Dexia à nouveau en danger ?

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Etrange dossier que celui de Dexia, qui présente ses résultats aujourd’hui. Tandis que son état de santé semble s’améliorer et que la direction se veut rassurante quant aux prétendues menaces qui planent sur elle, la banque franco-belge n’en finit plus de faire l’objet de rumeurs : recapitalisation, dette souveraine, CDS…

Ce syndicaliste ne comprend toujours pas. “C’est bizarre, dit-il. J’ai l’impression qu’une série d’acteurs extérieurs ne cessent de jeter le trouble. Mais je ne sais pas de qui il s’agit. Ni pour quelles raisons certains alimentent ainsi la rumeur.” S’agit-il de l’un ou l’autre “cabinettard” en mal d’influence ? De certains politiciens flamands ? D’autres banquiers ? Peu importe.

“Alimenter la rumeur en parlant contre la réalité des chiffres dans le but de se faire valoir est extrêmement grave”, fustige pour sa part un gros actionnaire de Dexia, parlant d'”importants préjudices” pour la banque. Bref, on ne sait plus trop si certaines des rumeurs qui circulent depuis quelques semaines autour de ce dossier Dexia sont fondées ou pas.

On (re)parle d’une recapitalisation

Ces rumeurs, elles ont d’abord vu le jour dans la presse flamande, plus précisément dans un article du Standaard faisant état, le 21 décembre dernier, d’une possible nouvelle recapitalisation du groupe. Le lendemain, Le Soir embrayait, évoquant lui aussi un besoin de renforcement des fonds propres. Immédiatement démenti par Dexia et le Premier ministre Yves Leterme en personne, affirmant qu'”il n’y avait pas de préoccupation particulière à avoir”.

Dernièrement, dans son édition du mois de février, c’était au tour du magazine économique français Capital de présenter Dexia comme le troisième établissement bancaire du Vieux Continent sur lequel la crise de la dette européenne faisait courir les plus gros risques. Exagération, voire mauvaise connaissance du dossier de Christophe Nijdam, analyste chez AlphaValue à Paris, rétorque-t-on chez Dexia.

Plus récemment encore, La Libre Belgique n’hésitait pas à reparler de Dexia comme d'”un sujet de préoccupation de nos hommes politiques”. Nouvelle rumeur, non fondée, martèle-t-on du côté de la tour Rogier, siège bruxellois de la banque… tandis que, pendant ce temps-là, certaines mauvaises langues continuent d’affirmer que “la direction de Dexia pratique l’écran de fumée avec habileté” et que “le décor de la catastrophe est en place”.

Alors, manipulation ou le pire est-il vraiment à craindre ? Une chose semble aujourd’hui évidente : le groupe n’est pas encore complètement sorti des flûtes. Avec un gros portefeuille obligataire et des crédits toxiques américains, sa situation reste délicate. C’est en tout cas l’avis du marché, à en juger par sa valorisation en Bourse. Même s’il a retrouvé quelques couleurs en ce début d’année, grâce notamment à l’accord de financement avec la Banque postale française (la “Banque de la Poste” française, filiale du groupe français La Poste), le titre fait du surplace aux alentours des 3 euros. On est encore loin des 9,90 euros par action, niveau auquel l’injection de capital, de ses actionnaires historiques (le Holding Communal, Arco, Ethias et la Caisse des dépôts et consignations) et des pouvoirs publics (belges, français et luxembourgeois), s’est faite à l’automne 2008.

En meilleure forme qu’il y a deux ans…

D’ailleurs, grand patron du groupe, Pierre Mariani le reconnaît sans ambages. “Dexia est encore fragile mais, insiste-t-il, une recapitalisation n’est pas à l’ordre du jour.” Il est vrai que la banque se porte mieux, ainsi que le confirme Dirk Peeters, analyste chez KBC Securities : “Il reste des efforts à fournir mais, c’est clair, sa situation financière est meilleure qu’il y a deux ans.”

