de responsabilité dans ce dossier. Elle écrit néanmoins que “l’établissement a laissé perdurer (cette situation) pendant plusieurs années”. Au-delà du management de Dexia Crédit Local lui-même, c’est sans doute possible la tête de la maison mère Dexia qui est ainsi visée. Donc Jean-Luc Dehaene et Pierre Mariani, respectivement président du conseil d’administration et CEO du géant franco-belge.

Mais pas seulement. L’ACP parle en effet de “plusieurs années” durant lesquelles la situation a perduré. Cette lettre étant rédigée en septembre 2010, elle cible forcément la précédente direction de Dexia. Soit Axel Miller (CEO de 2006 à 2008) et Pierre Richard (patron du Crédit Local de France jusqu’à la fusion avec le Crédit Communal de Belgique, puis CEO de Dexia et enfin président jusqu’en 2008).

En février 2009 déjà, Pierre Mariani “chargeait” l’ancienne direction de Dexia : “Les résultats de l’exercice 2008 témoignent de l’ampleur d’une crise tout à fait exceptionnelle et de fragilités structurelles accumulées par Dexia au cours des dernières années. Ils portent en eux le coût de développements hasardeux, mal financés et tentés loin des bases et des métiers qui ont fait la force historique de la société.”

Le CEO fraîchement nommé promettait d'”améliorer significativement le profil de risque (de Dexia) à travers la mise en oeuvre de son plan de transformation, notamment par la cession en cours de FSA. Recentrée sur des métiers de base qui ont prouvé leur résistance, même au plus fort de la crise, et forte du soutien des Etats belge, français et luxembourgeois, Dexia (…) est en position de retrouver le chemin de la rentabilité.”

Le 10 octobre dernier, Pierre Mariani remettait le couvert en insistant à nouveau sur les responsabilités de ceux qui étaient là avant 2008. Depuis lors, Dexia s’est séparée d’investissements “toxiques” et a réduit en trois ans son portefeuille obligataire de 220 milliards à 125 milliards d’euros, a-t-il fait valoir. La totalité des actifs transférés dans la banque résiduelle étaient là avant 2008 et “chacun en pensera ce qu’il veut”, a-t-il lancé.

On voit, à la lumière des deux courriers de l’ACP rédigés un an et demi plus tard, que toutes les promesses n’ont pas été tenues… Les propos sans concession tenus voici quelques jours par François Narmon, à la base de la création de Dexia en 1996, méritent d’être rappelés : “Il y a eu Louis XVI, Napoléon et… Mariani. La façon dont il a géré la banque est une catastrophe. La seule chose que l’Etat doit faire, c’est rappeler Decraene. Il (Mariani) décide de tout avec une meute d’experts et de consultants. C’est typiquement français. Il n’est pas un homme de terrain.”

Jean-Luc Dehaene a, lui, tenu à évoquer l'”héritage difficile” face auquel il s’est retrouvé en 2008 avec Pierre Mariani : “Dexia était davantage un hedge fund (fonds d’investissement spéculatif) qu’une véritable banque !” Cruelle façon de décrire ce que se prédécesseurs avaient fait de Dexia !

Alors que l’Europe avait imposé un plan de redressement sur quatre ans, est survenue la crise de la dette souveraine, a rappelé Jean-Luc Dehaene : “On ne pouvait pas prévoir cette crise dans la crise, ni qu’elle toucherait Dexia, qui est spécialisée dans le financement des autorités publiques : l’investissement dans le souverain était considéré comme sûr.” Les deux lettres de l’ACP, consacrées précisément à Dexia Crédit Local, permettent de douter de cette dernière affirmation…

Dexia : les lettres de l’ACP posent de nombreuses questions “politiques” en Belgique

Ces documents de l’ACP ont, en tout cas, renforcé Ecolo et Groen! dans leur demande d’une commission d’enquête parlementaire relative à la gestion de Dexia avant et après 2008. Et les Verts belges de se poser nombre de questions : “Les administrateurs belges du holding Dexia ont-ils été informés de la situation de DCL ? Quelles initiatives ont-ils prises pour augmenter leur contrôle, alors que la crise de 2008 avait déjà illustré un certain nombre de défaillances dans le suivi de leur participation dans Dexia ? Pourquoi n’a-t-on pas réagi à l’époque ? Pourquoi les transferts financiers vers la France se sont-ils poursuivis ?”

Le groupe SP.a de la Chambre veut, de son côté, que le président de l’assemblée, André Flahaut, demande à la Banque nationale et à l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA) de transmettre au Parlement tous les documents qu’elles possèdent concernant Dexia. Les socialistes flamands estiment que ces documents sont nécessaires pour faire la lumière sur ce dossier.

Le gouverneur de la Banque nationale, Luc Coene, et le président de la FSMA, Jean-Paul Servais, viendront donner des explications sur Dexia la semaine prochaine à la Chambre. L’occasion pour eux de fournir les documents, estime le SP.a, selon qui les récentes informations selon lesquelles l’autorité française de contrôle était au courant depuis longtemps de la situation délicate de la banque montrent que bien des questions restent sans réponse.

Le Premier ministre a d’ores et déjà affirmé, jeudi à la Chambre, qu’il n’avait pas eu communication du rapport de l’autorité de contrôle française mettant en garde sur la situation de Dexia Crédit Local. Yves Leterme a souligné que la responsabilité des rapports de l’organisme de contrôle français s’agissant de la position d’une institution financière française incombe d’abord à l’autorité de contrôle française et à la direction de la banque française en question.

“Cette banque française fait partie intégrante d’un plus grand groupe – Dexia SA – dont le siège social est situé en Belgique, a-t-il ajouté. C’est pourquoi il a été prévu dans les directives européennes relatives au niveau européen que ces rapports soient communiqués à l’autorité de contrôle financier belge, à l’époque la CBFA. Il est de la responsabilité et de la compétence de l’autorité de contrôle d’estimer, en toute indépendance et en toute discrétion, dans quelle mesure la teneur des rapports communiqués oblige la société mère belge à prendre des mesures.”

Le Premier ministre a enfin assuré que ni le rapport français ni la réaction éventuelle de l’autorité de contrôle belge ne lui sont parvenus, “ce qui s’avère d’ailleurs conforme aux règles en matière de secret professionnel”.

V.D.

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