Dexia et Fortis : vous avez dit “bad” bank ?

© Image Globe/Julien Warnand

Royal Park Investments, créée pour loger les actifs toxiques de l’ex-Fortis, dégage du profit au point de figurer dans le Top des plus gros contribuables belges. Ce n’est pas pour autant que le modèle peut être transposé, comme tel, dans le dossier Dexia. Explications.

Si tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que BNP Paribas a fait une belle affaire en s’offrant quelques-uns des meilleurs morceaux de l’ex-Fortis (à commencer par les trois quarts de Fortis Banque et un quart d’AG Insurance), il faut rappeler que les Français s’étaient bien gardés, dans les montages, de reprendre comme tels et à leur propre compte les actifs toxiques du groupe en déconfiture.

Après moult discussions, décision fut finalement prise d’isoler ces actifs à risques dans une bad bank, soit une structure juridique ad hoc – un Special Purpose Vehicle (SPV) – réunissant Fortis, l’Etat belge et BNP Paribas (voir graphique ci-dessous). C’est donc dans ce contexte que, fin 2008, fut créée la S.A. Royal Park Investments (une dénomination choisie par référence au nom du parc bordant le siège de Fortis).

Partant d’un capital de départ symbolique (61.500 euros), les moyens d’actions du SPV ont par la suite été renforcés par de substantielles injections de capitaux propres et de lignes de crédits en mai 2009 lors de la mise en oeuvre concrète des accords liant les parties.

Regagner une partie des pertes subies par Fortis…

Si les comptes sociaux de Fortis Banque s’étaient finalement soldés en 2008 par une perte nette comptable dépassant les 20 milliards d’euros, cette situation trouvait en grande partie sa source dans le retraitement comptable de la partie du portefeuille de crédits structurés destinée à être cédée à Royal Park Investments. “Ce SPV a donc été le réceptacle d’actifs financiers dont la dépréciation avait – largement – été enregistrée dans la comptabilité du cédant (Fortis Banque), limitant par conséquent les risques de mauvaises surprises pour Ageas (ex-Fortis Holding) et l’Etat belge”, explique Bruno Colmant, coiffant ici sa casquette d’administrateur de Royal Park Investments.

Concrètement, la réduction de valeur était conséquente et portait en moyenne sur moins de 60 % de la valeur nominale des actifs financiers cédés, soit 11,4 milliards d’euros de valeur comptable pour 19,3 milliards de valeur nominale. “Certes, cela semble là fort peu mais cela correspondait à l’époque à la valeur de marché de ces actifs, établie par des experts indépendants”, confirme Bruno Colmant.

Pour se financer, outre ses fonds propres, Royal Park Investments fait appel à des lignes de crédit managées par BNP Paribas (via Fortis Banque) et une garantie de bonne fin par l’Etat belge. Cette garantie publique pèse, à la baisse, sur le coût du financement du SPV même si, d’un autre côté, l’Etat belge réclame des primes de risques à hauteur d’environ 32 millions d’euros sur les montants garantis qui, fin 2010, portaient encore sur pas moins de 4,64 milliards d’euros…

Avec un tel mode de fonctionnement et sur de telles bases, on imagine aisément que la probabilité de voir trébucher Royal Park Investments est faible. Avec des actifs financiers valorisés si bas dans sa comptabilité, les possibilités de vendre à bon compte – c’est-à-dire à des niveaux situés entre la valeur nominale et la valeur comptable – sont ainsi plus facilement saisies, dégageant au passage des marges couvrant largement les frais financiers et de fonctionnement du SPV. Au niveau de ces derniers, on dépasse allégrement les 10 millions d’euros alors que, paradoxalement, l’équipe n’est constituée que de 11,1 équivalents temps plein ! “La majeure partie des frais généraux est constituée d’honoraires d’avocats – et une grande partie des litiges portent sur des dossiers de dossiers structurés aux Etats-Unis”, commente Bruno Colmant.

Il n’empêche, même après prise en compte de l’ensemble de ses charges, avec plus de 319,20 millions d’euros de bénéfice avant impôts en 2010, Royal Park Investments dégage non seulement une rentabilité des plus appréciables mais, même après prise en compte des intérêts notionnels à hauteur de 70.645.071 euros, elle a supporté 84 millions d’euros d’impôt des sociétés, faisant ainsi d’elle un des plus gros contribuables de ce pays ! Soulignons au passage qu’il n’est pas prévu de verser le moindre dividende ou de procéder à un quelconque remboursement de capital aux actionnaires tant que le processus de liquidation des actifs financiers et, surtout, d’apurement des passifs n’aura pas été réalisé. Cet apurement se fait à hauteur d’un montant moyen de 120 millions d’euros par mois.

Dans ce contexte, et contrairement à l’Etat (via la rémunération des garanties) et BNP Paribas (via les intérêts et le management des lignes de crédit), Ageas est le seul actionnaire à ne pas tirer directement profit du montage. Il faudra attendre la fin du processus, voire la liquidation de la société.

Peut-on dupliquer le modèle chez Dexia ?

La sortie du périmètre de consolidation du holding Dexia Banque Belgique des entités telles que le Crédit Local de France, la Banque internationale à Luxembourg et, probablement bientôt, la filiale turque DenizBank, mais aussi des pôles de gestion d’actifs et d’assurances, voire de DTS (la filiale informatique), est évidemment de nature à ravaler le holding au rang de bad bank.

Si de fortes décotes ont déjà été enregistrées sur nombre d’actifs toxiques présents dans le bilan de Dexia (notamment les subprimes aux Etats-Unis), quid cependant de sa capacité à pouvoir supporter demain les décotes qui s’imposeront sur les dettes souveraines de pays comme la Grèce ? Tout ceci dans un contexte où l’Etat belge se porte garant de sommes à hauteur de 60,5 % des engagements interbancaires de Dexia (plafonnés à 90 milliards d’euros). Ce qui, dans ce cas, peut représenter des montants quasi 10 fois plus élevés que pour ce qui était de mise dans le dossier Fortis.

Jean-Marc Damry

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