De fait, depuis fin juin, Dexia est sorti du dispositif de garantie des Etats français et belge qui lui avait été accordée au sortir de la crise. Dans le même temps, la mise en oeuvre de son nouveau plan stratégique à l’horizon 2014 se poursuit : ses coûts, son profil de risque et son bilan se réduisent. Cornaquée par Alexandre Joly, bras droit de Pierre Mariani, la fameuse legacy division (structure où sont logés les crédits toxiques américains et le gros portefeuille obligataire dont Dexia doit se défaire) a fortement fondu. Venant de plus de 200 milliards en 2008, son encours est redescendu à quelque 137 milliards d’euros actuellement (dont 10 milliards de produits toxiques américains assortis d’une garantie d’Etat pour toute perte supérieure à 4,5 milliards de dollars). L’an dernier, 28 milliards d’euros d’obligations sont venus à échéance et une vingtaine de milliards ont été vendus. Moins-value sur ces dernières : 0,67 %, selon la direction.

D’un autre côté, les dépôts des particuliers sont repartis à la hausse, progressant de 22 % en deux ans. Mais Dexia perd des parts de marché dans l’octroi de crédit aux entreprises. Des pertes qui ne relèvent toutefois pas d’une faiblesse commerciale mais de l’interdiction qui lui est faite par les autorités européennes d’accorder des crédits en dessous d’un certain seuil de rentabilité. Malgré cela, le groupe devrait à nouveau être dans le vert en 2010 (il doit présenter ses résultats annuels aujourd’hui même, le 23 février), après un bénéfice légèrement supérieur au milliard d’euros en 2009… et une perte de 3 milliards en 2008.

Sa solvabilité devrait donc demeurer élevée. Entre fin 2009 et fin septembre 2010, Dexia a renforcé ses fonds propres de 0,7 milliard à 19,1 milliards. Son ratio core Tier 1, noyau dur des fonds propres, s’établissait, toujours au terme de ce même troisième trimestre 2010, à 12,8 %, contre 11,8 % un an plus tôt. Selon Pierre Mariani, le groupe dispose de suffisamment de fonds propres. Mais bon, “on nous demande quasiment de démontrer l’existence de Dieu !”, grince-t-il.

… mais toujours sous perfusion

La réalité des chiffres impose toutefois de garder à l’esprit que, outre un gros portefeuille de 230 milliards d’euros lié à son business de prêts au secteur public, la moitié de cette grosse legacy division reste majoritairement financée avec la garantie des Etats (surtout belge) ou par le biais de la Banque centrale européenne (à concurrence actuellement de 22 milliards d’euros). “Ce qui coûte de l’argent à Dexia”, note Dirk Peeters. Beaucoup d’argent : plus ou moins 400 millions d’euros par an, à titre de garantie des Etats, en sus bien sûr du taux d’intérêt débiteur.

C’est que Dexia, sorti du dispositif de garanties des Etats pour les nouveaux emprunts, continue d’avoir un encours d’emprunts plus anciens bénéficiant toujours de ces garanties. Un montant qui est connu au jour le jour. En date du 11 février dernier par exemple, il s’élevait à 42,9 milliards d’euros, venant d’un sommet de 95 milliards d’euros à l’été 2009. La moitié du chemin a donc été parcourue. Mais “la situation de Dexia reste délicate, poursuit Dirk Peeters, notamment à cause de ce besoin de financement à court terme.

Sur ce terrain-là, Dexia n’est pas encore revenu au niveau d’autres institutions financières européennes, notamment françaises.” En clair, il est trop tôt pour retirer cette “prise”. Pierre Mariani le sait mieux que quiconque : améliorer encore la liquidité du groupe reste sa “grande priorité pour 2011”.

