Bientôt une crypto-valley en Belgique?

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La première plateforme belge d’échange de monnaies virtuelles vient de voir le jour. En marge de ce lancement spectaculaire, une série de start-up émergent dans le domaine des cryptomonnaies.

C’est une grande première. Des entrepreneurs belges ont créé Bit4You, une plateforme locale d’échange permettant d’acheter, vendre et échanger des cryptomonnaies. Basée en Belgique, la jeune entreprise a pu compter sur l’appui enthousiaste d’Alexander De Croo, ministre de l’Agenda digital, qui a opéré (fictivement) la première transaction lors du lancement de la plateforme. Celle-ci est désormais en fonctionnement : les particuliers peuvent y acquérir une dizaine de monnaies virtuelles, dont le bitcoin (BTC), le litecoin (LTC), l’ethereum (ETH) ou encore le ripple (XRP).

Bit4You démontre que la Belgique peut se positionner dans l’écosystème fintech en Europe avec des projets crypto.

” Bit4You va aider à crédibiliser le secteur crypto en Belgique “, se réjouit Marc Toledo, cofondateur et directeur de la plateforme. Avec son complice Sacha Vandamme, CEO de Bit4You, il est convaincu que les cryptomonnaies représentent un créneau d’avenir et que des initiatives belges peuvent émerger : ” C’est un pas important, poursuit l’entrepreneur, autrefois actif dans les télécoms (Toledo Telecom). Bit4You démontre que la Belgique peut se positionner dans l’écosystème fintech en Europe avec des projets crypto. Aujourd’hui, des pays comme l’Estonie ou la Suisse et sa crypto-valley sont à la pointe, mais j’espère que nous pourrons à l’avenir leur faire concurrence. ”

Marc Jacobs, cofondateur et CEO de Hey qui a intéressé toute une série d'investisseurs
Marc Jacobs, cofondateur et CEO de Hey qui a intéressé toute une série d’investisseurs ” Ce n’était pas gagné d’avance : le climat belge n’est pas encore très favorable aux cryptos. “

En quête de légitimité

Pour y arriver, le secteur crypto a besoin de développer une certaine légitimité. Les soubresauts incessants du bitcoin, la folle spéculation autour des monnaies virtuelles, les arnaques aux crypto-placements et la méfiance des régulateurs et du monde financier sèment le doute sur le sérieux et la viabilité des projets en la matière. C’est la raison pour laquelle Bit4You insiste sur le soutien du ministre De Croo, sur l’ancrage belge de la société et sur ses liens avec des partenaires reconnus comme le spécialiste mondial du paiement Worldline ou encore l’initiative belge Itsme. Cette solution mobile d’identification permet aux Belges d’accéder à leur compte bancaire, à Tax-on-web, mais aussi désormais à leur portefeuille de cryptomonnaies sur Bit4You. Une reconnaissance, estime-t-on du côté de la start-up.

” Nous sommes dans un secteur très exposé aux critiques. C’est la raison pour laquelle nous voulons établir une relation de confiance avec les régulateurs, même si les discussions sont parfois difficiles “, explique Sacha Vandamme, CEO de Bit4You. Le projet a été présenté à la FSMA. Prudent, le gendarme du secteur financier s’est contenté de prendre acte. En l’absence de réglementation spécifique, une plateforme d’échange de cryptomonnaies ne tombe pas à l’heure actuelle sous la responsabilité directe de la FSMA ( lire la colonne ” L’univers l’encadré, une zone de non-droit ? ” plus bas).

