Banques : à quand les plus-values pour l’Etat ?

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L’Etat perçoit aujourd’hui le prix de la garantie donnée à plusieurs opérations de refinancement, ainsi qu’à divers actifs à problèmes. Ce qu’il peut gagner demain au niveau du capital investi dans les banques est plus incertain, mais quelques balises existent.

Au lendemain de la crise grecque et, plus globalement, de l’envolée des dettes publiques observée presque partout dans le monde, la signature des Etats a un peu – mais seulement un peu – perdu de son lustre. Il en allait tout autrement au plus fort de la crise financière. Les banques ne se faisant plus guère confiance, les Etats furent obligés tout à la fois de les recapitaliser et de se porter garants de leurs refinancements, voire de certains de leurs actifs.

En Belgique comme ailleurs, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Le revenu tiré de certaines de ces initiatives est bien palpable depuis l’an dernier. Pour d’autres, on ne sera pas fixé avant plusieurs années.

Des actifs pourris qui rapportent

Le ministre des Finances a avancé des chiffres le mois dernier, en réponse à une question parlementaire. Après 501 millions d’euros en 2009, ce sont 662 millions qui devraient cette année rentrer dans les caisses de l’Etat, a signalé Didier Reynders, qui attend 643 millions en 2011. Ces chiffres portent sur la garantie que l’Etat a offerte sur le financement des banques et sur quelques actifs un peu lourds à digérer ; ils ne comprennent pas la garantie de l’Etat sur les dépôts bancaires, laquelle devrait rapporter 220 millions d’euros cette année

Ce montant est sujet à caution, a-t-on aussitôt prévenu de divers côtés, dans la mesure où Dexia a décidé d’abandonner la garantie de l’Etat en juin prochain pour ses opérations de refinancement sur le marché interbancaire. Or, la banque belgo-française pèse très lourd sur ce terrain. La Belgique, qui a pris à son compte 60,5 % des 150 milliards d’euros convenus par Bruxelles et Paris comme plafond à ces garanties (montant ramené à 100 milliards en automne 2009), serait aujourd’hui garante pour quelque 57,5 milliards.

Ce type de garantie ne représente toutefois pas l’essentiel des revenus publics : de source sûre, on avance un peu plus de 200 millions “seulement”. Soit la moitié de ce que devraient, cette année, rapporter les “garanties sur les mécanismes de protection des actifs”, un montant qui ferait plus que doubler par rapport à l’an dernier. L’Etat belge a en effet dû couvrir des portefeuilles d’actifs à problèmes, tant chez Dexia que chez Fortis, et plus encore chez KBC. Chez cette dernière, ils pèsent pas moins de 20 milliards d’euros, dont la banque flamande assure complètement les 3,2 premiers milliards de pertes éventuelles. L’Etat couvre 90 % du solde, soit 15,12 milliards, contre paiement d’une prime fixe de l’ordre de 340 millions par an. Contrairement à ce qui a souvent été affirmé, le premier contributeur bancaire de l’Etat belge n’est pas – ou plus – Dexia avec son refinancement mais KBC avec ses actifs pourris.

Financement à faible coût

Comme l’a souligné la Cour des comptes, ces opérations de garantie présentent un risque non négligeable pour l’Etat, même si les cours des collaterized debt obligations (CDO) et autres actifs structurés s’améliorent depuis l’an dernier. KBC affiche ainsi un mieux de 600 millions d’euros sur son portefeuille de CDO au 4e trimestre 2009, montant qui comprend, il est vrai, une “libération de réserves” non chiffrée. Par contre, l’Etat n’engage pas de capitaux dans ces garanties. Sur un schéma totalement inverse, la recapitalisation des banques a, elle, mobilisé quelque 24 milliards dans le chef des pouvoirs publics, Etat fédéral et Régions. Sans que cet investissement rapporte grand-chose pour l’instant.

Au moins la charge d’intérêt de ces 24 milliards, presque entièrement financés par endettement, est-elle couverte par les revenus évoqués ci-dessus, a affirmé le ministre des Finances. Certaines sources officielles font pourtant état d’un coût annuel de l’ordre du milliard d’euros. Qui a raison ? En réalité, ce milliard est une hypothèse purement théorique, basée sur un rendement de l’ordre de 4 % pour les emprunts de l’Etat à 10 ans. En pratique, une bonne part de ces capitaux reste financée à court terme, à des taux beaucoup plus bas, probablement pas supérieur à 2,5 %. Un tel niveau correspondrait à une charge annuelle de quelque 600 millions.