Fortement exposée à un choc souverain

A ces impératifs de liquidité s’ajoute, comme déjà évoqué plus haut, le fait que l’ancienne “banque des communes” affiche un bilan très exposé à la dette souveraine. Une vulnérabilité que les autorités financières du pays, Banque nationale en tête, n’ignorent pas. Il faut dire aussi que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon ceux communiqués par le groupe lors des stress tests de l’an dernier, Dexia présentait alors une exposition totale à la dette souveraine européenne de 58 milliards d’euros, dont 18 milliards d’obligations italiennes et 8 milliards d’obligations belges.

Ce n’est pas rien. D’autant que ses créances sur les “PIGS – le Portugal (2,817 milliards d’euros), l’Irlande (0,147 milliard), la Grèce (3,747 milliards) ainsi que l’Espagne (1,823 milliards) – s’élèvent à 8,5 milliards d’euros. Depuis, Dexia affirme non seulement avoir réduit d’un tiers son exposition au Portugal mais aussi fait table rase de son exposition en Irlande, deux des pays dont on se méfie le plus sur les marchés. N’empêche, “la dégradation du risque souverain et du risque des pouvoirs publics au cours des deux dernières années reste un gros problème pour Dexia”, juge un observateur averti, n’hésitant pas à qualifier le dossier de la banque franco-belge de “triste affaire”.

Hair cut ? Pierre Mariani n’y croit pas

Triste affaire, vraiment ? La situation est-elle à ce point dangereuse ? Difficile à dire. Tout dépendra de l’issue de la saga de la dette de la zone euro. Pour l’heure, la poussière semble être quelque peu retombée. Mais une nouvelle poussée de fièvre du marché obligataire n’est pas à exclure.

Quoi qu’il en soit, Pierre Mariani n’envisage pas une seconde un scénario d’une brusque décote de 20 % (un hair cut dans le jargon financier) sur la dette souveraine de tous les pays de manière uniforme. Au pire entrevoit-il “un allongement des échéances”. Pourtant ces fameux “PIGS” affichent à la fois des déficits colossaux et des croissances anémiques. Et si, comme beaucoup le craignent, ils ne parviennent pas à s’extirper de la spirale de la défiance, les autorités monétaires pourraient bien être contraintes d’imposer une restructuration de leur dette publique, comme en Amérique latine dans les années 1980. Ce qui reviendrait de facto à un défaut de paiement.

N’ayant rien provisionné sur ce risque souverain, pas plus que les autres banques européennes d’ailleurs, Dexia court donc le risque de devoir déprécier cette dette souveraine de plusieurs milliards d’euros. Comme certaines autres banques européennes, les moins diversifiées répétons-le, elle se retrouverait alors avec un bilan totalement déséquilibré. Avec au passif des dettes bien réelles. Et à l’actif, des obligations d’Etat qui valent beaucoup moins. Tel serait l’effet du principe mark-to-market, grignotant automatiquement les fonds propres de la banque.

Nervosité autour des stress tests

Dans l’immédiat, ce sont surtout les nouveaux tests, exigés par la Commission européenne, auxquels les banques seront prochainement soumises, qui semblent plus gênants. L’exécutif européen les veut plus exigeants que ceux organisés l’an dernier. A l’époque, seules les obligations d’Etat européennes logées dans le trading book (le portefeuille de titres qu’une banque ne compte pas garder longtemps) avaient été prises en compte. Certains estiment que faire de même aujourd’hui ne serait pas crédible.

Du coup, on se pose pas mal de questions. Chez Dexia, bien sûr. Mais aussi dans les milieux financiers et politiques. Comment Dexia passera-t-elle ces nouveaux tests ? Comment la banque réagira-t-elle avec sa forte exposition en obligations d’Etat et au risque des pouvoirs publics ? “Certains types de tests pourraient révéler que Dexia aurait besoin d’une augmentation de fonds propres”, pointe un autre observateur avisé. Dexia, il est vrai, reste très sensible aux hypothèses prises en compte.