” Killer use case ”

A l’instar de Bit4You, le secteur crypto se développe doucement en Belgique. C’est ce que constate Thomas Vanderstraeten, CTO de la fintech Seraphin et créateur du site Cryptospace.be, qui rassemble les initiatives belges en la matière. Il a comptabilisé une vingtaine de start-up belges touchant à la blockchain, cette technologie décentralisée sur laquelle se basent le bitcoin et les autres cryptomonnaies. ” Ça bouge dans la communauté des développeurs et des ingénieurs. Les grandes entreprises commencent aussi à s’intéresser aux applications blockchain. Mais ce qui manque pour toucher le grand public, c’est un killer use case, une application concrète qui montre l’intérêt des cryptomonnaies “, pointe Thomas Vanderstraeten. Ce spécialiste évoque encore deux grands freins à un engouement plus massif en faveur du secteur crypto : ” Tout d’abord, la spéculation intense autour du bitcoin masque le vrai potentiel de la technologie qui le soutient. Ensuite, les barrières ergonomiques restent importantes autour des cryptomonnaies, elles souffrent d’une trop grande complexité “.

Hey finalise actuellement un premier tour de financement auprès d’investisseurs belges avant de lancer sa propre “initial coin offering”.

Cela n’empêche pas le jeune développeur d’y croire et de participer au lancement d’une start-up belge prometteuse : Hey. Celle-ci planche sur un réseau social qui se greffe sur le navigateur et s’ouvre lors de la consultation d’un site internet, afin de créer des interactions entre ses membres sur des sujets en lien direct avec la page visitée. Hey finalise actuellement un premier tour de financement auprès d’investisseurs belges avant de lancer sa propre ICO ( initial coin offering), une levée de fonds sur Internet via une monnaie virtuelle.

Pour s’imposer, Hey devra convaincre rapidement un grand nombre d’utilisateurs de rejoindre son forum de discussion d’un nouveau genre. ” Nous ciblerons d’abord la communauté crypto, qui est très active en ligne et qui aime débattre des sujets liés aux cryptomonnaies “, explique Marc Jacobs, cofondateur et CEO de Hey. Le token (un jeton virtuel représentant la ” cote ” de l’entreprise) émis à l’occasion de l’ICO devrait prendre de la valeur à mesure que le réseau social se développe, gagne de nouveaux adeptes et attire des annonceurs, espère le fondateur de la start-up. Ce projet ambitieux et à haut risque a donc tapé dans l’oeil d’une série d’investisseurs. ” Ce n’était pas gagné d’avance : le climat belge n’est pas encore très favorable aux cryptos, réagit Marc Jacobs. On voit peu de projets émerger et les ICO lancées en Belgique se comptent sur les doigts d’une main. ”

Cette nouvelle forme de levée de fonds est en effet très décriée. La folie spéculative autour des cryptomonnaies a amené une foule d’investisseurs peu regardants, qui se sont embarqués dans des projets totalement bidons. La FSMA a déjà appelé à la plus grande prudence à ce sujet. Depuis le début de l’année 2018, une méfiance accrue des investisseurs a provoqué l’échec ou l’abandon de nombreuses ICO. En Belgique, la start-up Stampify a décidé de postposer son projet de levée de fonds virtuelle. Mais d’autres ont tenu bon… et ne l’ont pas regretté. C’est le cas de la start-up belge Fund Request, qui a récolté la bagatelle de 12 millions de dollars via son ICO.

Guillaume Veldekens (Hive Blockchain Society)
Guillaume Veldekens (Hive Blockchain Society) ” Les projets deviennent de plus en plus sérieux. “

Un marché mondial

” On sent que ça bouge en Belgique. Mais globalement, on reste encore loin du développement de certaines places cryptos comme le canton de Zoug en Suisse, Gibraltar, Malte ou Berlin “, commente Kevin De Patoul. Cet entrepreneur belge a cofondé la start-up Keyrock en décembre dernier. Celle-ci propose des services technologiques aux plateformes qui souhaitent améliorer la liquidité de leurs échanges en cryptomonnaies. Soutenue par l’accélérateur Start it @KBC, la jeune pousse a levé près d’un million d’euros en avril dernier, notamment auprès du fonds Volta Ventures. ” Même si la dynamique est moins forte en Belgique qu’ailleurs, ce n’est pas grave parce que le marché crypto est un marché mondial, souligne Kevin De Patoul. Nous sommes contactés par des entreprises situées aux quatre coins de la planète. ” Keyrock n’a pas ressenti le besoin de s’installer à l’étranger.