Fortis : une plus-value occulte

Il n’est évidemment pas question pour autant de ne pas attendre de ces capitaux une certaine rentabilité. On en est loin sur la participation en Dexia, dont l’Etat et les Régions ont souscrit de nouvelles actions à 9,90 euros à fin septembre 2008. Alors que le cours se situe actuellement à moins de 4,50 euros ! Sur leurs 202 millions de titres (outre les 101 millions souscrits par le Holding communal, Arcofin et Ethias), les pouvoirs publics accusent actuellement une perte sur papier de l’ordre de 1,1 milliard d’euros. La distribution annoncée d’un petit dividende en actions n’est ici qu’une maigre consolation. Dexia, c’est clairement du long terme…

La situation est assez claire aussi pour Fortis, ou plus exactement pour BNP Paribas, dont l’Etat belge, qui a choisi de percevoir le dividende en actions l’an dernier, détient à présent 10,78 %, soit 127.747.434 titres exactement. Acquis au cours de 68 euros, est-il communément admis. Il y a toutefois une astuce : compte tenu de la plus-value instantanée réalisée lors de l’achat de la banque à Fortis Holding, le prix de revient de ces actions est en réalité de 58 euros.

En acceptant de céder ces titres à Fortis Holding une fois le niveau de 68 euros atteint, l’Etat renonce à la rentabilité de 6 % par an dont il avait été question au départ, mais il ne se contente pas pour autant d’une opération blanche : il encaissera une plus-value de 17,2 %. Comme une autre astuce, juridique celle-ci, oblige pratiquement l’Etat à attendre six ans avant de céder ces titres, cette plus-value est un peu symbolique en moyenne annuelle. Par contre, le titre BNP Paribas offre dès à présent un rendement de dividende. Après avoir chuté de 3,26 euros en 2008 à 0,97 euro l’an denier, ce dividende reprendra des couleurs cette année, à 1,50 euro, parallèlement au beau redressement bénéficiaire signé par le groupe français. Sur la base d’un prix de revient de 58 euros par action et compte tenu du fait que l’Etat belge pourra percevoir ses dividendes brut pour net (soit un total de 191,6 millions d’euros), le rendement atteint 2,6 %.

Ce n’est évidemment pas le Pérou, même en prenant en compte la hausse probable de ce dividende et la plus-value de 17,2 % évoquée plus haut. A Londres et Washington, l’argent prêté aux banques, y compris par le biais d’actions privilégiées, rapportait généralement entre 8,5 et 12 % par an.

KBC : sur le modèle anglo-saxon

Le gouvernement belge en a visiblement pris conscience quand ce fut au tour de KBC de tendre la main. Les 3,5 milliards avancés par l’Etat belge en décembre 2008, puis ceux dégagés par la Région flamande en juillet 2009, sont en effet porteurs d’un intérêt de 8,5 % (minimum)… pour autant que la banque distribue un dividende, ce qui ne sera pas le cas avant l’an prochain. L’investissement des pouvoirs publics n’est pas une obole pour autant, car ces 7 milliards ne seront en aucun cas remboursés au pair.

Explication. La recapitalisation de KBC s’est faite par le biais de la souscription à des actions nouvelles, au statut particulier, payées 29,50 euros. La banque pourra les racheter, mais en déboursant davantage. Pour la Région flamande, ce prix est fixéà 44,25 euros, soit une prime de 50 %. Pour l’Etat belge, les modalités sont différentes et la prime variable. En pratique, elle sera de 15 % à partir de la quatrième année et augmentera ensuite de 5 % par an, avec un plafonnement à 50 %. Résultat : l’Etat verra ses 3,5 milliards passer à 4,025 milliards au minimum et 5,25 milliards au maximum. Quant à la Région flamande, elle encaissera en tout cas 5,25 milliards.

Plus-value très limitée sur Fortis, plus conséquente sur KBC et moins-value provisoire sur Dexia : le sauvetage des banques n’aura de toute manière guère enrichi le Trésor. D’autant que la valeur finale des actifs garantis demeure très incertaine. Au moins ces derniers procurent-ils des ressources non négligeables, qui n’existeraient pas sans le sauvetage, pas plus que les recettes fiscales directes et indirectes payées par des banques toujours en vie. On ne pourra pas dresser de vrai bilan avant trois, voire cinq ans.

Guy Legrand

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