“Il est clair que, dans l’hypothèse d’un défaut majeur à moyen terme d’un pays autre que l’Irlande, souligne un observateur privilégié, comme abaisser la note de l’Allemagne à BBB+, scénario envisagé l’année dernière mais finalement écarté sous la pression d’Angela Merkel, Dexia a un problème.” Mais ce n’est pas la seule banque qui aurait un problème. Dans ce cas, ce sont toutes les banques belges et allemandes qui ne vivraient plus. Et notre interlocuteur d’ajouter : “Par contre, Dexia est capable de résister à un choc sur les obligations d’entreprises. Mais les hypothèses vont essentiellement tester le risque souverain et peu le risque corporate.”

Bref, en fonction des critères retenus, n’importe quelle banque peut être mise en difficulté. Le risque de donner un mauvais signal au marché et de provoquer un emballement est donc bien réel. Et si tout cela devait tourner mal, se pose alors la question de la capacité d’intervention d’un gouvernement toujours en affaires courantes et la faiblesse de ses actionnaires privés belges : le Holding Communal, Arco et Ethias. Ils ont les poches vides. Et sont “tétanisés”, dit-on.

La Flandre n’aime pas Dexia

Outre ces soucis de circonstances, partagés par beaucoup d’institutions financières en Europe répétons-le, il reste un problème spécifique à Dexia : son modèle de fonctionnement. Avec d’un côté une banque classique et de l’autre un pôle qui ne dispose pas d’un réseau d’agences pour financer ses activités de prêts aux collectivités locales, sa structure n’est pas optimale. Au sein de Dexia Banque Belgique, où la démotivation du personnel est grande malgré un climat social apaisé, on ne voit pas pourquoi la banque belge, riche en dépôts (garantis en outre par l’Etat belge), doit alimenter en liquidités le pôle français (Dexia Crédit Local)… incapable de vivre par lui-même affirment certains. Surtout en Flandre où on n’est pas très heureux de cette situation.

Au point de vouloir s’affranchir des Français qui dirigent tout ? Revenant régulièrement sur le tapis, la question d’une scission du groupe, ne semble pourtant pas d’actualité.

Faute de gouvernement de plein exercice ? Aux politiques qui dans leur ensemble laissent faire ? “Ce débat existentiel est reporté à plus tard, confie un dirigeant de Dexia Banque. Lorsque la situation du groupe se sera stabilisée. On pourra alors avoir des discussions plus directes sur l’avenir de chacune des branches.”

A moins qu’on ne procède d’abord à la fusion du holding (la maison mère belge) avec Dexia Banque. Histoire à la fois de faire remonter une série d’actifs toxiques de l’entité française vers le holding et de coller ce même pôle français aux dépôts belges.

But de la manoeuvre : apurer les “pertes” au détriment du patrimoine des actionnaires, qui sont… essentiellement belges.

Une petite zone d’ombre : les CDS

Et les CDS dans tout cela ? Qu’en est-il des positions de Dexia sur ce type d’instrument et autres produits dérivés ? A la lecture des annexes du bilan, on peut observer qu’elles sont globalement en recul. Dexia prend soin de signaler qu’il “a recours aux CDS afin de se garantir du risque de crédit de ses contreparties et non de spéculer ou de gagner de l’argent”. Dont acte.

Mais pour faire de l’argent, Dexia s’est-il aussi par le passé porté vendeur de protection CDS ? Visiblement, oui. “Jusqu’à fin septembre 2008, précise officiellement le groupe. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.” Le portefeuille est en roue libre.

Reste à connaître l’encours de ces contrats… Et combien ceux-ci pourraient éventuellement coûter à Dexia en cas de nouvelle débâcle financière. Là, mystère. Dexia ne souhaite pas donner davantage de précisions sur le sujet. Dommage. Certains soupçons auraient pu être évacués. Le soulagement aurait pu être plus complet.

Sébastien Buron

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