Crash éclair de la livre: erreur humaine, problème informatique ou ‘Brexit dur’ en cause?

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La livre britannique a subi un “crash éclair” vendredi au début des échanges en Asie, des courtiers perplexes évoquant des raisons techniques, sur fond de craintes d’un “Brexit dur” ravivées par des propos de François Hollande.

Peu après 08H00 à Tokyo (jeudi à 23H00 GMT), la livre sterling a ponctuellement chuté à 1,1841 dollar, soit un nouveau plus bas depuis 1985. Elle valait deux heures plus tôt 1,2614 dollar, soit un décrochage brutal de 6,1%.

A l’égard de l’euro, elle a connu un plongeon similaire: la monnaie unique a atteint 94,15 pence au même moment, un niveau inédit depuis début 2009, contre 88,42 pence à 21H00 GMT.

La livre a toutefois effacé rapidement une bonne partie de sa dégringolade et, vers 10H30 GMT, elle valait 1,2323 dollar et 90,41 pence pour un euro.

La Banque d’Angleterre (BoE) a déclaré à l’AFP “examiner ce qu’il s’est passé” sur la livre, qui n’avait pas été aussi secouée depuis l’annonce des résultats du référendum du 23 juin sur le Brexit, qui l’avait fait glisser de 10%.

Le mouvement de défiance touchait également la dette britannique, les investisseurs vendant leurs obligations ce qui faisait monter les taux d’emprunt. Le marché boursier semblait resister en revanche: la Bourse de Londres montait quelque peu tandis que les places boursières de Francfort et Paris ne cédaient que quelques encablures.

La livre a été sous forte pression cette semaine, après l’annonce par la Première ministre britannique, Theresa May, du lancement d’ici fin mars 2017 de la procédure de sortie de l’Union européenne par le Royaume-Uni.

“Le +krach éclair+ de la livre (en début de séance en Asie) est le principal point de discussion sur les marchés ce vendredi” alors que “comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, la vraie raison de cette forte baisse n’est pas claire”, observait Simon Smith, analyste chez FX Pro.

‘Inévitable’

Le président français a plaidé jeudi soir pour la “fermeté” face à Londres dans les futures négociations.

“Il faut qu’il y ait une menace, il faut qu’il y ait un risque, il faut qu’il y ait un prix”, a lancé M. Hollande dans un discours à Paris. “Le Royaume-Uni a décidé de faire un Brexit, je crois même un Brexit dur, eh bien, il faut aller jusqu’au bout de la volonté des Britanniques de sortir de l’Union européenne”.

“Malheureusement”, ces commentaires ont été rapportés par les médias “dans la période floue située entre la fermeture de New York et l’ouverture en Asie, à un moment où les liquidités sont toujours limitées”, a expliqué Jeffrey Halley, analyste chez Oanda. “En quelques minutes, la livre a dévissé sur des ventes ordonnées par des algorithmes avec un phénomène boule de neige du fait du peu d’activité sur le marché”.

D’aucuns ont suggéré la possibilité d’un “fat finger”, la maladresse involontaire d’un seul homme, mais lui considère cette hypothèse peu probable. “C’est plutôt un effet secondaire de l’ère des échanges informatiques”, estime-t-il.

Une telle chute apparaît à certains inévitable alors que se dessine la perspective d’un divorce sans compromis sur le plan économique avec Bruxelles, qui serait le pire scénario pour les milieux d’affaires, avec une possible perte de l’accès britannique au marché unique.

“Ce n’était qu’une question de temps avant que ne survienne un plongeon de cette ampleur”, a affirmé auprès de l’AFP Yosuke Hosokawa, de Sumitomo Mitsui Trust Bank.

“Les éléments négatifs se sont accumulés jusqu’à ce que la digue cède. Nous n’avons pas encore vu le pire, le record de 31 ans (face au dollar) peut désormais être battu”.

On en est tout de même encore loin: la livre était descendue à 1,05 dollar début 1985, quand le billet vert était dopé par les “Reaganomics”, politique de déréglementation du président américain Ronald Reagan.

Les algorithmes en question

Mais l’hypothèse d’un emballement des ordinateurs est également évoquée pour expliquer la chute soudaine de la livre britannique, un cas qui pose la question de la pertinence des algorithmes susceptibles de surréagir.

Le recours à des ordinateurs super-puissants et programmes informatiques complexes est devenu monnaie courante en matière de transactions financières, en particulier sur le marché des changes qui fonctionne en quasi permanence.

L’objectif pour les courtiers: prendre des positions sur les marchés 24 heures sur 24, sans avoir besoin d’être présents.

Cette méthode, dite de trading automatique, vise aussi à diminuer les coûts de main-d’oeuvre et réduire la charge émotionnelle pour des cambistes soumis à un stress intense.

Conçus pour réagir à toute information notable selon des critères pré-établis par l’investisseur, les algorithmes analysent des milliers de données en un temps record. Ils peuvent par exemple acheter des actions ou monnaies quand les cours reculent en anticipant sur leur rebond.

L’utilisation croissante de ces technologies dernier cri est cependant controversée pour les risques de perturbations des échanges qu’elle implique. D’où les soupçons pesant sur elles dans la dégringolade de la livre vendredi en Asie.

Quand sont tombés, à l’aube à Tokyo, les propos du président français Francois Hollande plaidant pour la “fermeté” face à Londres dans les futures négociations sur le Brexit, les ordinateurs sont susceptibles de s’être emballés. Ce qui expliquerait un décrochage brutal de la monnaie britannique face au dollar et à l’euro avant une remontée.

“Il est tout à fait possible que les algorithmes aient réagi” à ce que des hommes auraient considéré comme une information relativement banale, avance Yuji Saito, responsable du département des changes de la banque Crédit Agricole à Tokyo. “Les marchés de New York étaient sur le point de fermer, ceux de Tokyo sur le point d’ouvrir, l’activité était faible, dans ce cas on bouge généralement peu”, explique-t-il.

Ultra-rapide mais pas encore aussi intelligente que l’homme, la machine a pu exécuter une série d’ordres automatiques, provoquant “une véritable tempête”, selon l’expression d’un analyste.

Le quotidien britannique Financial Times, parmi les premiers à rapporter les déclarations de M. Hollande, a lui-même mentionné cette piste. “De nombreux courtiers incluent dans les paramètres le suivi des sites d’information. A la minute où l’article a été publié, le mouvement de descente de la livre a débuté”, a commenté le journal.

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