Voir de tels projets belges se développer autour des cryptomonnaies, c’est l’espoir de Guillaume Veldekens. Fondateur en 2015 du Crypto Club, un cercle dédié aux investisseurs en cryptomonnaies, il a décidé d’élargir ses horizons en créant la Hive Blockchain Society. ” Nous réunissons des gens qui ont des idées, de l’argent ou les compétences nécessaires pour faire avancer des projets. Nous voulons stimuler l’entrepreneuriat autour de la blockchain en Belgique “, explique Guillaume Veldekens. Lui-même a investi dans Hey, la start-up de Marc Jacobs. Le succès de ces événements le rend confiant pour l’avenir : ” C’est clairement un secteur qui grandit. Surtout, les projets deviennent de plus en plus sérieux. On voit de moins en moins de gens arriver juste pour lancer une ICO et récolter rapidement de l’argent “.

Jean Wallemacq, directeur de la Belgian Bitcoin Association, constate aussi une certaine émulation récente pour des projets liés aux cryptomonnaies. ” L’attitude change du côté des ‘institutionnels’, notamment dans les banques. J’ai récemment fait une présentation sur les cryptos devant les cadres de BNP Paribas. Certaines choses qui semblaient impossibles il y a un an deviennent aujourd’hui possibles. On voit aussi tout un écosystème de fournisseurs – conseillers, avocats, etc. – se mettre en place, afin d’aider les entrepreneurs à mettre leur projet en route. ”

” Cela fait parfois penser aux débuts du Web, schématise Steve Degosserie, consultant spécialisé dans la blockchain. On voit apparaître de tout : des projets soi-disant révolutionnaires qui reprennent en fait d’anciens modèles, mais aussi de vraies idées neuves. Nous essayons d’apporter un peu de pragmatisme dans tout cela. ” Une première étape avant de voir émerger une crypto-valley à la sauce belge.

L’univers crypto, une zone de non-droit ?

David Szafran, avocat chez Eubelius, a été mandaté par Bit4You pour assurer la conformité juridique du projet à la réglementation belge. Voici son analyse : ” Les crypto-actifs ne peuvent être assimilés à une monnaie ayant valeur légale. Personne n’est obligé de les accepter comme moyen de paiement. Ce ne sont pas non plus des instruments financiers : ils ne produisent pas de dividendes et ne donnent pas de droits comparables à ceux d’un actionnaire. ” Conclusion : les crypto-actifs ne tombent pas sous le coup des législations financières, et une plateforme d’échange comme Bit4You n’est soumise à aucun agrément préalable. ” Par contre, toutes les règles classiques s’appliquent, que ce soit au niveau de la protection des consommateurs, des dispositions anti-blanchiment ou de lutte contre le terrorisme “, souligne David Szafran. Un projet de directive européenne en matière de lutte anti-blanchiment, qui entrera en vigueur d’ici un an environ, prévoit une série de dispositions applicables aux plateformes crypto. Pour montrer patte blanche, Bit4You se prépare déjà à se conformer à cette future directive. ” Les cryptos n’évoluent pas dans une zone de non-droit. On peut les raccrocher à des concepts juridiques existants “, assure David Szafran.

Les crypto-projets commencent à émerger

La plateforme d’échange Bit4You vient de voir le jour. Keyrock, qui fournit des solutions technologiques pour ce même type de plateformes, a levé 900.000 euros. Orillia a installé des distributeurs de bitcoins en Belgique. Le réseau social Hey est en train de clôturer un premier round de financement. La start-up gantoise Opus Lab a développé Delta, une application permettant de contrôler ses investissements en cryptomonnaies. Fund Request, une plateforme décentralisée active dans l’ open source, a levé 12 millions de dollars via son ICO. La start-up NGrave, hébergée au Betacowork à Bruxelles, planche sur un système de portefeuille sécurisé pour les monnaies virtuelles. Citons aussi, entre autres, les projets Polybius (fintech), Binderz (e-documents), Siliqua (diamants), Flycare (bien-être), Settlemint (objets connectés).

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