Des contrôleurs masqués dans votre banque

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Pour savoir comment les banquiers traitent leurs clients, la FSMA pourra bientôt envoyer des “mystery shoppers” dans leur agence. A côté de son rôle de gendarme, elle jouera donc aussi au détective.

Bruxelles, printemps 2014. La scène se déroule dans une agence bancaire. Travaillant pour le compte de la FSMA (l’un des deux gendarmes du secteur financier avec la Banque nationale), Henri Charpentier se présente au guichet, sous couvert d’une fausse identité. Il se fait appeler Charles Dupont.

En investisseur prudent, ce dernier veut en savoir un peu plus sur les produits d’épargne proposés par la banque. Il a quelques milliers d’euros à placer. Doit-il tout mettre sur un livret ? Se tourner vers d’autres types de placement ? Acheter des actions ? Les questions qu’il se pose ne manquent pas. En revanche, les réponses qu’il obtient de la part du guichetier ne le satisfont guère. Pire, on lui a recommandé des produits inadaptés à ses besoins. Voire même carrément dangereux. Henri Charpentier s’en va de ce pas rédiger un rapport négatif sur ce service à la clientèle non conforme aux prescriptions légales.

Inspecteurs anonymes Impensable ? Pas tant que ça. Une toute nouvelle loi, datée du 30 juillet dernier, visant à renforcer la protection des consommateurs de produits et services financiers, ainsi que les compétences de la FSMA, introduit et légalise le “mystery shopping” en banque. En français dans le texte : achat mystère.

En clair, la FSMA pourra bientôt charger des membres de son personnel, mais aussi des collaborateurs extérieurs, de se rendre dans une agence bancaire en se présentant comme de potentiels clients. Sans préciser donc qu’ils agissent au nom de l’institution de la rue du Congrès. Objectif : s’assurer que les banques agissent de manière transparente et professionnelle envers les consommateurs.

C’est que la débâcle financière, qui a secoué notre paysage bancaire à l’automne 2008, a révélé que les consommateurs étaient souvent démunis face aux banques, voire floués par celles-ci. Souvenons-nous des fameux produits Lehman Brothers (du nom de la grande banque d’affaire américaine tombée en faillite en 2008), des malheurs des épargnants de Kaupthing ou encore de l’énorme augmentation de capital de Fortis pour racheter ABN Amro. Autant de placements soi-disant “bon père de famille” qui ont vu les banques privilégier leurs propres intérêts au détriment des consommateurs, mal informés des risques.

Mensonge légalisé ? Depuis, on a mis en place la directive européenne sur les services financiers (MiFID), qui oblige les banques à mieux connaître leurs clients et leur profil de risque. Le fonctionnement du livret a été simplifié ; la vente de produits financiers trop complexes est interdite ; etc. Quant à la FSMA, elle pourra donc bientôt descendre sur le terrain pour vérifier que les banques respectent bien leurs obligations en matière de conseil.

Du côté de Test-Achats, on se réjouit de voir les banquiers ainsi soumis à ce genre de coups de sonde. “Prendre un opérateur par surprise et de manière anonyme est une bonne chose pour pouvoir juger des compétences et de la qualité du service, se félicite Jean-Philippe Ducart, porte-parole de l’association de consommateurs. C’est ce que nous faisons depuis très longtemps dans de nombreux domaines, et notamment dans le secteur bancaire.” Ainsi, Test-Achats constatait encore récemment que de nombreux banquiers, en présentant un produit d’épargne à un client, ne lui demandent pas quels sont ses objectifs ni quels risques celui-ci est prêt à prendre. Sept fois sur 10, on ne discutait même pas de la durée du placement, élément pourtant essentiel quand on veut placer son argent.

Pour Jean-Pierre Buyle, avocat spécialisé en droit bancaire au cabinet Buyle Legal et conseil de diverses institutions financières sur la place belge, ces nouveaux moyens de surveillance accordés au contrôleur des banques vont néanmoins trop loin. “Se faire passer faussement pour un client alors qu’on agit en gendarme et ne pas annoncer que les informations obtenues pourront être utilisées aux fins de l’exercice du contrôle, c’est travestir la réalité, critique l’ancien bâtonnier de Bruxelles, choqué par cette méthode d’investigation. C’est tout sauf de la transparence, cette valeur si chère à notre société de progrès. On introduit le mensonge comme outil d’investigation. On récolte de manière déloyale des moyens de preuve pour accuser le justiciable. Le mensonge est légalisé. C’est inacceptable.”

Qualité du service De la transparence, c’est justement ce que réclame Test-Achats, en plaidant pour la publication des résultats des enquêtes. “C’est ce qui nous différencie des autorités de contrôle, poursuit Jean-Philippe Ducart. Nous publions les résultats de nos enquêtes avec les noms. Un pourcentage de taux de réussite, pas nécessairement par agence mais par enseigne, serait un bon indicateur de la qualité du service pour les clients. Cela obligerait les banques à revoir leurs procédures. C’est quelque part un cercle vertueux. La transparence totale est de bon aloi pour l’amélioration des produits et services.”

Ira-t-on jusque-là ? Tant du côté de la FSMA que de Febelfin (la fédération belge du secteur financier), on se montre prudent sur le sujet. “Les modalités pratiques de ce mystery shopping ne sont pas encore définies”, y indique-t-on, parlant d’un outil davantage destiné à orienter les priorités du contrôle exercé par la FSMA sur le secteur que d’un instrument devant absolument déboucher sur une publication des résultats des enquêtes et des sanctions. “L’amélioration de l’information des consommateurs est une priorité absolue, abonde encore Jean-Pierre Buyle. Mais en quoi le mystery shopping est-il un gage d’efficacité ? Il y a des moyens légaux tout aussi efficaces : test, examen, contrôle sur place à découvert, remise de documentation… En quoi le contrôle des connaissances d’un professionnel serait-il différent sur le terrain lorsque celui-ci est informé de ce que la FSMA agit en toute transparence ? Faut-il nécessairement mentir pour que fonctionnent correctement les marchés ?”

Seule certitude : les banquiers doivent reconquérir la confiance des Belges. Comme le déclarait dernièrement le gouverneur de la Banque nationale, Luc Coene, sur les ondes la RTBF, “ils doivent vraiment convaincre la clientèle en montrant clairement qu’ils cherchent davantage l’intérêt des clients que leur propre intérêt”.

SÉBASTIEN BURON

4 FOIS SUR 10 Le banquier ne demande pas au client quels sont ses objectifs et quels risques il est prêt à prendre, selon une récente enquête de Test-Achats. Jeux de hasard, voitures, etc. Les services financiers ne sont pas le seul domaine où le mystery shopping existe. En Belgique comme à l’étranger, il est de mise dans bien d’autres secteurs de l’économie. Chez nous, on pense notamment au contrôle des véhicules. L’association des contrôles techniques (GOCA) a recours à une société tierce pour vérifier si on ne laisse pas passer les voitures trop facilement. La pratique est largement répandue chez les constructeurs automobiles et dans le secteur de la distribution. Les mystery shoppers y sont actifs pour avoir une idée du niveau de qualité atteint par les concessionnaires ou les franchisés d’une chaîne de magasins. Dans un tout autre domaine, la Loterie nationale y a recours pour vérifier si l’interdiction de vente de ses produits (Win for Life, par exemple) aux mineurs est bien respectée dans ses points de vente (librairies, pompes à essence, etc.). A la limite, même les contrôleurs du fisc deviennent spontanément des mystery shoppers lorsqu’ils se mettent à table dans un restaurant. Gare aux notes TVA qui ne seraient pas établies !

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